Berthe LEVINE, 1912-1944
La photographie ci-contre, prise en 1944, provient du fonds d’archives personnelles des descendants de Berthe et Doba LEVINE.
Une photographie de Berthe enfant, avec ses frère et sœur auprès de leur mère Doba, sans doute prise en 1915, figure dans la biographie de celle-ci.
Les vies de Doba Levine et de sa fille Berthe ont été étudiées par un groupe de trois élèves du Lycée International Français de Vilnius, en Lituanie, où elles seraient nées. Les élèves ont tout d’abord découvert les informations données par la liste des déportés sur le site convoi77.org, ainsi que les données du recensement de Paris en 1926, 1931 et 1936. Peu après, le confinement a commencé, pour durer près de trois mois… Pendant ce temps, le professeur d’Histoire-Géographie de la classe a rassemblé les documents disponibles sur Internet, tandis que les organisateurs du projet envoyaient les dossiers “disparition” des deux déportées conservées par le SHD. Vers la fin du confinement puis dans les semaines qui ont suivi, les trois élèves se sont attaquées au dossier documentaire pour rédiger les biographies, avant d’y ajouter des éléments de contextualisation historique. Enfin, la publication des biographies ont permis d’entrer en contact avec trois petits-enfants de Doba Levine, qui nous ont fourni des informations complémentaires et des photographies.
Sources :
Nous avons disposé :
- des dossiers disparition de Doba et de sa fille Berthe, du ministère des Anciens Combattants et des Victimes de Guerre, conservés par le SHD ;
- du registre de dépôt de la préfecture de la Seine ;
- des extraits des carnets de fouille de Drancy, publiés sur le site du Mémorial de la Shoah ;
- des données du recensement de Paris de 1926, 1931 et 1936, publiées en ligne par les archives de Paris ;
- des registres d’État civil de Paris et du tribunal de la Seine, publiés sur le même site ;
- des données sur les engagés de la Grande Guerre publiées par le Ministère des Armées sur le site “Mémoire des Hommes” ;
- des registres juifs de naissance de Vilnius, conservés par les Archives Historiques de Lituanie ;
- du dossier de naturalisation de Doba Levine en 1925, conservé aux Archives Nationales ;
- du témoignage de trois petits-enfants de Doba Levine, ainsi que des photographies de famille.
De l’empire tsariste à Paris
D’après les documents français, Berthe Levine serait née Basia/Bessia, ou Bassé, le 17 janvier 1912 à Vilnius, en Lituanie, alors dans l’empire russe, dont les provinces occidentales abritent une population juive très importante. C’est lié à l’histoire médiévale et moderne de la Lituanie, quand le pays s’étendait de la Baltique à l’Ukraine et accueillait massivement des artisans étrangers, notamment juifs, pour assurer son développement. Vilnius était même surnommée la „Jérusalem du Nord”. Mais rien ne prouve que Berthe et ses parents (Doba et Peretz) y soient nés : nous n’avons pas retrouvé leurs actes de naissance dans les registres juifs de la ville, apparemment tous conservés par les Archives historiques de Lituanie. Il semblerait donc que Berthe et ses parents soient nés ailleurs, sans doute dans la région de Vilnius.
Depuis l’intégration de la Lituanie à l’empire russe à la fin du XVIIIe siècle, la situation des Juifs s’y est fortement dégradée, notamment après l’assassinat de l’empereur Alexandre II en 1881, même si les grands pogroms de l’époque n’ont pas touché le territoire actuel de la Lituanie, beaucoup plus petit qu’autrefois. Cette forte dégradation a poussé plus de deux millions de Juifs à quitter l’empire tsariste entre 1881 et 1914 : même si rien ne prouve que les parents de Berthe Levine ont fui les persécutions antisémites, leur départ s’inscrit dans un grand mouvement migratoire qui a été encouragé par celles-ci.
Les parents de Berthe, Doba et Peretz, se sont sans doute mariés avant la naissance de leur fille Basia en 1912. Mais ils ont dû se remarier en France le 25 août 1914 pour faire reconnaître leur union par l’État français. Doba et Peretz sont arrivés en France en 1912 ou au tout début de l’année 1913, car leur fils Simon est né le 28 mars 1913 à Paris, alors que ses parents résidaient au 47 rue Basfroi dans le 12e arrondissement. Leur troisième enfant, Annette, est née le 13 février 1915, quand ses parents habitaient au 34 passage Charles Dallery dans le 11e arrondissement : c’était déjà l’adresse de la famille lors du mariage.
