Biographie d’ Otto Heller, de profil sur l’image ci-contre.
« Otto Heller, l’auteur du livre Sibérie, une autre Amérique ». Portrait de profil d’Otto Heller. Esquisse publiée le 28 mars 1930 dans le magazine gauche Die Rote Fahne.
ANNO/ Bibliothèque nationale d’Autriche : Die Rote Fahne, Wien, 28 mars 1930, XIIIème année, N° 75 page 4.
Parmi les déportés du convoi 77, Otto Heller fait partie des personnes ayant atteint une certaine notoriété. Né le 14 décembre 1897 à Vienne en Autriche au sein d’une famille fortunée juive originaire de Bohême, il devient journaliste, écrivain et propagandiste communiste agissant entre Paris, Berlin et Moscou.
Son père, Franz Heller, né en 1852 est mandataire commercial. Sa mère Marie Löwie est née en 1861 à Mlada Boleslav.[1]
Quand la Première Guerre mondiale est déclarée, Otto Heller a dix-sept ans. Sous-lieutenant dans l’armée austro-hongroise, il fait au front italien la connaissance de journalistes socialistes et d’officiers yougoslaves et tchèques indépendantistes. Emma Heller, son épouse, qualifie dans la biographie qu’elle écrit de son mari ces premiers contacts de « déterminants »[2].
Après la guerre, en 1918, il devient adhérent du Parti ouvrier social-démocrate autrichien. Sa famille, qui ne soutient pas son engagement politique, souhaite l’éloigner du milieu socialiste dans lequel il évolue et le force à quitter Vienne afin qu’il poursuive ses études juridiques à Prague. Cependant, la distance ne provoque pas chez lui le changement escompté par ses parents : il commence à publier des articles dans divers journaux, dont le magazine Bildungsarbeit[3] (Travail éducatif) qui fait le lien entre les idées socialistes et l’éducation scolaire et populaire. De même, il s’occupe de l’organisation de l’école du Mouvement socialiste allemand des ouvriers (Deutsche Sozialistische Arbeiterbewegung) en Bohême du Nord. En 1921, en tant que membre du conseil d’administration des Jeunesses socialistes, il cofonde la section allemande du Parti communiste en Tchécoslovaquie.
Suite à un voyage en Union Soviétique sous la nationalité autrichienne, il perd en 1926 son permis de séjour à Prague[4]. Otto Heller est alors obligé de déménager. Il se décide pour Berlin, afin de rester éloigné de ses parents. Dans la capitale allemande il travaille en tant que journaliste pour plusieurs journaux, dont Die rote Fahne (Le drapeau rouge) est probablement le plus connu. En même temps, il poursuit ses voyages en Union Soviétique qui lui servent à rédiger plusieurs guides touristiques politiques, comme Das Geheimnis der Mandschurei (Le secret de la Mandchourie) ou Sibirien, ein anderes Amerika (Sibérie, une autre Amérique).
A Berlin son engagement politico-éducatif ne faibli pas non plus. Otto Heller figure sur la liste des formateurs et des maîtres de conférences de l’Université populaire Marxistische Arbeiterschule (École marxiste des travailleurs) de l’année universitaire 1931-1932, au même titre que le physicien Albert Einstein, l’écrivain Egon Erwin Kisch ou l’artiste et photographe John Heartfield[5].
A la même époque, Heller s’occupe de plus en plus d’analyse et de réflexion sur le judaïsme depuis une perspective communiste. Il cherche aussi un moyen de discuter la question juive du point de vue de l’opposition antihitlérienne, bien que ce fût un concept fasciste. Son ouvrage radical Der Untergang des Judentums. Die Judenfrage, ihre Kritik, ihre Lösung durch den Sozialismus (La fin du judaïsme. La question juive, sa critique, sa solution par le socialisme[6]) le rend célèbre. Dans cet écrit, il revendique la dissolution du judaïsme dans le socialisme. Selon lui, les Juifs doivent rejoindre le Parti communiste afin de détruire l’ordre capitaliste qui est, à son avis, l’origine de l’exploitation et de l’antisémitisme. Malgré les critiques qu’elle reçoit[7], cette publication est marquante pour l’opposition communiste contre le national-socialisme, même après la guerre[8]. En 1939, à Paris, il prépare un second ouvrage intitulé Der Jude wird verbrannt[9] (Le juif sera brulé) qui reste à l’état manuscrit et n’est jamais publié.
