Charles DRAÏ, 1930 – 1944
Nous allons présenter une autobiographie de Charles Draï qui est un déporté juif dans le convoi 77. Nous l’avons choisi grâce au site « Convoi 77 » et parce qu’en classe, certains ont été attirés par la photographie que notre professeur nous a présentée, il a l’air aussi jeune que nous. Nous avons découvert qu’il avait été déporté avec d’autres membres de sa famille donc nous avons étudié toute la famille Draï. (Voir le travail sur Berthe, Perlette et Marcel Draï) Afin de remplir notre devoir de mémoire et pour qu’il soit le plus complet possible, nous nous sommes inspirés de témoignages comme ceux de Ginette Kolinka, Henri Borlant et Ida Grinspan et d’interviews comme le documentaire sur Marceline Loridan. Cependant la plupart des informations concernant Charles Draï se trouvent sur les sites suivants : Convoi 77, Yad Vashem, Mémorial de la Shoah et Archives de Paris. Tout cela nous a servi à nous mettre dans la peau de Charles, âgé comme nous de 14 ans lors de son arrestation, afin de se rendre compte des difficultés qu’il a eues durant sa courte vie, de se mettre à sa place et de retracer son parcours – de sa naissance à sa mort- en étant le plus précis possible et, de temps en temps, en imaginant quand les documents ne répondaient pas à nos questions.
Je m’appelle Charles Draï et je suis né le 19 février 1930 à 6h30 à Paris dans le 4ème arrondissement, au 2 rue d’Arcole. A ma naissance, toute ma famille, mon père, ma mère, ma sœur Perlette et mon frère Marcel, vivait au 25 rue Blancs-Manteaux.
Mon père Moïse est né en 1897 en Algérie, tout comme ma mère Berthe, née le 3 février 1902. Mes parents se sont mariés le 18 septembre 1923 en Algérie avant d’arriver en France pour avoir une vie meilleure. Par conséquent, nous sommes une famille juive pieds-noirs.
Ma sœur Perlette est née le 24 avril 1925 à Paris au 2 rue d’Arcole comme mon grand-frère Marcel, né le 31 décembre 1926.
En 1933 puis en 1938, ma famille s’est agrandie avec deux petits frères, Roger puis Richard. Au début de la guerre en 1939, la situation n’a pas changé pour moi, j’ai 9 ans et je vais à l’école du quartier. Avec maman, nous allons aussi au parc avec mes petits frères. Perlette a 14 ans, Marcel 13 ans, Roger 6 ans et Richard est un bébé de 1 an. Mon père tient un bar en bas de notre immeuble, le bar « Maurice » rue François Miron.
Ce recensement de 1936 nous montre la composition de la famille rue François Miron, Moïse, chef de famille est commerçant, tient un bar dans le 4ème, Berthe, épouse et sans profession, Perlette, fille, Marcel, fils, Charly pour Charles, fils et Roger, fils. En 1936, Richard n’est pas encore né.
A 10 ans, je ne comprends pas tout de la situation, mais je vois bien les soldats allemands dans les rues et les affiches antisémites. Papa et maman parlent tout bas et je comprends que nous avons des problèmes. Après avoir joué aux soldats pendant un an avec les copains, nous avons perdu la guerre et ce sont les soldats allemands qui ont envahi nos rues avec leurs panneaux de signalisation. Mon père perd son bar et il doit trouver un travail ailleurs. Avec maman, nous ne pouvons plus aller au parc car ils nous sont interdits. Marcel a dû rendre son beau vélo, moi qui espérais le récupérer. Nous n’avons pas le droit de prendre le tram et de circuler en autobus.
J’aide maman à faire les courses en allant faire la queue à sa place entre 15 et 17 heures, je ne peux aller que chez un coiffeur juif, je n’ai pas le droit d’aller au cinéma, je n’ai plus le droit d’aller à la piscine. Je n’ai plus le droit non plus de me tenir dans un jardin chez moi ou chez des amis après 20 heures. J’ai l’obligation de porter une étoile jaune cousue sur mes vêtements depuis le 7 juin 1942. Richard n’est pas encore obligé de la porter car c’est à partir de 6 ans.
