Samuel Barouh (1925-1944)
Photo ci-contre : Samuel Barouh vers 17 ans (archives Barouh)
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Pourquoi avons-nous choisi ce déporté ?
- né à Versailles, donc c’était facile d’aller aux archives départementales à Saint-Quentin-en-Yvelines, consulter les registres d’état-civil, puisque notre collège n’en est pas loin.
- un parcours atypique par rapport aux autres déportés du convoi 77 :
- son adresse à Perpignan: qu’est-il allé faire là-bas, alors que né en région parisienne ?
- arrestation à Compiègne: Compiègne-Royallieu est un camp d’internement des résistants en 1944. Samuel était-il résistant ?
- Un autre déporté du convoi 77, Bernard Tonningen, était aussi domicilié à Perpignan et arrêté à Compiègne. Ont-ils partagé la même histoire ?
- Son âge, 19 ans au moment de sa déportation, à peine plus vieux que nous…
- le fait que l’on ne sache quasiment rien sur lui. C’était impossible que nous l’abandonnions…
Samuel Barouh vers 18 ans (archives Barouh)
I- Une enfance bien entourée en région parisienne
« Le mercredi 24 juin 1925, 17h, est né rue de la Paroisse 94, à Versailles, Samuel, Robert, de sexe masculin, de Léon Barouh, voyageur de commerce, né à Marseille le 8 juillet 1889 et de Djoya Bensignor, son épouse, sans profession, née à Aïdine (Turquie) dans le courant de l’année 1891… »
Ainsi commence l’acte de naissance de Samuel 1…
(les notes en chiffres renvoient aux sources, les notes en lettres aux liens)
Son père, Léon Barouh :
Léon Barouh, père de Samuel (archives Barouh)
Léon Barouh est né le 8 juillet 1889 à Marseille. Il est le fils de Bension Barouh alors âgé de 27 ans, marchand, et de Houssi Benjacar/ Lucie Beniaca, 24 ans, sans profession.2
Dans les registres matricules du recrutement (1887-1921), aux Archives de Paris a, nous avons retrouvé Léon Barouh, classe 1914, matricule 2279. D’une taille de 1,67m, il possédait des signes particuliers comme une « cicatrice abdominale étendue » et des « orteils surnuméraires ».
Incorporé au 26e Régiment d’infanterie pendant la 1ère guerre mondiale, il participe aux combats du 26 novembre 1914 au 15 décembre 1914, comme soldat de 2e classe. Il est réformé pour raisons de santé : néphrite chronique et éventration.
Il fait le métier de colporteur en articles de mode, avant de devenir voyageur de commerce et marchand forain.
En 1922, on sait que Bension et Lucie Barouh, futurs grands-parents de Samuel, habitent à Paris (XIe), 2 rue Pache.3
Sa mère, Djoya (Judith) Bensignor :
Djoya Bensignor est née à Aïdine dans l’empire ottoman (Turquie), courant 1891.
Elle arrive en France probablement en 1920, avec son frère Haïm et sa mère, Zimboul Houly. Son père, Chemouel (Samuel) Bensignor est probablement déjà décédé à cette date.(la mention « décédé » figure à côté de son nom sur l’acte de mariage de Djoya en 1922)
La famille s’installe alors 71 rue de la Paroisse à Versailles, près des autres frères de Djoya arrivés auparavant en France :
– Isaac Bensignor qui habite avec sa famille au 9 bis rue Montbauron, à Versailles, puis à partir de 1921, à Viroflay. 4
– Maurice Bensignor vient rejoindre son frère Isaac. Ils gagnent leur vie comme marchands forains dans le textile, aux Puces de Clignancourt et sur les marchés de banlieue, avant d’ouvrir leur propre magasin en 1921 au 104 rue d’Aboukir à Paris (IIe arrondissement) de bonneterie et ganterie, créant la société Bensignor Frères. b
Maurice et sa femme Rachel Houly auront 3 enfants nés à Versailles: Sam né en 1921, Reine née le 3 juillet 1923 et Janine, née le 18 octobre 1926. La famille de Maurice habite à Versailles, au 12 boulevard de la République (adresse en 1944 au moment de leur arrestation).