Berthe Levine a donc grandi au cœur du Paris ouvrier et artisan de l’époque, dans une famille de petits artisans. Peretz était ferblantier (fabriquant d’objets en métal blanc, comme des casseroles) et Doba, couturière.
Pupille de la Nation
Quand la Première Guerre mondiale a éclaté, Peretz s’est engagé dans la Légion étrangère, en faisant franciser son prénom (Pierre Isaac Lévine). D’ailleurs le “remariage” a eu lieu juste avant qu’il parte au front, sans doute pour assurer une sécurité juridique à son épouse. La Légion étrangère est un corps de l’Armée de terre français qui a été créé en 1831 pour l’enrôlement de soldats étrangers : nombre de Juifs étrangers s’y sont enrôlés en 1914, manifestant ainsi leur attachement à leur pays d’accueil et leur volonté d’accélérer leur intégration dans la société française. C’est sans doute le cas de Peretz/Pierre Lévine, qui s’engage dans l’armée du pays dans lequel il n’habite que depuis un an…
Malheureusement, Peretz est tué le 5 juillet 1916 pendant la bataille de la Somme, l’une des plus sanglantes de la guerre : elle a fait plus d’un million de morts, notamment chez les soldats britanniques et du Commonwealth… et chez les soldats étrangers de la Légion, alors que les soldats français ont été plus traumatisés par la bataille de Verdun la même année.
Ainsi, Berthe s’est retrouvée orpheline, „adoptée par la Nation” le 10 mai 1918 avec sa fratrie : les trois enfants sont devenus pupilles de la Nation, statut créé en 1917, et offrant notamment des aides financières, tandis que leur mère Doba touchait une maigre pension de veuve de guerre (563 francs par an pour la veuve d’un soldat tué au front, alors qu’un ouvrier gagnait 8 francs par jour). Par la suite, en 1925 (Journal Officiel du 24 février), Berthe et Doba ont été naturalisées françaises – les deux autres enfants ont sans doute bénéficié du droit du sol. Doba ne s’est jamais remariée, comme la plupart des veuves de la Grande Guerre : Berthe a donc grandi sans père, dans une famille relativement nombreuse et aux revenus très limités. Mais cela n’empêche pas Berthe d’acquérir de l’instruction et de devenir employée plutôt que travailleuse manuelle : d’après le recensement, elle est dactylo en 1931, puis comptable en 1936. Mais elle non plus ne s’est jamais mariée et est toujours demeurée auprès de sa mère.
La déportation
Pendant la guerre et sous l’Occupation, Doba poursuit son militantisme communisme, en glissant des tracts contre le STO dans les boîtes aux lettres. Elle ne se fait pas enregistrer comme juive et ne porte pas l’étoile jaune. Ses enfants non plus. Néanmoins, elle finit par être dénoncée à la police française qui vient l’arrêter le 21 juillet 1944 au matin. Berthe qui se trouve dans le logement familial à ce moment-là, contrairement aux autres enfants de Doba, est arrêtée elle aussi.
Le lendemain, Doba et Berthe ont été envoyées au camp de Drancy. Durant la fouille, on a trouvé 365 francs sur Doba et 111 francs sur Berthe, ce qui représente des sommes modiques (un franc de 1944 vaudrait aujourd’hui 0,17 euro). À Drancy, Doba, qui ne sait pas écrire en français, fait écrire à sa fille une lettre pour ses autres enfants, pour annoncer leur arrestation sur dénonciation.
Le convoi pour Auschwitz est parti le 31 juillet et le journal officiel indique le 5 août comme date de décès, mais l’administration française prenait automatiquement le cinquième jour après la déportation comme date du décès en cas d’absence de documents la précisant : en fait, la majorité des déportés du convoi 77 ont été gazés dès leur arrivée, le 3 août.
Simon, son frère est mort en 2001 (le 1er juin?), à Anthony.
Il était ingénieur. Cf généanet. https://gw.geneanet.org/fanette40?lang=fr&p=simon&n=levine
Annette, sa soeur est décédée le 27 février 2008 à Colombes (92).