Après la prise de pouvoir d’Adolf Hitler le 30 janvier 1933, Otto Heller fuit en Suisse où il rédige des articles pour plusieurs journaux. Cependant, on ne lui accorde ni le permis de séjour, ni le permis de travail. C’est la raison pour laquelle il se décide, à l’été 1934, à émigrer en Union Soviétique où on lui avait proposé un poste à la rédaction de l’organe de la section allemande de l’Internationale communiste Deutsche Zentralzeitung (DZZ) à Moscou. Suite à plusieurs arrestations parmi les membres de la rédaction en 1936, il se sent forcé à quitter l’U.R.S.S.
Il se retrouve à Paris où il poursuit son engagement politique et journalistique dans les cercles des immigrants. Egalement, Heller commence ici à rédiger des textes propagandistes pour les brigadistes autrichiens de la Guerre d’Espagne.[10]
Au début de la Seconde Guerre mondiale, en septembre 1939, Otto Heller est arrêté en tant qu‘étranger d’origine autrichienne. Les autorités françaises l’internent au stade de Colombes, puis à Meslay-du-Maine. Finalement, le 19 janvier 1940, il est libéré[11], en raison de son enregistrement comme ex-autrichien[12] à la Préfecture de Police en mars 1938. En mai 1940, il subit une deuxième arrestation à Meslay, puis il est contraint au travail forcé dans le sud de la France.[13]
A Langlade, près de Nîmes, Heller loue une ferme qui sert de lieu de rendez-vous pour des anciens combattants autrichiens de la Guerre d’Espagne. Quand les autorités françaises de Vichy l’apprennent, il est traduit devant un tribunal militaire à Montauban et accusé de haute trahison. Le tribunal déclare Heller non coupable. Il est néanmoins interné au camp du Vernet d’Ariège destiné aux « étrangers indésirables ». Il reçoit un visa, puis est transféré vers Les Milles, près de Marseille. Ce camp était passé sous le contrôle du ministère de l’Intérieur en novembre 1940 et était devenu le seul camp de transit en France en attente d’exil.
De là, il réussit à s’enfuir. Heller recontacte alors la résistance autrichienne à Paris qui le met en relation avec l’organisation résistante Travail Allemand (TA). Fondé en 1941 par des réfugiés germanophones et lié avec la Résistance française, ainsi qu’avec les organisations communistes des immigrés en France, le Travail Allemand, ou Travail anti-Allemand, menait des tâches antihitlériennes au sein des services de l’occupant[14].
Ainsi, le TA charge Otto Heller de s’infiltrer dans une unité de la Wehrmacht. Sous le nom de Raymond Brunet, il se fait passer pour interprète. Il informe des groupes résistants français sur les mouvements de troupes allemands et en diffusant des tracts illégaux, il essaye d’affaiblir le moral des Allemands. Cependant, le 23 décembre 1943 Otto Heller est arrêté par la Gestapo à Lille[15]. Le 25 juillet 1944 il arrive à Drancy, transféré depuis la prison de Fresnes (Valle-de-Marne)[16]. A cette époque-là, utilisée par les nazis, la prison de Fresnes est un lieu reconnu de la torture des résistants. Avec le convoi 77, le dernier grand convoi ayant quitté Drancy vers Auschwitz, Heller est transféré le 31 juillet à Birkenau.