– En 1926, Vida Benyacar née Bensignor, la sœur de Djoya, veuve, vient aussi de Turquie s’installer à Versailles avec ses 6 enfants, dont Sadia et Joseph que nous retrouverons plus tard.5
Léon Barouh et Djoya Bensignor se sont mariés à Versailles le 13 juillet 1922, avec pour témoins Haïm Bensignor et Lucie Gilbert, la femme d’Isaac Bensignor. 3
Ils habitent au 94 rue de la Paroisse, là où va naître Samuel le 24 juin 1925.
Au recensement de 1926, la famille Barouh habite toujours à cette même adresse.
On retrouve la famille en 1931, agrandie d’un nouvel enfant, Jacques, né le 9 mars 1931. Elle habite alors à Paris, dans le Marais, au 30 rue Notre-Dame de Nazareth (3e arrondissement) a.
L’enfance de Samuel est marquée par l’appartenance à cette famille très unie, où l’importance de ses oncles, Maurice en particulier, tantes et cousins, est manifeste et le restera pendant la guerre.
1934 est un temps fort dans la vie de la famille avec la Bar mitzva de Sam, le fils de Maurice, qui réunit toute la famille Bensignor à Versailles.
Samuel a alors 9 ans.
Courant 1936 très probablement, la famille déménage et s’installe aux Lilas, 198 rue de Paris a. En effet, les Barouh n’habitent plus à Paris lors du recensement de Paris de 1936 et ils n’habitent pas encore Les Lilas lors du recensement aux Lilas de 1936. En 1937, Léon Barouh est inscrit sur les listes électorales des Lilas sous le numéro 203 et a renseigné « marchand de nouveautés » à la rubrique métier. 6
LES LILAS, rue de Paris
Ils deviennent les voisins d’Haïm (Henri) Benyacar, un des fils de Vida, qui habite au 163 de la même rue avec sa femme Mathilde (recensement de 1936 aux Lilas). Vida viendra un peu plus tard les rejoindre 5, au moins pendant la guerre, avant de rejoindre sa fille à Bagnolet.
On sait de cette époque par la mémoire familiale que Samuel et son frère Jacques vont comme tous les autres enfants du quartier, jouer sur les terrains du fort de Romainville, proche de son domicile.
II- La guerre et la dispersion de la famille
Quand la guerre éclate en 1939, Samuel est envoyé à Arcachon par sa famille, pour le protéger, à l’école Condorcet, spécialisée dans les cours professionnels. Il y fréquente la Section commerciale, où il rentre en 2e année. Le directeur de l’école, Jean-Camille Duthu, signale dans un certificat qu’il rédige le 28 septembre 1940, que c’est un bon élève avec une discipline parfaite. Samuel obtient en 1940 un CAP comptabilité.7
Après la rafle du 20 août 1941 à Paris, qui verra l’ouverture du camp de Drancy, plusieurs cousins de Samuel quittent Paris, dont Sadia Benyacar qui part avec sa femme Hélène et son fils Michel, pour s’installer à Perpignan. 8
En décembre 1941, les oncles de Samuel, Maurice et Isaac, sont spoliés. Leurs magasins (celui de Paris et un autre qu’ils avaient racheté en 1940 à Château-Gontier en Mayenne, 2 place du Pilori) sont confisqués et vendus. La vente est reconnue par le Commissariat général aux questions juives en juin 1942. Isaac se réfugie à Lyon avec sa famille. 4
Après son année à Arcachon et donc après l’armistice de juin 1940, Samuel revient aux Lilas. On sait que pendant l’année scolaire 1941-1942, il étudie à l’école supérieure de commerce de Paris (79 avenue de la République) ; Samuel, qui se fait appeler Samy, y est en classe de 3e année A. Son carnet scolaire le présente comme un bon élève « intelligent et travailleur » en mathématiques, avec « un goût très vif pour les sciences physiques » disent ses professeurs. Par contre il est moins travailleur dans les matières littéraires et peu intéressé par le droit. L’éducation physique n’est pas son fort : on lui reproche son manque d’énergie et son assiduité irrégulière au cours ! À la fin du 2e trimestre, le directeur juge sa « conduite insuffisante à modifier dès maintenant », plusieurs professeurs signalant de la dissipation pendant les cours !
