Charlotte LEWIN (1926-2016)
Photo ci-contre, Charlotte LEWIN en 1942
Source : FINGER Blanche , KAREL William Karel, La Rafle du Vel d’Hiv… 50 ans après – Opération vent printanier France, 1992, 60 minutes.
Charlotte Lewin naît à Paris le 15 janvier 1926. Son père, Moszek ou Mojzesz (Moïse) LEWIN, âgé de 34 ans (il est né à Lublin le 24 juillet 1891 dans une Pologne russifiée et annexée à l’empire russe), est brocanteur et marchand forain, et possède un magasin à Paris. Sa mère, Bajla (Berthe) LEWIN, a 32 ans , elle est née BRONSZTEJN (BAURENSTEIN) à Kasniez (Pologne occupée) en 1893. Charlotte a deux sœurs et trois frères : Israël né en 1916, Esther née à Lublin en 1917, Anna née en 1922, Maurice né en 1923 et Raymond né à Paris en 1930.
En 1924, la famille LEWIN quitte la Pologne pour émigrer en France. Mojzesz et Bajla LEWIN s’installent avec leurs quatre enfants à Paris dans le 18e arrondissement. La famille s’agrandit avec la naissance de Charlotte en 1926, puis celle de son petit frère, Raymond.
En 1936, Israël s’engage à 20 ans dans les Brigades Internationales en Espagne. Tout comme André MALRAUX, il est parti « par amour de la liberté et de la fraternité » (1). En novembre 1936, le frère de Charlotte fait partie des 5000 victimes de la bataille de Madrid, côté République Espagnole.
Le 19 avril 1938, Esther, garnisseuse en chapeaux, se marie avec André SCHOTLAND.
En août 1939, Raymond et Charlotte sont envoyés en colonie de vacances par leur école, à Senones, dans les Vosges.
Suite à la déclaration de guerre le 3 septembre 1939, la colonie de Raymond et de Charlotte est évacuée vers la Normandie, à Villers-sur-Mer.
À 49 ans, le père de Charlotte s’engage volontairement dans l’armée française afin de défendre son pays d’accueil alors même que lui et sa femme n’ont pas été naturalisés malgré leurs demandes (ils sont apatrides).
Partis pour un mois de vacances, Charlotte et Raymond sont restés un an en Normandie. Ils n’ont regagné Paris qu’en juillet 1940, après l’armistice du 25 juin. Charlotte reprend alors ses études dans un collège parisien dès la rentrée scolaire.
Le 16 juillet 1942, Charlotte, Raymond et leurs parents sont arrêtés lors de la Rafle du Vélodrome d’Hiver. Ils sont tous emmenés au commissariat de la place Jules Joffrin. Charlotte est alors libérée car elle est française. Charlotte se retrouve alors toute seule avec ses deux sœurs et son frère aîné : Esther, Anna et Maurice. Ses parents et son frère, Raymond, sont internés le 18 juillet au camp de Pithiviers. Mojzesz LEWIN est déporté vers Auschwitz par le convoi n° 13 du 31 juillet 1942, à 51 ans. Bajla, la mère de Charlotte, est déportée le 03 août 1942 par le convoi n°14, en direction d’Auschwitz. Raymond, le petit frère de Charlotte, est déporté par le convoi n°24 vers Auschwitz le 26 août 1942. Il avait 12 ans.
Abandonnés de tout le monde, les trois sœurs (Charlotte, Anna et Esther) et leur frère, Maurice, connaissent des semaines de détresse et de désespoir. Esther est sans nouvelles de son mari, prisonnier de guerre. Anna a trouvé refuge dans un pensionnat de „La protection de la jeune fille israélite” où Charlotte la rejoint régulièrement. Maurice travaille dans un atelier de fourrure.
Le 8 octobre 1942, Esther est arrêtée à son tour et emmenée au camp de Drancy. Elle est déportée à Auschwitz le 11 novembre 1942 (convoi n° 45) où elle est assassinée. Elle avait 25 ans.