Là, Heller entre rapidement en contact avec le groupe résistant dont faisait partie le communiste Bruno Baum. Celui-ci est un des trois organisateurs de la Kampfgruppe Auschwitz (Groupe de lutte Auschwitz), une grande organisation clandestine et internationale à l’intérieur du camp[17]. Avec Baum, Jòzef Cyrankiewicz, Albert Arpad Haas et d’autres[18], Heller devient l’un des responsables de la Redaktionskomission (Comité de rédaction) de la Kampfgruppe Auschwitz, le service de lutte contre la propagande nazie. Ils rédigent ensemble des articles et des discours afin d’informer l’opinion mondiale sur « la situation au camp et le massacre collectif »[19]. Les articles qu’il rédige sont transmis par radio à l’aide d’émetteurs à ondes courtes cachés à l’intérieur du camp, mais aussi depuis Cracovie, vers une station de radio à Londres. Bruno Baum décrit dans son livre Widerstand in Auschwitz comment Heller, qui selon lui aurait travaillé avec son Arbeitskommando en dehors des barbelés, introduisait ses textes – ce qui voudrait dire que Heller écrivait hors du camp – cachés dans des tubes de dentifrice[20].
A partir du 18 janvier 1945 les nazis évacuent Auschwitz. Otto Heller se retrouve à Mauthausen, puis à Ebensee où, très affaibli, sous-alimenté et atteint de phlegmons, il décède le 24 mars 1945[21].
Ce texte est rédigé par Leonard Wilhelm, entre 2016 et 2017 volontaire d’organisation Aktion Sühnezeichen Friedensdienste en Service Civique au Mémorial de la Shoah pour l’association Convoi 77 avec l’aide de Manuel Mingot-Nicaise, catalogueur des archives du Mémorial de la Shoah.
[1] Courrier du 29 novembre 1939 d’Emma Heller, destiné à Monsieur le Général de Michaux, Président de la Commission Supérieur Interministérielle de Criblage, Ministère de l’Intérieur (Direction de la Sûreté Nationale) : Archives nationales de France : 21119 – HELLER – Otto – AN-19940451-102 – dossier n°8796, page 22
[2] HELLER, Emma : Biographie Otto Heller. Manuscrit dactylographié le 28/01/1967 à Gif-sur-Yvette., p. 1, dans DÖW 3834 (Dokumentationsarchiv des österreichischen Widerstandes (Archives documentaires de la résistance autrichienne)), (d’après SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen und PublizistInnen im Spanischen Bürgerkrieg 1936-1939 : Medienpolitik und Presse der Internationalen Brigaden. LIT, Vienne, 2016, p. 279)
[3] http://litkult1920er.aau.at/?q=lexikon/heller-otto (consulté le 23/03/2017)
[4] SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen … (Op. cit.) p. 279
[5] http://andreas-peglau-psychoanalyse.de/die-marxistische-arbeiterschule-masch/ (consulté le 23/03/2017)
[6] HELLER, Otto : La fin du judaïsme. Traduit par Marcel Ollivier, Rieder, Paris, 1933 (Mémorial de la Shoah Paris: 2.6686)
[7] Par exemple : REICHMANN-JUNGMANN, Eva: „Der Untergang des Judentums“ [recension]. Publiée dans : Der Morgen. Monatsschrift der Juden in Deutschland, année 8, N° 1 (avril 1932), p. 64-72. Consultée le 04/04/2017 sur le site du projet Compact Memory de la Université Goethe à Francfort-sur-Main : http://sammlungen.ub.uni-frankfurt.de/cm/periodical/titleinfo/2902165
[8] Un exemple : Une lettre (Mémorial de la Shoah Paris : CCCLXXXIX-12), datée du 19/12/1947, d’un membre du parti social-démocrate allemand (SPD), adressée à la rédaction d’un journal allemand, répondant à un sondage sur l’antisémitisme : l’auteur , qui se considère marxiste, qualifie le « combat d’extermination » comme un « combat des classes » entre les capitalistes juifs et le « capital monopolistique » allemand – selon lui, « commanditaire du national-socialisme ». A son avis, les nombreuses victimes de la « classe non-possédante » sont un effet secondaire pour cacher les intentions capitalistes, comme il dit « pseudo-racistes ». En citant et recommandant expressément « la fin du judaïsme » d’Heller, il déclare qu’il faut surmonter le capitalisme pour vaincre l’antisémitisme.
