Marcel DRAÏ, 1926 – ?
Marcel Draï d’après Alexis
Nous sommes cinq collégiens scolarisés à Bailly-Romainvilliers. Nous avons été invités par nos professeurs de français et d’histoire à participer au projet „Convoi 77” pour lequel nous avons choisi de faire des recherches sur le sort de Charles Draï mais nous nous sommes aperçus qu’il avait été déporté en famille : avec l’ensemble de la classe, nous nous sommes répartis alors l’étude de la famille DRAÏ, et nous, en particulier la biographie d’un jeune Français d’origine algérienne et juif, nommé Marcel Draï qui a survécu à la Shoah. (Voir les biographies de Berthe, Perlette et Charles sur le site)
Dans cette biographie, nous allons nous mettre à la place de Marcel Draï, un jeune homme juif qui a été déporté à Auschwitz à l’âge de 18 ans. Nous allons nous appuyer sur des faits réels grâce à des archives trouvées dans de nombreux sites comme le Mémorial de la shoah, Convoi 77, Les archives de Paris et Yad Vashem. Elles nous ont permis d’en savoir plus sur la vie de Marcel Draï. Mais nous avons également étudié des témoignages pour avoir le ressenti des déportés comme Le journal d’Hélène Berr ou encore Merci d’avoir survécu d’Henri Borlant.
Je suis né le 31 décembre 1926 en France à Paris. J’ai vécu avec ma famille au 15 rue François Miron dans le quartier Saint-Gervais à Paris dans le 4ème arrondissement. Je suis sûrement né à l’hôpital „Hôtel-Dieu”. Dans ma jeunesse, j’allais au collège François Couperin. Je suis d’origine algérienne car mes parents sont nés en Algérie.
J’ai une grande sœur qui se nomme Perlette née le 24 avril 1925, j’ai également trois petits frères, Charles né le 19 février 1930, Roger le 6 avril 1933 et Richard le 1er avril 1939. Ma mère se nomme Berthe Mourjan, elle est née le 3 février 1902 à Alger dans le département d’Algérie. Mon père, Moïse Draï est né à Blida également dans le même département. Ma mère et mon père se sont mariés là-bas. Puis, ils ont déménagé en métropole par voie maritime pour nous donner un meilleur confort de vie. Arrivés à Paris, ils se sont installés au 25 rue des Blancs Manteaux puis ont déménagé en 1929 dans un appartement au 15 rue François Miron, dans le 4ème arrondissement à Paris.
Ma mère est couturière et mon père tient un bar, il est commerçant. Selon mon père, nous avons réussi à recréer une communauté juive identique à celle que mes parents avaient en Algérie au cœur de notre quartier, le pletzl, ce qui nous a permis, à ma fratrie et moi, de mieux connaître notre culture et nos origines.
Depuis le début de la guerre en septembre 1939, la situation n’a pas vraiment changé pour nous, ce n’est qu’à partir de juin 1940 et de la défaite que les choses se sont modifiées. Le 3 octobre 1940 a signé le début de la fin car ce jour-là notre père a été obligé de fermer notre bar. On a commencé à avoir du mal à nous nourrir à cause du rationnement et des horaires restrictifs des magasins pour les Juifs. Nous gagnons de l’argent comme nous le pouvons, en rendant des petits services à droite à gauche ainsi qu’avec des emplois à court terme. A 14 ans, je travaille déjà pour aider mes parents comme Perlette. Roger et Charles continuent eux d’aller à l’école. Nous n’avons plus le droit d’aller dans les parcs, de nombreux lieux nous sont interdits. Nos restrictions sont de plus en plus étendues, nous avons dû rendre mon vélo ainsi que notre radio. Quand arrive le début des arrestations en 1941, notre quartier se vide rapidement, la police et les autres autorités qui les aident restent insensibles et sourds aux questions que les gens leur posent. Nous avons peur d’être arrêtés et cela nous rend méfiants envers les visages qui nous sont étrangers.
