Berthe DRAÏ, née MOURJAN, 1901 – 1944
Ce qui va suivre est une autobiographie fictive, écrite par un groupe d’élèves du collège „Les Blés d’Or” à Bailly-Romainvilliers. Nous faisons cela afin de redonner vie à Berthe Draï, une juive déportée avec sa famille par le convoi 77. Nous nous sommes appuyés sur des documents donnés par l’association Convoi 77 mais également sur des recherches faites sur les sites du Mémorial de la Shoah, de Yad Vashem entre autres et les lectures de témoignages de déportés. (Voir également les biographies de Marcel, Perlette et Charles Draï)
Chers lecteurs, je vais vous présenter ma vie.
Tout d’abord, je tiens à préciser que je vais être totalement sincère avec vous. Je m’appelle Berthe Mourjan, je suis née le 3 février 1901 dans une ville au nord de l’Algérie qui se nomme Alger. Je suis de religion juive car mes deux parents le sont. Je suis née dans la maison de mes parents où je vis avec ma famille.
Ma mère se nomme Lisa Chiche, elle est née le 15 octobre 1873 à Médéa en Algérie. Celle-ci a habité jusqu’à ses 23 ans, chez mes grands-parents maternels, Jacob Chiche qui était cordonnier et Zohra Beaufreuge, femme au foyer. Chaloum Mourjan, mon père, est né le 28 octobre 1873 à Collo en Algérie aussi. Il a également habité jusqu’à ses 23 ans chez sa mère, Ester Oualid. Celle-ci était veuve, je n’ai donc pas eu la chance de connaître mon grand-père paternel, Joseph Mourjan.
Mes parents se sont mariés le 16 février 1896. Peu de temps après, ils ont emménagé ensemble rue Rauclon à Alger. Je suis la cadette de la famille en effet, j’ai une grande sœur, Jeanne, née le 25 mars 1899 et un petit frère, Joseph, né le 17 avril 1902.
Ma mère, sans profession lors de ma naissance, est devenue couturière quand Joseph est né, pour avoir plus de moyens. Quant à mon père, il est brocanteur.
Carte postale de la place du gouvernement à Alger vers 1940
Voici l’acte de mariage des parents de Berthe. On peut voir dessus leurs professions, adresse, date et lieu de naissance
On peut voir ci-dessous l’acte de naissance de Jeanne, la grande sœur de Berthe, et de son petit frère Joseph
Sur l’acte de mariage de Berthe, on voit que Moïse est commerçant et elle couturière
J’ai rencontré Moïse Draï et nous nous sommes mariés en 1923 à Alger. Nous avons fait le choix de venir nous installer en France, à Paris dans l’espoir d’une vie meilleure. Nos enfants sont tous nés à Paris : Perlette en 1925, Marcel en 1926, Charles en 1930, Roger en 1933 et Richard en 1938. Moïse a acheté un bar au 15 rue François Miron et nous habitons juste au-dessus. Je suis femme au foyer.
En septembre 1939, lorsque la seconde guerre mondiale débute, ma famille et moi ne sommes pas trop touchés mais au printemps 1940 avec la défaite française, les choses se sont brutalement accélérées pour nous défavorablement. Nous vivons à Paris dans la partie de la France qui est occupée par l’armée allemande et cette cohabitation devient vite pesante.
Dès octobre 1940, le nouveau gouvernement de Vichy, dirigé par le maréchal Pétain, publie un statut des Juifs : déjà des mesures sont prises contre nous et nous ne sommes plus considérés comme de simples Français. Une loi nous limite l’accès à certaines professions, la liste est très longue, et pour nous, la conséquence immédiate est que nous ne pouvons plus être propriétaires de notre bar. C’est ce qu’ils appellent l’Aryanisation des biens : seuls les Français non juifs peuvent tenir des commerces.
Il se dit plein de choses au sujet des Juifs dans la presse et dans la rue, nous ne nous sentons plus en sécurité comme avant.