Fin novembre 1942, suite au départ de Maurice vers la zone libre, Charlotte rejoint sa sœur Anna dans son pensionnat du boulevard Magenta. Puis les deux sœurs sont déplacées dans plusieurs pensions pour jeunes filles de l’U.G.I.F. Fin avril 1944, Charlotte est séparée de sa sœur Anna et placée dans un pensionnat de la rue Vauquelin.
Dans la nuit du 22 juillet 1944, la police investit plusieurs orphelinats parisiens dont celui de Charlotte. Elle est emmenée à Drancy comme environ 400 enfants cette nuit-là. Anna, logée dans un autre pensionnat, a échappé à l’arrestation. Tous les enfants de son pensionnat ont pu s’enfuir avant l’intervention de la police.
Le 31 juillet 1944, Charlotte est déportée vers Auschwitz dans le convoi n°77. Elle a 18 ans. Elle quitte Paris un mois avant la libération de la capitale. Le trajet en train dura trois jours et trois nuits sous la chaleur de l’été. 726 personnes déportées sont gazées à l’arrivée du convoi dans la nuit du 3 août. Initialement, le convoi 77 était composé de 1300 personnes. Charlotte fait partie des personnes sélectionnées pour le travail forcé. Le 4 août dans la matinée, le numéro A16752 est tatoué sur son avant-bras gauche.
Charlotte connaît l’enfer d’Auschwitz-Birkenau (Lager B 2) pendant trois longs mois jusqu’au 27 octobre 1944, date à laquelle elle est sélectionnée par Joseph MENGELE avec une dizaine de femmes. Pendant trois jours et trois nuits, elle attend enfermée dans un bloc le camion pour la chambre à gaz. Lors de l’appel du 30 octobre, les Allemands font sortir du rang Charlotte et une autre femme. Cette nouvelle sélection va sauver Charlotte de la mort.
Le 31 octobre 1944, Charlotte quitte le camp d’Auschwitz-Birkenau. Après un long trajet dans un wagon à bestiaux où elle retrouve Berthe, sa camarade de pension, elle arrive, le 3 novembre, à Bergen-Belsen en Allemagne. Charlotte va rester trois mois dans ce camp de concentration. Le 15 janvier 1945, « les femmes à qui était dévolu le tour de gratter le fond de tonneau ont dit : „Nous cédons notre tour à Charlotte, c’est elle seule qui grattera le fond, c’est notre cadeau d’anniversaire” » (2). C’est ainsi que les camarades de Charlotte lui ont „fêté” ses 19 ans. Le 1erfévrier 1945, trois civils allemands accompagnés de militaires entrent dans le camp pour opérer une sélection. Charlotte ment sur son âge et, en faisant croire qu’elle est couturière, réussit ainsi à être choisie.
Le 5 février 1945, Charlotte arrive à Raguhn, près de Leipzig, après avoir passé trois jours et trois nuits dans un wagon à bestiaux de la SNCF. Dans ce camp, certaines femmes ont été affectées au travail dans une usine. Les autres, dont Charlotte, furent chargées de l’entretien du camp.
Dans ce camp, Charlotte survit au typhus exanthématique.
Le 13 avril 1945, à cause de la pression des Alliés, le camp est évacué. Charlotte reprend le train : « le voyage de l’horreur » (3). Après huit jours passés dans un wagon à bestiaux, le train s’arrête près du camp de Theresienstadt, dans les Sudètes annexés.
Le 10 mai 1945, l’armée russe libère le camp mais il faut attendre le 31 mai 1945 pour que commence le rapatriement des Françaises. Enfin la LIBERTÉ !
Le 2 juin 1945, l’avion dans lequel se trouve Charlotte part de Pilsen et se pose quelques heures plus tard à Lyon. Après des examens médicaux à l’hôpital de Lyon-Sathonay, Charlotte prend le train en direction de Paris le 6 juin.
Après avoir été prise en charge : soignée, nourrie et logée, elle retrouve sa sœur Anna le 7 juin 1945 et son grand frère Maurice le 16 juin 1945.
Plus tard, elle apprendra que son père a été fusillé après la liquidation du ghetto de Varsovie suite à l’insurrection du 19 avril 1943.