[9] HELLER, Otto : Studien zur Juden- und Rassenfrage, Der Jude wird verbrannt. Unveröffentlichtes Manuskript. Paris, 1939. Dans: DÖW 3652 (d’après SCHÜTZ, Edgar: Österreichische JournalistInnen … (Op. cit.), p. 280)
[10] SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen… (Op. cit.), p. 281
[11] Acte de libération du 19 janvier 1940 : Archives nationales de France : 21119 – HELLER – Otto – AN-19940451-102 – dossier n°8796, page 9
[12] Ce statut est créé par l’état français en 1938, suite à l’Anschluss, afin de permettre une distinction entre les autrichiens antihitlériens et les nazis autrichiens se trouvant/résidant en France.
[13] SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen… (Op. cit.), p. 281
[14] COLLIN, Claude, Le « Travail Allemand », une organisation de résistance au sein de la Wehrmacht : Articles et témoignages, Les Indes savantes, Paris, 2013 (Mémorial de la Shoah : 2.38728)
[15] SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen… (Op. cit.), p.282
[16] Cahiers de mutation de Drancy, Mémorial de la Shoah/Archives nationales de France : FRAN107_F_9_5788_0053_L
[17] ŚWIEBOCKI, Henryk : La Résistance dans DLUGOBORSKI, Wacław, PIPER, Franciszek (édit.) : Auschwitz 1940-1945, Volume IV, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, 2011, p.: 155 (Mémorial de la Shoah Paris : 3.35171 (4))
[18] Ibidem, p. 157
[19] BAUM, Bruno: Widerstand in Auschwitz, VVN-Verlag, Berlin-Potsdam, 1949, p. 33 (Mémorial de la Shoah Paris : 1.33030)
[20] Ibidem, p. 34
[21] HELLER, Emma : Biographie Otto Heller… (Op. cit.), p.5 (d‘après SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen… (Op. cit.), p. 282)Biographie d’ Otto Heller, de profil sur l’image ci-contre.
« Otto Heller, l’auteur du livre Sibérie, une autre Amérique ». Portrait de profil d’Otto Heller. Esquisse publiée le 28 mars 1930 dans le magazine gauche Die Rote Fahne.
ANNO/ Bibliothèque nationale d’Autriche : Die Rote Fahne, Wien, 28 mars 1930, XIIIème année, N° 75 page 4.
Parmi les déportés du convoi 77, Otto Heller fait partie des personnes ayant atteint une certaine notoriété. Né le 14 décembre 1897 à Vienne en Autriche au sein d’une famille fortunée juive originaire de Bohême, il devient journaliste, écrivain et propagandiste communiste agissant entre Paris, Berlin et Moscou.
Son père, Franz Heller, né en 1852 est mandataire commercial. Sa mère Marie Löwie est née en 1861 à Mlada Boleslav.[1]
Quand la Première Guerre mondiale est déclarée, Otto Heller a dix-sept ans. Sous-lieutenant dans l’armée austro-hongroise, il fait au front italien la connaissance de journalistes socialistes et d’officiers yougoslaves et tchèques indépendantistes. Emma Heller, son épouse, qualifie dans la biographie qu’elle écrit de son mari ces premiers contacts de « déterminants »[2].
Après la guerre, en 1918, il devient adhérent du Parti ouvrier social-démocrate autrichien. Sa famille, qui ne soutient pas son engagement politique, souhaite l’éloigner du milieu socialiste dans lequel il évolue et le force à quitter Vienne afin qu’il poursuive ses études juridiques à Prague. Cependant, la distance ne provoque pas chez lui le changement escompté par ses parents : il commence à publier des articles dans divers journaux, dont le magazine Bildungsarbeit[3] (Travail éducatif) qui fait le lien entre les idées socialistes et l’éducation scolaire et populaire. De même, il s’occupe de l’organisation de l’école du Mouvement socialiste allemand des ouvriers (Deutsche Sozialistische Arbeiterbewegung) en Bohême du Nord. En 1921, en tant que membre du conseil d’administration des Jeunesses socialistes, il cofonde la section allemande du Parti communiste en Tchécoslovaquie.