Le 8 juin 1942, le port obligatoire de l’étoile jaune nous affecte particulièrement car le regard des gens sur nous change. On se sent comme des indésirables. Papa restait positif mais je sentais que ce n’était qu’une apparence. Je ne comprends pas pourquoi on s’attaque ainsi à nous du fait de notre religion. Mes parents ont fait le choix de nous envoyer en zone libre, Charles et moi d’un côté et les deux plus petits de l’autre, séparément pour éviter de se faire arrêter. L’évènement qui m’a marqué le plus est notre arrestation. J’étais avec mon petit frère et nous avions pour but de franchir la ligne de démarcation pour se diriger vers la France libre et, ainsi, échapper aux Allemands installés dans la zone occupée. Sauf que tout ne s’est pas passé comme prévu et nous avons été arrêtés près de la ville de Rochefoucauld le 30 septembre 1942. Puis nous avons été transportés dans la prison d’Angoulême par la Gestapo. Là-bas, il n’y avait rien à faire et mieux valait écouter les gardiens si nous ne voulions pas nous retrouver couvert de bleus. On a subi un interrogatoire violent avec des coups pour nous faire avouer que nous étions juifs. Nous avons finalement réussi à ne rien dire et une vingtaine de jours plus tard, le 20 octobre 1942, nous avons été libérés. Ensuite, nous sommes rentrés chez nous et avons abandonné ce projet. Et à vrai dire, cet évènement a renforcé ma peur de la Gestapo ou encore de la milice française. Au retour, c’est mon père qui a été arrêté, désormais nous ne sommes plus que quatre à la maison, car mes petits frères ont eux réussi à passer la ligne de démarcation.
Sur ce document, demande d’attribution de titre de déporté politique de 1952, Marcel raconte lui-même son arrestation en passant la ligne de démarcation et son interrogatoire musclé.
Je suis de nouveau arrêté le 7 juillet 1944 par la Gestapo à l’appartement avec toute ma famille. En pleine nuit, à 3 heures, la police frappe à la porte avec force. Je suis dépité car les forces alliées viennent de débarquer en Normandie et nous sommes arrêtés si près du but. La Gestapo a malheureusement été trop rapide. Ma mère, ma sœur Perlette et mon petit frère Charles montons dans un bus devant notre immeuble, résignés. Nous sommes envoyés au camp d’internement de Drancy. Je vois les vastes bâtiments en formes de U de la « cité de la Muette ». Nous découvrons vite que les conditions sont épouvantables, manque d’eau et de nourriture. Je reste à Drancy pendant trois semaines, du 7 juillet 1944 au 31 juillet 1944.Ce jour-là, des bus viennent nous chercher et nous déposent à la gare de Bobigny. Je me retrouve complètement désorienté, je ne sais guère où nous partons et la raison de cette maltraitance à laquelle on a sans cesse le droit. L’embarquement dans les wagons à bestiaux se déroule dans la violence, on nous pousse par groupe et nous nous retrouvons entassés les uns sur les autres dans cet espace restreint.
Durant le trajet, je remarque qu’il y a autour de moi des femmes enceintes, des bébés, des hommes âgés et quelques familles comme dans mon cas. Au début, on pense qu’on part travailler mais la réalité nous rattrape et on comprend vite que non car les gens qui m’entourent sont incapables de travailler. Les conditions d’hygiène sont déplorables. On était déjà sous-nourris depuis quelques semaines mais là en plus on vit plusieurs jours avec l’odeur des excréments, un seau unique est disposé pour nos besoins et nous sommes environ 60, impossible de s’arrêter pour le vider. Nous vivons l’enfer. Il fait si chaud ! Seule une fois le train s’est arrêté et nous avons eu le droit à une petite pause qui nous a permis de prendre l’air. Prendre l’air ? C’était plutôt une bouffée d’air pur qui nous a soulagés avant de reprendre le chemin. Nous ne savons toujours pas où nous allons. Les gens poussent, râlent, se bagarrent pour accéder à la petite lucarne d’aération. Nous perdons toute dignité.