En mars 1947, Charlotte commence à travailler en tant que secrétaire.
En février 1949, suite au mariage de sa sœur Anna, Charlotte vit seule quelques années et travaille dans un institut dentaire à Neuilly. En septembre 1955, Charlotte fait connaissance de Pierre Schapira, un patient qui attendait dans la salle d’attente d’une dentiste amie. Dans cette salle d’attente, elle rencontre l’amour. Ils se marient en janvier 1956.
En octobre 1957, Charlotte et Pierre ont un enfant, Laure. Deux ans plus tard, Charlotte donne naissance à Aline.
À l’automne 1977, Charlotte décide de retourner à Auschwitz. Sa fille, Aline, l’accompagne. Ce voyage est, d’après ses mots, un choc mais également une façon de combattre ses cauchemars.
En 1988, Charlotte retourne à Auschwitz accompagnée de Pierre, son mari. Une cinquantaine de professeurs, d’Histoire notamment, font également partie du voyage.
Charlotte Schapira accorde une grande importance à la transmission de cette mémoire. Elle va à la rencontre des jeunes, en témoignant dans les collèges et les lycées durant plusieurs années. Le 8 décembre 2005, à l’invitation de Bertrand Bossy, professeur d’Histoire-Géographie, Charlotte témoigne à Cholet devant les élèves du lycée Renaudeau.
Charlotte est décédée en 2016.
Raymond et Esther LEWIN
Mojzesz et Bajla LEWIN
Source : CDJC, Mémorial de la Shoah
Charlotte SCHAPIRA témoigne devant les élèves du lycée Renaudeau (Cholet, Maine-et-Loire),
le 8 mars 2005.
Article rédigé par Killian Brémond, Théliau Thoby et Mathis Boré (Lycée Renaudeau, Cholet, 1re ES2, mai 2018) dans le cadre du projet
„Polonais et Allemands : émigrés, expulsés et persécutés (1880-1945)„.
ACTIONS ÉDUCATIVES LIGÉRIENNES, Région Pays de la Loire, 2017/2018.
(1) Charlotte Schapira, Il faudra que je me souvienne, L’Harmattan, Paris, 1994, p. 11.
(2) Ibid, p. 92.
(3) Ibid, p. 105.
MÉMOIRE :
- PARIS, MÉMORIAL DE LA SHOAH : MUR DES NOMS et MÉMORIAL DES ENFANTS
Charlotte Lewin, Mur des Noms, Lycée Renaudeau (15 février 2018)
Raymond Lewin, Mémorial des Enfants, Mur des Noms, Lycée Renaudeau (15 février 2018)
- AUSCHWITZ-BIRKENAU : Commémoration lycée Renaudeau (15 mars 2018) Stèles Auschwitz-Birkenau (Bunker 2)
Commémoration lycée Renaudeau (15 mars 2018), Charlotte et Raymond Lewin
Sources :
- témoignages :
- SCHAPIRA Charlotte, Il faudra que je me souvienne. La déportation des enfants de l’Union Générale des Israélites de France, Paris, L’Harmattan, 1994, 140 p.
- FINGER Blanche , KAREL William Karel, La Rafle du Vel d’Hiv… 50 ans après – Opération vent printanier France, 1992, 60 minutes, documentaire diffusé dans l’émission La Marche du siècle, France 3, 1992, Jean-Marie Cavada.
- SCHAPIRA Charlotte, Enregistrement témoignage Lycée Fernand Renaudeau, Cholet (Maine-et-Loire), 8 mars 2005.
- Remerciements à Yvette LEVY pour son témoignage devant les élèves de 1 ES2 du lycée Fernand Renaudeau, Mémorial de la Shoah, Paris, 15 février 2018.
2. Archives :
- Yad Vashem : témoignages & archives en ligne (https://yvng.yadvashem.org).
- CDJC-Mémorial de la Shoah : archives en ligne (http://www.memorialdelashoah.org).
- Mémorial des enfants, Mémorial de la Shoah (photographies extraites de Serge Klarsfeld, Livre Mémorial des enfants juifs déportés de France, éd. Les Fils et Filles des déportés de France, 1995).