Suite à un voyage en Union Soviétique sous la nationalité autrichienne, il perd en 1926 son permis de séjour à Prague[4]. Otto Heller est alors obligé de déménager. Il se décide pour Berlin, afin de rester éloigné de ses parents. Dans la capitale allemande il travaille en tant que journaliste pour plusieurs journaux, dont Die rote Fahne (Le drapeau rouge) est probablement le plus connu. En même temps, il poursuit ses voyages en Union Soviétique qui lui servent à rédiger plusieurs guides touristiques politiques, comme Das Geheimnis der Mandschurei (Le secret de la Mandchourie) ou Sibirien, ein anderes Amerika (Sibérie, une autre Amérique).
A Berlin son engagement politico-éducatif ne faibli pas non plus. Otto Heller figure sur la liste des formateurs et des maîtres de conférences de l’Université populaire Marxistische Arbeiterschule (École marxiste des travailleurs) de l’année universitaire 1931-1932, au même titre que le physicien Albert Einstein, l’écrivain Egon Erwin Kisch ou l’artiste et photographe John Heartfield[5].
A la même époque, Heller s’occupe de plus en plus d’analyse et de réflexion sur le judaïsme depuis une perspective communiste. Il cherche aussi un moyen de discuter la question juive du point de vue de l’opposition antihitlérienne, bien que ce fût un concept fasciste. Son ouvrage radical Der Untergang des Judentums. Die Judenfrage, ihre Kritik, ihre Lösung durch den Sozialismus (La fin du judaïsme. La question juive, sa critique, sa solution par le socialisme[6]) le rend célèbre. Dans cet écrit, il revendique la dissolution du judaïsme dans le socialisme. Selon lui, les Juifs doivent rejoindre le Parti communiste afin de détruire l’ordre capitaliste qui est, à son avis, l’origine de l’exploitation et de l’antisémitisme. Malgré les critiques qu’elle reçoit[7], cette publication est marquante pour l’opposition communiste contre le national-socialisme, même après la guerre[8]. En 1939, à Paris, il prépare un second ouvrage intitulé Der Jude wird verbrannt[9] (Le juif sera brulé) qui reste à l’état manuscrit et n’est jamais publié.
Après la prise de pouvoir d’Adolf Hitler le 30 janvier 1933, Otto Heller fuit en Suisse où il rédige des articles pour plusieurs journaux. Cependant, on ne lui accorde ni le permis de séjour, ni le permis de travail. C’est la raison pour laquelle il se décide, à l’été 1934, à émigrer en Union Soviétique où on lui avait proposé un poste à la rédaction de l’organe de la section allemande de l’Internationale communiste Deutsche Zentralzeitung (DZZ) à Moscou. Suite à plusieurs arrestations parmi les membres de la rédaction en 1936, il se sent forcé à quitter l’U.R.S.S.
Il se retrouve à Paris où il poursuit son engagement politique et journalistique dans les cercles des immigrants. Egalement, Heller commence ici à rédiger des textes propagandistes pour les brigadistes autrichiens de la Guerre d’Espagne.[10]
Au début de la Seconde Guerre mondiale, en septembre 1939, Otto Heller est arrêté en tant qu‘étranger d’origine autrichienne. Les autorités françaises l’internent au stade de Colombes, puis à Meslay-du-Maine. Finalement, le 19 janvier 1940, il est libéré[11], en raison de son enregistrement comme ex-autrichien[12] à la Préfecture de Police en mars 1938. En mai 1940, il subit une deuxième arrestation à Meslay, puis il est contraint au travail forcé dans le sud de la France.[13]
A Langlade, près de Nîmes, Heller loue une ferme qui sert de lieu de rendez-vous pour des anciens combattants autrichiens de la Guerre d’Espagne. Quand les autorités françaises de Vichy l’apprennent, il est traduit devant un tribunal militaire à Montauban et accusé de haute trahison. Le tribunal déclare Heller non coupable. Il est néanmoins interné au camp du Vernet d’Ariège destiné aux « étrangers indésirables ». Il reçoit un visa, puis est transféré vers Les Milles, près de Marseille. Ce camp était passé sous le contrôle du ministère de l’Intérieur en novembre 1940 et était devenu le seul camp de transit en France en attente d’exil.