8 juillet 1942 : Il est interdit aux Juifs d’entrer dans un square ou dans une cabine téléphonique. « Il est interdit aux Juifs de fréquenter certains établissements de spectacle et en général des établissements ouverts au public. Les Juifs ne pourront entrer dans les grands magasins de détail et artisanaux ou y faire leurs achats ou les faire faire par d’autres personnes que de 15h à 16h. »
A cause des Allemands, je ne peux plus écouter la radio, faire du vélo et je ne peux plus aller au jardin d’enfants. On nous prive même de notre propre bar. Le bar de mon père est notre seul moyen de vivre et nous n’avons plus rien. Mon père s’arrange pour faire des petits boulots qui nous permettent de vivre. Quand je me promène dans la rue, j’entends parler tout le temps de Juifs qui se sont fait expulser violemment de leur domicile et quand il m’arrive de voir ces scènes, je pense toujours à cacher mon étoile. Je sens qu’un jour, ce sera mon tour…
Mes parents choisissent de nous faire partir en zone libre, Marcel et moi, ainsi que mes deux petits frères. Je pars un matin seul avec Marcel et je cache à ma mère ma peur. Malheureusement, nous sommes arrêtés vers Angoulême au moment de passer la ligne de démarcation. Je veux rentrer à la maison mais on nous questionne au poste de police et on nous tape même. Je n’ai qu’une envie c’est de rentrer me réfugier dans les bras de ma mère, mais la police nous garde plus de 20 jours en prison. Nous sommes ensuite enfin autorisés à rentrer à Paris sans avoir avoué que nous étions juifs. Plus jamais je ne quitterai l’appartement. Mes frères ont réussi à gagner la zone libre et ils sont en sécurité, mais l’ambiance n’est plus la même à la maison, sans eux, maman est affectée.
Un jour, c’est papa qui ne rentre pas, il a été arrêté et maman apprend qu’il est parti dans un camp à la campagne, le camp de Pithiviers. Maman est très malheureuse. Marcel et Perlette l’aident mais le cœur n’y est plus. Nous attendons son retour mais comme pour beaucoup de voisins, nous n’avons pas de nouvelles.
Le 7 juillet 1944, je suis arrêté à mon tour à la maison, en pleine nuit : il est 3 heures quand des policiers frappent et nous demandent de prendre quelques affaires pour partir. Maman, Perlette et Marcel restent calmes et je tâche d’en faire autant mais c’est difficile, je n’ai que 14 ans et j’ai très peur. Nous sommes amenés en bus à Drancy. Là, je suis séparé de ma mère pour aller du côté des hommes avec Marcel, fort heureusement je reste près de mon grand frère, il a 18 ans et c’est un grand. Les conditions sont identiques à celle de la prison d’Angoulême : aucun confort et très peu de nourriture. Nous ne savons pas ce que nous allons devenir et le temps s’écoule très lentement. Je me fais des amis car il y a plein d’enfants comme moi. Un soir, on nous annonce qu’il faut se tenir prêt à partir pour le lendemain, le 31 juillet. Nous montons à nouveau dans des bus et nous arrivons rapidement dans une gare. Là, nous sommes brutalement entassés dans des wagons à bestiaux. La chaleur est insoutenable, des personnes pleurent ou sont malades. J’ai faim et soif et je passe toute la journée à me plaindre auprès de ma mère que j’ai eu la chance de retrouver sur le quai. Elle me répond calmement que nous sommes bientôt arrivés mais je sais que c’est pour me rassurer. Durant le trajet, il n’y a pas d’intimité, je dois faire mes besoins dans un seau devant tout le monde, et parfois il déborde, l’odeur est horrible. On a tous très soif et faim, nous sommes dans la pénombre et le trajet n’en finit pas.
Grâce à plusieurs témoignages de survivants ou de livres comme « J’ai pas pleuré » de Ida Grinspan, on apprend que les personnes qui se trouvent dans les wagons restent plusieurs jours avec une grande chaleur, sans avoir de quoi se nourrir ou boire, et il y a beaucoup de personnes qui vomissent pendant le trajet et qui meurent.
J’ai très peur car je ne sais pas où nous allons et personne ne le sait. Par la petite lucarne, on ne voit pas suffisamment le paysage pour savoir où nous sommes. Après plusieurs jours enfermés, mon frère me réveille car nous sommes arrivés. Des gens font descendre tout le monde du wagon en leur criant dessus et en les poussant : la lumière me fait mal aux yeux après plusieurs jours dans le wagon sombre, j’entends des ordres en allemand et les chiens me font peur. Je tiens la main de ma maman fortement pour ne pas la perdre, nous sommes tous épuisés du voyage. Une personne nous sépare en deux groupes et nous formons rapidement deux files. Un officier arrive devant nous. Je reste près de ma mère, l’homme nous explique que les personnes étant trop fatiguées pour marcher seront emmenées en camion. Maman choisit de monter dans le camion car elle est à bout de force. Mon frère et ma sœur quant à eux restent sur le quai, entourés de jeunes adultes. Un vieil homme dans le camion veut me rassurer en me disant qu’on va bientôt se reposer. Je pense qu’il essaie de se convaincre lui-même. Je souris à mon frère et ma sœur pour leur dire au revoir car leur groupe part vers un premier bâtiment. Mon frère me fait un clin d’œil et nous nous perdons de vue. Le camion nous dépose en bordure de forêt et nous marchons pour rejoindre le reste de notre groupe. Je m’assois avec ma mère sur le sol. Ma mère discute avec une femme enceinte et un homme d’une soixantaine d’années qui semble être son père. L’attente est très longue et il fait chaud, nous n’avons toujours rien à boire. Je n’ose pas aller vers les autres enfants alors je reste assis. Après plus d’une heure d’attente, un officier vient nous dire que nous allons passer à la douche pour nous rafraîchir. Nous sommes soulagés, enfin de l’eau. Dans un vestiaire, on nous demande d’enlever nos vêtements avant d’entrer dans la salle de douches, je suis heureux d’enfin pouvoir enlever ma veste qui me tient chaud, ma mère est bien moins sereine que moi car elle a peur qu’on nous vole nos affaires, mais un officier la rassure et lui explique qu’elle les retrouvera après la douche grâce à un porte-manteau numéroté. Nous sommes gênés de nous retrouver nus les uns devant les autres, je n’avais jamais vu maman nue auparavant. On entre dans les douches tous entassés.
