Ghyslaine Schweizer et ses élèves de lycée professionnel ont travaillé sur la biographie de Marcel Michel, ardoisier, puis marchand forain et vendeur à Paris, assassiné à l’âge de 37 ans. Ce travail fait partie des onze projets européens sélectionnés par le ministère de l’Education nationale.
Pouvez-vous vous présenter et nous présenter votre classe ?
Je suis enseignante en lettres-histoire et je suis en poste au lycée Emile Zola de Bar le Duc depuis dix ans.
Ma classe est une classe de 15 élèves de CAP ECMS (Employé de Commerce Multi-Spécialités).
Comment avez-vous organisé ce travail collectif dans le cadre du projet Convoi 77 ?
Tout de suite, il a fallu s’organiser : nous avons fait le point sur les informations dont nous disposions, transmises par l’association Convoi 77. On a commencé par montrer les documents à toute la classe et une élève était chargée de noter sur un paper board les renseignements obtenus. Ce tableau est resté dans la salle et a été alimenté au fur et à mesure en fonction des nouvelles informations que nous recevions.
Nous avons ensuite listé les organismes qu’il nous fallait contacter pour avoir de plus amples renseignements. Puis les élèves se sont partagés le travail de recherche.
Seul ou par groupe de deux, ils ont contacté une mairie ou un service d’archives par le biais d’un courrier ou d’un mail. D’autres ont fait des recherches dans les archives en ligne. Il a également fallu étendre nos recherches au-delà du département de la Meuse, et notamment en région parisienne.
Ce travail s’est étalé sur un an. Nous faisions le point à chaque fois que nous recevions de nouvelles informations. Souvent, ces nouveaux éléments nous amenaient à relancer d’autres demandes, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus obtenir d’informations supplémentaires.
Les élèves avaient aussi à cœur de retrouver des descendants. Je dois dire que cette partie-là, c’est plus moi qui l’ai gérée car j’ai téléphoné à plusieurs homonymes dans plusieurs villes de la région parisienne. J’ai ainsi pu retrouver trois descendants de deux générations différentes.
L’année suivante, dès la rentrée, nous nous sommes attelés à la rédaction. J’ai à nouveau préparé un tableau en découpant la vie de Monsieur Marcel Michel en plusieurs parties en fonction des informations que nous avions collectées. Les élèves ont fait plusieurs jets que j’annotais jusqu’à ce que l’on arrive à un rendu correct.
Quel a été l’impact de ce travail, d’un point de vue individuel (en ce qui vous concerne, en ce qui concerne les élèves…) mais aussi plus largement (au niveau de l’école, de la municipalité ou autres) ?
Ce projet a permis aux élèves de prendre des initiatives. Certains ont par exemple proposé de contacter des services de généalogie en ligne pour nous aider dans les recherches au niveau de Paris.
Avant d’entamer ce projet, les élèves avaient très peu de connaissances sur la Shoah, je peux même dire pas du tout pour la grande majorité. En plus de l’écriture de la biographie, nous avons visité différents lieux où ce déporté était passé, notamment le camp de Drancy. Nous avons aussi fait partie d’un groupe de onze classes sélectionnées par le Mémorial de la Shoah pour visiter le camp d’extermination d’Auschwitz. Les élèves ont ainsi pu se rendre compte, sur place, du caractère industriel dans le projet de mise à mort des nazis. Ce lieu a été le dernier endroit pour Marcel Michel. La boucle était bouclée.
Toutes ces expériences les ont sensibilisés au drame de la Shoah et les ont fait réfléchir sur ce réfléchir sur ce que l’intolérance, le non-respect de l’autre pouvaient avoir comme conséquences.
Cela a eu une conséquence concrète : un élève de cette classe, Kévin, a employé le terme de „passeur de mémoire” lors d’un différend qui l’a opposé à un autre élève qui avait fait le salut hitlérien dans la cour du lycée. Il lui a rappelé en quelques mots de quoi la politique nazie avait été capable en décrivant ce qu’il avait vu et appris au cours de ce projet.
En ce qui me concerne, en tant que professeur, j’ai apprécié le fait de ne pas être que dans un rôle d’enseignante. J’ai plutôt joué un rôle de coordinatrice et de personne-ressource lorsque les élèves étaient bloqués. Ce projet a renforcé mon sentiment selon lequel l’histoire est toujours mieux perçue par les élèves lorsqu’elle est abordée par l’intermédiaire de cas concrets. Cela a été beaucoup plus parlant pour eux que n’importe quel cours que j’aurais pu leur transmettre.
Au niveau de l’école, la biographie a été publiée sur notre site du lycée. Un journaliste s’est intéressé à notre travail et est venu interviewer les élèves à leur retour du camp d’extermination d’Auschwitz. Leurs ressentis et leurs témoignages sont édifiants et montrent combien ils ont été touchés par ce voyage et par l’histoire de la Shoah en particulier.
Votre travail a été sélectionné parmi les projets les plus remarqués, quel sentiment cela vous procure/cela procure aux élèves ?
Les élèves et moi-même avons été très touchés car ce travail a permis de faire sortir de l’ombre cet homme. Il n’est plus un simple nom sur une liste de déportés, maintenant il a une histoire, il a un visage et nous avons même permis d’apprendre à la famille certains éléments de sa vie. Le fait que la biographie soit sélectionnée permet de le mettre encore plus en valeur.
Les élèves sont aussi bien sûr très fiers de leur travail. Cette récompense leur a montré que même s’ils sont en lycée professionnel (souvent montré comme „une voie de garage”), ils sont capables de s’impliquer dans un travail et que ce travail soit reconnu.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à d’autres enseignants qui souhaiteraient participer au projet ?
Je recommanderais cette expérience à mes collègues : ce travail a permis aux élèves de s’organiser, de rédiger, de synthétiser des informations et leur a permis de travailler en équipe.
Je pense qu’il est indispensable d’avoir une classe à effectif réduit et il faut que la classe soit partante au départ pour réaliser le projet. La motivation est la base de tout, elle permettra aux élèves d’être réactifs, de prendre des initiatives et surtout de prendre du plaisir.
Il faut par ailleurs que l’enseignant soit organisé et cadre le travail. Mais il faut savoir trouver le juste milieu entre le cadrage de l’enseignant et la part d’autonomie à laisser aux élèves.