De là, il réussit à s’enfuir. Heller recontacte alors la résistance autrichienne à Paris qui le met en relation avec l’organisation résistante Travail Allemand (TA). Fondé en 1941 par des réfugiés germanophones et lié avec la Résistance française, ainsi qu’avec les organisations communistes des immigrés en France, le Travail Allemand, ou Travail anti-Allemand, menait des tâches antihitlériennes au sein des services de l’occupant[14].
Ainsi, le TA charge Otto Heller de s’infiltrer dans une unité de la Wehrmacht. Sous le nom de Raymond Brunet, il se fait passer pour interprète. Il informe des groupes résistants français sur les mouvements de troupes allemands et en diffusant des tracts illégaux, il essaye d’affaiblir le moral des Allemands. Cependant, le 23 décembre 1943 Otto Heller est arrêté par la Gestapo à Lille[15]. Le 25 juillet 1944 il arrive à Drancy, transféré depuis la prison de Fresnes (Valle-de-Marne)[16]. A cette époque-là, utilisée par les nazis, la prison de Fresnes est un lieu reconnu de la torture des résistants. Avec le convoi 77, le dernier grand convoi ayant quitté Drancy vers Auschwitz, Heller est transféré le 31 juillet à Birkenau.
Là, Heller entre rapidement en contact avec le groupe résistant dont faisait partie le communiste Bruno Baum. Celui-ci est un des trois organisateurs de la Kampfgruppe Auschwitz (Groupe de lutte Auschwitz), une grande organisation clandestine et internationale à l’intérieur du camp[17]. Avec Baum, Jòzef Cyrankiewicz, Albert Arpad Haas et d’autres[18], Heller devient l’un des responsables de la Redaktionskomission (Comité de rédaction) de la Kampfgruppe Auschwitz, le service de lutte contre la propagande nazie. Ils rédigent ensemble des articles et des discours afin d’informer l’opinion mondiale sur « la situation au camp et le massacre collectif »[19]. Les articles qu’il rédige sont transmis par radio à l’aide d’émetteurs à ondes courtes cachés à l’intérieur du camp, mais aussi depuis Cracovie, vers une station de radio à Londres. Bruno Baum décrit dans son livre Widerstand in Auschwitz comment Heller, qui selon lui aurait travaillé avec son Arbeitskommando en dehors des barbelés, introduisait ses textes – ce qui voudrait dire que Heller écrivait hors du camp – cachés dans des tubes de dentifrice[20].
A partir du 18 janvier 1945 les nazis évacuent Auschwitz. Otto Heller se retrouve à Mauthausen, puis à Ebensee où, très affaibli, sous-alimenté et atteint de phlegmons, il décède le 24 mars 1945[21].
Ce texte est rédigé par Leonard Wilhelm, entre 2016 et 2017 volontaire d’organisation Aktion Sühnezeichen Friedensdienste en Service Civique au Mémorial de la Shoah pour l’association Convoi 77 avec l’aide de Manuel Mingot-Nicaise, catalogueur des archives du Mémorial de la Shoah.