Camp de Drancy
Gare de Bobigny Wagons à bestiaux
J’arrive dans un camp le 3 août 1944, de nuit. Nous descendons du train dans le bruit et les lumières aveuglantes, des chiens aboient et je suis perdu. Les nazis n’arrêtent pas de nous crier « Schnell ! » ce qui veut dire vite en français. Nous sommes séparés en deux files : d’un côté des hommes et quelques jeunes femmes et de l’autre des personnes âgées, des femmes avec enfants. Je m’inquiète pour ma mère et mon frère et j’aperçois au loin ma sœur et ses amies. S’il y a un bon et un mauvais côté, je crains pour le sort de ma mère et de mon frère, ma mère a 43 ans et je ne l’imagine pas travailler dur et Charles n’a que 13 ans.
Notre file entre dans le camp, nous sommes obligés de nous déshabiller pour nous désinfecter et on nous rase de la tête aux pieds pour éviter les maladies. Nous avons la surprise d’être tatoués directement sur notre peau comme des animaux et rhabillés de vêtements disparates aux tailles incertaines.
Ces trois dernières photos sont extraites de l’album d’Auschwitz, on y voit les déportés entrés dans le camp, sortir rasés en sous-vêtements puis habillés du pyjama rayé : ce sont les photos prises par les Nazis à l’arrivée des convois de Juifs hongrois au printemps 1944.
Les conditions de vie dans le camp sont déplorables, nous manquons de vivres, d’eau et l’hygiène est tout simplement absente. Nous travaillons dans les conditions les plus dures possible. Nous sommes complètement déshydratés et affamés car la nourriture est trop pauvre pour l’énergie qui nous est demandée : soupe claire et une tranche de pain avec de la margarine les bons jours. Les soldats qui nous surveillent nous voient comme une sous- race et ne font preuve d’aucune indulgence : ils sont sadiques, ils nous frappent et nous maltraitent. J’ai vu plusieurs de mes camarades se faire battre à mort car ils étaient trop faibles pour continuer le travail. Moi-même, je reçois des coups de matraque régulièrement. Au camp, l’odeur est particulière et on a du mal à s’y habituer. Une fumée incessante sort des cheminées au fond du camp et les anciens nous racontent que ce sont les gens incapables de travailler qui sont brûlés. J’essaie de rester positif pour ma mère et Charles, mais c’est difficile. Tous les jours, nous sortons nous aussi de notre baraque les morts de la nuit qui partent à la crémation. J’ai la chance d’être sélectionné comme électricien et j’évite ainsi les travaux pénibles à l’extérieur, ce qui améliore mon quotidien et mes chances de survie. Je suis transféré dans un nouveau camp en janvier 1945, j’arrive après un nouveau transport en train au camp de Buchenwald. On sent une certaine inquiétude chez les Allemands, ils vident le camp d’Auschwitz devant l’arrivée des Alliés. Nous sommes affectés dans d’autres camps, alors que certains quittent le camp en marchant. J’espère que les bombardements vont continuer à se rapprocher et que les Alliés vont nous délivrer de cet enfer. Je change de camp à nouveau pour le camp de Gross-Rosen puis je retourne à Buchenwald. C’est là que les Américains nous libèrent le 13 avril 1945 : enfin !
Ce document nous apprend que Marcel est transféré de Auschwitz à Buchenwald au mois de janvier 1945. En février, il fait un séjour à Gross-Rosen où il effectue un travail de radio électricien. Ci-dessous, les cartes de travail des différents camps. Il est libéré le 13 avril 1945 par les Américains.