En juin 1940, la France est vaincue par l’Allemagne. Le Maréchal Pétain est appelé au pouvoir ; il signe alors un armistice le 22 juin 1940. La France, amputée de l’Alsace-Moselle, est occupée au nord par les Allemands. Elle est dirigée par le Maréchal Pétain et son gouvernement depuis la zone dite « Libre ».
Carte de la France après l’armistice de 1940
Sous l’occupation allemande, les rues changent beaucoup dans la capitale. Il y a des drapeaux du IIIe Reich dispersés dans tout Paris comme on en voit ici, rue de Rivoli. Les hôtels sont alors réquisitionnés par l’occupant.
Loi portant sur l’interdiction de certaines professions aux Juifs
On voit sur ce document, qui est la déclaration du décès de Berthe, que la dernière adresse de Berthe Draï est le 15 rue François Miron, dans le 4ème arrondissement de Paris.
Partout des affiches fleurissent nous montrant comme des voleurs et des assassins, nous sommes stigmatisés et montrés du doigt. Il est de plus en plus difficile pour moi de nourrir ma famille car en plus des pénuries et tickets de rationnement, il nous est interdit de fréquenter les boutiques en même temps que les non-Juifs. Je ne peux même plus emmener les petits au parc car eux aussi sont interdits aux Juifs. Nous sommes devenus des indésirables et nous devons disparaître. Des voisins disparaissent d’ailleurs dès le printemps 1941, des policiers viennent les arrêter et on n’a plus de nouvelles d’eux. Certains disent qu’on les emmène de force travailler en Allemagne mais je suis méfiante et je m’inquiète énormément. Avec Moïse, nous décidons de faire partir les garçons en zone libre pour éviter les rafles. Nous choisissons de les faire partir en deux groupes, Marcel et Charles plus grands seuls et les deux petits, Roger et Richard avec leur oncle Prosper. Nous sommes surpris de revoir les plus grands quelques temps après leur départ. Ils nous racontent que malheureusement, ils ont été arrêtés au passage de la ligne de démarcation et ont passé plusieurs jours en prison à Angoulême en septembre 1942, après un interrogatoire violent. Ils ont échappé au pire ! Nous avons peut-être commis une erreur en les envoyant seuls, j’espère que pour les petits tout se passera mieux.
Depuis 1942, nous devons coudre une étoile jaune sur nos vêtements, nous sommes encore plus livrés aux regards des passants. Sans étoile, nous risquons l’arrestation. Nous la portons pour rester en règle mais elle est humiliante.
Le pire arrive en 1943 quand Moïse est à son tour arrêté, on sait juste qu’il est transféré au camp de Pithiviers mais plus aucunes nouvelles. Je suis sûre qu’il est mort, que peut-il bien faire dans un camp de travail à 46 ans ? Je dois maintenant, à 42 ans, m’occuper seule de ma famille, je suis désespérée et très inquiète. Perlette et Marcel m’aident du mieux qu’ils peuvent et j’essaie de garder bonne figure devant eux mais mon moral est au plus bas, d’autant plus que le quartier s’est bien vidé de nos amis et l’entraide devient compliquée.
Au printemps 1944, nous reprenons espoir en entendant parler d’un débarquement des Alliés en Normandie, nous attendons la libération avec impatience.
Mais en pleine nuit, à 3 heures du matin, des policiers frappent à notre porte. Nous sommes tous arrêtés le 7 juillet, Charles, Marcel, Perlette et moi. Le miracle ne s’est pas produit, peut-être allons-nous rejoindre Moïse ? Nous avons juste le temps de réunir quelques affaires que déjà il faut partir et suivre les policiers.
A son arrivée au camp de transit de Drancy, Berthe doit donner son argent, 58 francs contre un reçu. Elle arrive au camp le jour même de son arrestation, contrairement à d’autres qui sont soit interrogés soit envoyés dans une prison. Cette somme traduit son manque de moyens par rapport à d’autres qui arrivent avec un pécule plus conséquent. Elle reste à Drancy du 7 au 31 juillet avec ses enfants, et ils sont tous déportés dans le même convoi 77. Sur cette liste du convoi, on ne voit que Charles et Berthe, pourtant les quatre ont été déportés ensemble.