[1] Courrier du 29 novembre 1939 d’Emma Heller, destiné à Monsieur le Général de Michaux, Président de la Commission Supérieur Interministérielle de Criblage, Ministère de l’Intérieur (Direction de la Sûreté Nationale) : Archives nationales de France : 21119 – HELLER – Otto – AN-19940451-102 – dossier n°8796, page 22
[2] HELLER, Emma : Biographie Otto Heller. Manuscrit dactylographié le 28/01/1967 à Gif-sur-Yvette., p. 1, dans DÖW 3834 (Dokumentationsarchiv des österreichischen Widerstandes (Archives documentaires de la résistance autrichienne)), (d’après SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen und PublizistInnen im Spanischen Bürgerkrieg 1936-1939 : Medienpolitik und Presse der Internationalen Brigaden. LIT, Vienne, 2016, p. 279)
[3] http://litkult1920er.aau.at/?q=lexikon/heller-otto (consulté le 23/03/2017)
[4] SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen … (Op. cit.) p. 279
[5] http://andreas-peglau-psychoanalyse.de/die-marxistische-arbeiterschule-masch/ (consulté le 23/03/2017)
[6] HELLER, Otto : La fin du judaïsme. Traduit par Marcel Ollivier, Rieder, Paris, 1933 (Mémorial de la Shoah Paris: 2.6686)
[7] Par exemple : REICHMANN-JUNGMANN, Eva: „Der Untergang des Judentums“ [recension]. Publiée dans : Der Morgen. Monatsschrift der Juden in Deutschland, année 8, N° 1 (avril 1932), p. 64-72. Consultée le 04/04/2017 sur le site du projet Compact Memory de la Université Goethe à Francfort-sur-Main : http://sammlungen.ub.uni-frankfurt.de/cm/periodical/titleinfo/2902165
[8] Un exemple : Une lettre (Mémorial de la Shoah Paris : CCCLXXXIX-12), datée du 19/12/1947, d’un membre du parti social-démocrate allemand (SPD), adressée à la rédaction d’un journal allemand, répondant à un sondage sur l’antisémitisme : l’auteur , qui se considère marxiste, qualifie le « combat d’extermination » comme un « combat des classes » entre les capitalistes juifs et le « capital monopolistique » allemand – selon lui, « commanditaire du national-socialisme ». A son avis, les nombreuses victimes de la « classe non-possédante » sont un effet secondaire pour cacher les intentions capitalistes, comme il dit « pseudo-racistes ». En citant et recommandant expressément « la fin du judaïsme » d’Heller, il déclare qu’il faut surmonter le capitalisme pour vaincre l’antisémitisme.
[9] HELLER, Otto : Studien zur Juden- und Rassenfrage, Der Jude wird verbrannt. Unveröffentlichtes Manuskript. Paris, 1939. Dans: DÖW 3652 (d’après SCHÜTZ, Edgar: Österreichische JournalistInnen … (Op. cit.), p. 280)
[10] SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen… (Op. cit.), p. 281
[11] Acte de libération du 19 janvier 1940 : Archives nationales de France : 21119 – HELLER – Otto – AN-19940451-102 – dossier n°8796, page 9
[12] Ce statut est créé par l’état français en 1938, suite à l’Anschluss, afin de permettre une distinction entre les autrichiens antihitlériens et les nazis autrichiens se trouvant/résidant en France.
[13] SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen… (Op. cit.), p. 281
[14] COLLIN, Claude, Le « Travail Allemand », une organisation de résistance au sein de la Wehrmacht : Articles et témoignages, Les Indes savantes, Paris, 2013 (Mémorial de la Shoah : 2.38728)
[15] SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen… (Op. cit.), p.282
[16] Cahiers de mutation de Drancy, Mémorial de la Shoah/Archives nationales de France : FRAN107_F_9_5788_0053_L
[17] ŚWIEBOCKI, Henryk : La Résistance dans DLUGOBORSKI, Wacław, PIPER, Franciszek (édit.) : Auschwitz 1940-1945, Volume IV, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, 2011, p.: 155 (Mémorial de la Shoah Paris : 3.35171 (4))
[18] Ibidem, p. 157
[19] BAUM, Bruno: Widerstand in Auschwitz, VVN-Verlag, Berlin-Potsdam, 1949, p. 33 (Mémorial de la Shoah Paris : 1.33030)
[20] Ibidem, p. 34
[21] HELLER, Emma : Biographie Otto Heller… (Op. cit.), p.5 (d‘après SCHÜTZ, Edgar : Österreichische JournalistInnen… (Op. cit.), p. 282)
Léonard Willhelm,
je ne sais pas si tu liras ce message, mais nous aurions trouvé trace d’une personne s’appelant Lily Papineau, née Heller, habitant ou ayant habité à Gif sur Yvette et qui a été décorée de la légion d’honneur dans cette ville, en 2015, sans doute pour son activité scientifique. Encore merci pour ton travail exhaustif de recherche. Amicalement.
Serge
Lily Heller, sa fille, est aussi reconnue comme résistante (cf archives SHD, Vincennes)