Ces photos de l’album d’Auschwitz illustrent pour nous le sort de Charles, descente du wagon, sélection, marche jusqu’aux chambres à gaz en bordure de forêt et attente. Ce sont les photos des Juifs hongrois déportés en mai 1944, prises par des officiers allemands.
Quand les Juifs arrivaient à Auschwitz Birkenau, les Nazis procédaient à la sélection : les personnes étaient séparées en deux files, une première où les personnes partaient travailler et l’autre allait directement vers les chambres à gaz. Mais étant trop jeune pour travailler dans le camp de concentration d’Auschwitz, Charles a sûrement été tué dans une chambre à gaz dès son arrivée au camp, considéré comme inapte au travail, comme sa mère Berthe.
Les conditions de mort dans les chambres à gaz sont absolument horribles, ils sont d’abord emmenés dans une forêt en attendant de pouvoir entrer dans la chambre à gaz. On leur fait croire que c’est une salle de douche, ils sont tous entassés dans une pièce, ensuite les commandos lâchent le gaz dans le trou du plafond de la pièce. Les victimes meurent après plusieurs minutes de souffrance, la pièce est couverte de sang, d’urine, … Les commandos doivent nettoyer la pièce afin que les prochaines victimes ne se doutent de rien.
Ils doivent ensuite vérifier si les morts n’ont pas des bijoux ou de l’argent caché sur eux. Ils doivent regarder leurs dents qui peuvent valoir de l’argent si elles sont refaites. Les victimes sont ensuite brûlées dans les fours crématoires.
Charles est déclaré décédé le 5 août 1944 à Auschwitz en Pologne, à la vue de la loi de 1947, pour toute personne « non rentrée » Israélite de plus de 55 ans ou de moins de 14 ans. Charles ne rentre pas dans cette catégorie ni sa mère, pourtant, aux yeux de la loi française, ils sont déclarés morts le 5 août 1944.
Cette loi prouve le nombre important de personnes concernées par des non rentrés : elle indique que sans nouvelles, la personne est déclarée morte 5 jours après le départ de son convoi, ce qui officialise la connaissance de l’extermination dans les camps.
C’est Prosper Draï, l’oncle de Charles, qui réclamera les informations liées à la mort de son neveu et de sa belle-sœur, relayé ensuite par Perlette, la sœur de Charles. Ils entament des démarches pour le faire reconnaître comme déporté politique, victime de guerre et ils reçoivent un pécule à ce titre en tant que dédommagement de l’Etat français. Charles est reconnu déporté politique en 1955.
La famille de Charles a perdu le père Moïse et la mère, Berthe Mourjan Draï déclarée morte le 5 août 1944 comme Charles, mais nous constatons que d’autres Draï sont sur le mur des noms à Paris, peut-être ont-ils un lien de parenté avec eux ? Les autres enfants ont survécu à la déportation comme Perlette et Marcel, ou ont été cachés comme Richard et Roger. Après leur rapatriement, Perlette et Marcel se sont retrouvés dans leur logement au 15 rue François Miron et ont repris le bar de leur père, „le bar Maurice”. Quelques jours après leur retour, ils ont retrouvé leurs deux petits frères à Paris avec leur oncle Prosper Draï.
Comme indiqué sur cette fiche, le but est «…je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs une place et un nom… qui ne périra pas », ce qui est aussi notre but en participant au projet de l’association Convoi 77.
Nous avons reconstitué de façon incomplète un arbre généalogique de la famille Draï. Nous n’avons retrouvé ni Roger et Richard, ni Marcel. Nous avons demandé au Mémorial de la Shoah les coordonnées de Maurice Pons, petit-fils de Berthe mais nous sommes sans nouvelle.
Orens, Artharsha, Kenzo, Kylian, Yani, Margot, Mathis
Merci pour cette autobiographie. Je mapelle lea je suis la petite fille de roger, le jeune frere de charles. Mon grand pere est decedee de la maladie il y a quelques annees il a eu deux enfants dont mon pere et sa soeur. Mes parents et ma famille respective vivons en israel.
Relire son histoire grace a vous, nous a tous bouleversé. Nous vous remercions davoir honorer leurs memoires a travert ce recit.