Nous arrivons à Drancy, ce camp à la mauvaise réputation. Moïse est-il passé ici ? Allons-nous travailler en Allemagne ? Je suis séparée des garçons car il nous faut gagner une chambrée exclusivement féminine, Marcel part avec son frère Charles et j’espère que tout va bien se passer pour eux. Pour m’occuper l’esprit, je participe à des corvées de cuisine : les corvées de pluches permettent d’améliorer notre ration alimentaire. Je tente aussi d’apercevoir les garçons. Je croise Perlette qui s’est faite des amies dans sa chambrée. Les conditions sont rudimentaires, nous dormons sans rien comme dans une prison et nous sommes déjà pour nos gardiens de simples numéros. De nombreux enfants arrivent au cours du mois en provenance des orphelinats de la région parisienne, comment croire encore que nous partons tous travailler à l’est ? Cette situation me fend le cœur, Marcel et Perlette pourront se débrouiller mais mon petit Charles ? Après 24 jours, nous partons en bus avec nos maigres affaires et sans notre argent en direction de la gare de Bobigny.
Sur le quai, nous sommes poussés brutalement dans des wagons à bestiaux sans tenir compte de nos âges ou de nos difficultés, nous nous retrouvons entassés et quand les portes se ferment et sont verrouillées, nous nous retrouvons dans l’obscurité. La panique est totale pour certains, surtout pour les enfants qu’il faut rassurer tant bien que mal. Un unique seau nous indique clairement que les pauses ne sont pas prévues et que nous allons nous retrouver dans des conditions d’hygiène et d’intimité déplorables. L’odeur devient vite insoutenable et nous manquons d’air, combien de temps ce trajet va-t-il durer ?
Évidemment je suis effrayée ! Je ne sais pas où nous allons. Je me suis imaginée beaucoup de choses mais jamais de telles conditions…
A l’arrivée, les portes s’ouvrent brutalement et une lumière nous aveugle car nos yeux ne sont plus habitués à la lumière après plusieurs jours dans la pénombre du wagon. Sur les quais, c’est la bousculade, les gens sont perdus et poussés par des officiers allemands, les enfants pleurent et crient face aux chiens qui aboient et aux ordres donnés. On nous sépare sans ménagement en deux groupes et on nous demande de laisser nos affaires sur le quai. Je ne sais pas exactement en quoi cela consiste, je pense que c’est pour travailler…Mais je ne sais pas pour quel travail.
Je ne vois que deux files dont une qui comporte plus d’hommes alors que dans la mienne, il y a plus de femmes et d’enfants. Des hommes habillés en pyjama rayé nous guident, certains parlent français.
Avec mon groupe, nous longeons la voie du quai jusqu’à une forêt. C’est vraiment très long !
Nous attendons jusqu’à ce qu’on nous dise d’aller vers des vestiaires pour nous rafraichir du voyage. Je suis contente car après le chemin dans le train, où nous étions tous entassés et où il n’y avait qu’un seau pour faire nos besoins, je me sentais vraiment sale. Dans le vestiaire, nous nous déshabillons malgré la gêne de se montrer nues et l’angoisse de ne pas retrouver nos affaires. En pensant nous laver, nous rentrons dans une salle, la panique s’installe quand nous voyons les hommes nus arriver.
C’est en fait une chambre à gaz. Nous avons choisi d’illustrer la mort de Berthe par deux types de photos : celles prises par les Allemands du convoi des Juifs hongrois de mai 1944 et les 4 photos « volées » prises par la résistance intérieure du camp de Birkenau, par des Sonderkommandos qui risquent leur vie pour témoigner en prenant des photos du génocide : ce qui explique le mauvais cadrage des photos.
On peut y voir ce que Berthe a dû vivre : l’attente dans la forêt de bouleaux (Birkenau en polonais), le déshabillage et la crémation des corps quand les fours étaient surchargés.