J’ai appris plus tard que le 8 mai 1945, les Alliées avaient gagné sur l’Allemagne nazie et qu’elle avait capitulé, signant la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Et Paris, depuis le 25 août 1944 était enfin libre, le régime de Vichy n’était plus qu’un mauvais souvenir.
Notre France a pu enfin se libérer de l’emprise de l’Allemagne.
Je suis ensuite rapatrié dans le centre de Strasbourg le 16 mai 1945, j’y reste plusieurs semaines pour me remettre en forme, quand j’y entre, on peut dire que je suis très affaibli. Finalement, je n’ai pas d’énormes séquelles d’Auschwitz par rapport à certains de mes compagnons même si j’ai perdu 9 kg. Certains de mes camarades ont attrapé des pneumonies ou le typhus et certains meurent encore.
Une fois bien rétabli, j’ai pu rentrer chez moi et j’ai découvert que ma sœur Perlette était encore en vie. Cela m’a rendu à la fois très heureux mais également immensément triste. Très heureux car j’ai appris que quelqu’un de ma famille était encore en vie et que j’allais enfin pouvoir la revoir, mais aussi très triste car je me suis rendu compte que je ne reverrai plus jamais le reste de ma famille. Je m’imaginais rentrer chez moi et les voir tous réunis. Mais je ne suis pas à plaindre car j’ai croisé beaucoup de personnes au camp de Strasbourg qui avaient tout perdu. Évidemment, quand j’ai revu ma sœur, j’ai fondu en larmes et je lui ai promis qu’on allait reprendre le bar de notre père.
Beaucoup de personnes ont dû témoigner sur l’honneur, de m’avoir vu me faire arrêter ainsi que mon petit frère, ma sœur et ma mère par la Gestapo depuis la rue François Miron le 7 juillet 1944 comme le concierge de l’immeuble, Léon Garnier et sûrement une voisine, Marie-Pierre Bouleyre car j’ai entamé des démarches pour nous faire reconnaître en tant que victimes de guerre.
Finalement, je suis devenu courtier. Bien sûr, j’ai gardé des contacts avec mes compagnons d’Auschwitz car quand on partage les pires instants avec une personne ça forge l’amitié. J’avais beaucoup de mal à parler de ce qui m’était arrivé, ça me rappelait surtout des mauvais souvenirs. Mais il n’y a qu’avec eux que je peux vraiment en parler et ça m’a beaucoup aidé à me sentir mieux après ce qu’il m’est arrivé.
J’ai été remboursé de 12 000 anciens francs par le trésor public le 21 juin 1955 car je suis une victime de guerre, je n’aime pas à vrai dire ce terme car il me rappelle de très mauvais souvenirs mais c’est une façon de reconnaître ces années d’enfer et la responsabilité de l’Etat français. Et j’ai été nommé déporté politique le 14 janvier 1955.
Perlette et moi avons chacun refait notre vie de notre côté mais nous sommes restés le plus proches possible. Perlette s’est mariée et en 1947 et ils ont eu leur premier enfant Maurice Pons du même nom que son père. De mon côté je n’ai pas voulu avoir d’enfant, ce traumatisme me hantait et je ne voulais absolument pas qu’il vive ce que j’ai vécu.
Avec ma sœur, nous avons repris l’entreprise de notre père tout en essayant de garder la même ambiance qu’à l’époque de notre père.
Malheureusement, la suite nous est inconnue, on perd la trace de Marcel : nous n’avons pas retrouvé sa date de mort car nous n’avons pas pu aller aux Archives de Paris.
Très beau travail, émouvant, bien écrit et documenté.
Marcel Draï est mort le 7 novembre 1986, à Cannes.Il avait 59 ans.
pour une photo du café Draï après guerre (1946) voir https://jewpop.com/culture/juifs-afrique-du-nord-pletzl-presence-meconnue-epreuves-oubliees/
Le bar Maurice, on y voit Perlette, son mari Raphaël, et Marcel.