Ici, nous voyons la sélection faite à la descente des trains, hommes à droite et femmes avec enfants à gauche, des Sonderkommandos en pyjama rayé et quelques officiers allemands, au loin la porte d’entrée de Birkenau (Auschwitz II)
Les femmes et enfants attendent la suite des consignes dans le calme à l’orée du bois. A l’arrière-plan, on voit les bâtiments du camp derrière une clôture avec barbelés
Ces photos floues car prises en cachette, nous montrent des femmes nues ou en train de se déshabiller
Sur ces clichés, on voit les sonderkommandos en train de brûler les corps sortis de la chambre à gaz, c’est ce qui arrive quand les fours ne suffisent plus
Ce dessin de David Olère représente la sortie des corps de la chambre à gaz par les sonderkommandos, ils trainent les morts jusqu’aux fours crématoires. David est lui-même un ancien sonderkommando déporté à Auschwitz qui a témoigné dans le camp puis à sa libération. Un Sonderkommando désigne un prisonnier juif réquisitionné pour effectuer les basses besognes concernant le génocide et parqué dans un endroit à part du camp. Ils portaient un habit particulier, le fameux pyjama rayé.
Cette photo représente la chambre à gaz de Auschwitz (I) même si Berthe a été tuée à Birkenau dans une chambre à gaz plus grande et aujourd’hui détruite
Disparus à Birkenau, Charles et Berthe sont déclarés décédés 5 jours après le départ de leur convoi comme le veut la loi française de 1947 donc le 5 août 1944. En effet, cette loi stipule que 5 jours après le départ du convoi, sont déclarées décédées les personnes de moins de 14 ans et de plus de 55 ans qui ne sont pas rentrés : même si Berthe et Charles ne sont pas dans ces deux catégories, n’ayant aucune nouvelle d’eux, ils sont déclarés morts ainsi. On ne sait pas si Berthe a pu retrouver ses enfants dans le convoi et partager le même wagon, de même, on ne sait pas si elle est morte avec Charles. Ses enfants, Marcel et Perlette, ont, eux, survécu et se sont retrouvés à Paris.
Ils ont repris le bar de leur père, le „bar Maurice”. Après sa réouverture, un client rescapé de la déportation venait presque tous les jours pour dire qu’il était désolé, pour présenter à Marcel et Perlette ses condoléances, ils le remerciaient, ne sachant que dire… (selon le témoignage de Perlette pour un journal juif : voir la biographie de Perlette).
Pour fêter le Shabbat (fête juive traditionnelle du vendredi soir au samedi soir), Perlette reprend la „tradition” de son père, qui est de préparer un plat traditionnel nommé „Barbouche”. C’est un plat originaire de l’Algérie (il s’agit d’un couscous), que son père voulait partager avec les habitants du quartier. Elle continue d’essayer de garder l’ambiance juive pieds-noirs qu’il y avait lors de cet évènement mais ça n’est plus et ça ne sera plus jamais la même chose…
Voici une photo du « bar Maurice ». Nous pouvons voir Perlette et son mari à gauche de la photo ainsi que Marcel et un client qui était habitué. Cette photo date de 1946
Ses enfants ont entamé des démarches administratives pour faire reconnaître la mort de Berthe, Charles et Moïse, puis leur statut de déporté politique. Berthe est reconnue comme déportée politique en 1952. On peut voir en haut de ce dossier que c’est Perlette qui a signé.
Aujourd’hui, il reste de Berthe son nom, inscrit sur le mur des noms au Mémorial de la Shoah à Paris et une fiche de témoignage de Yad Vashem remplie par Perlette. (Ci-dessous)
Cette fiche de témoignage est proposée à Yad Vashem en ligne ou à l’entrée du Mémorial. Elle permet de laisser une trace d’une personne disparue pendant la seconde guerre mondiale dans le cadre de la Shoah : le témoignage d’une existence effacée.
Nous avons reconstitué de façon incomplète un arbre généalogique de la famille Draï. Nous n’avons retrouvé ni Roger et Richard, ni Marcel. Nous avons demandé au Mémorial de la Shoah les coordonnées de Maurice Pons, petit-fils de Berthe mais nous sommes sans nouvelle.
Diane, Laura, Elisa, Luka.