Puis Samuel quitte Les Lilas. « En 1942, mes parents ont fait passer Samuel en zone libre pour qu’il vive à Perpignan au 46 boulevard Georges Clemenceau où nous avions de la famille. », écrit Jacques Barouh en 2001 9. Nous situons ce franchissement de la ligne de démarcation séparant la zone nord occupée de la zone sud non-occupée, à l’été ou l’automne 1942, entre la fin de l’année scolaire fin juin et novembre 1942 où les Allemands occupent aussi le Sud de la France. Il semblerait que Samuel l’ait franchie du côté de Bourges 10, avec l’aide probable d’un passeur comme le suggère le témoignage de son frère Jacques.
Perpignan, boulevard Georges Clemenceau
III- La vie de Samuel à Perpignan
Samuel habite à Perpignan chez Robert Houly (beau-frère de Maurice Bensignor, l’oncle de Samuel) et sa femme Jeannette, au 46 boulevard Clemenceau.7
Sa vie à Perpignan nous est connue grâce à des lettres qu’il signe de son deuxième prénom, Robert, conservées par sa famille. Elles sont adressées à ses parents et à son petit frère qu’il appelle affectueusement Jacquot ou Jacky. Nous avons eu connaissance de 10 lettres de 2 à 4 pages chacune, écrites entre le 9 août 1943 et le 30 mai 1944. 7
Samuel qui veut devenir expert-comptable après la guerre, se trouve du travail comme comptable à Perpignan :
« Sur ma dernière lettre, je vous ai dit que j’allais quitter ma place du bureau d’assurances pour être employé à la Société Marseillaise de Crédit. Depuis le 3 août c’est fait. » (Lettre du 9 août 1943)
On remarque tout de suite dans ses lettres, que la nourriture est son souci premier, car elle est chère et rationnée pendant l’occupation Allemande. Il ne nous cache pas que son appétit est difficilement satisfait.
« Deux restaurants à midi pour pouvoir me rassasier (…) je mange par jour environ 1kg de fruits » (Lettre du 9 août 1943). « Je mange près de deux pains par jour à 70 francs le kilog. » (Lettre du 30 mai 1944)
« Il faut courir dans les jardins (…) pour pouvoir avoir quelques légumes (…) Pour les légumes, comme ils sont introuvables sur le marché de Perpignan (même les tomates), je vais dire à Sadia qu’il vous fasse un colis d’Ille. » (Lettre du 1 septembre 1943)
Samuel est très lié à sa famille et prend souvent des nouvelles de ses parents et de son frère qui sont restés aux Lilas. Il correspond aussi avec son oncle Maurice, sa tante Vida et les diverses cousines. Il reproche dans ses lettres destinées aux membres de sa famille aux Lilas, qu’ils ne lui écrivent pas assez. On sent que sa famille lui manque : « J’ai hâte de vous revoir » (Lettre du 27 août 1943) , « Mon petit Jacquot, comment passes-tu tes vacances ? » (Lettre du 6 septembre 1943). Mais ses parents aussi lui reprochent de ne écrire assez souvent ! Alors il s’engage à leur écrire deux fois par semaine (Lettre du 1er septembre 1943).
Samuel n’hésite pas à envoyer à sa famille des cageots de fruits ou de légumes afin qu’ils puissent satisfaire leurs besoins à Paris. Cependant, ceux-ci n’arrivaient pas toujours à destination : « Je suis très étonné que vous n’ayez reçu le cageot de poires et d’aubergines. » (Lettre du 12 août 1943). De leur côté, les parents lui faisaient parvenir des maillots de corps tricotés par Maman, des bons de chaussures et quelques livres dont des tables de logarithmes (Lettre du 20 octobre 1943)…
Avec son salaire « qui n’est pas des plus élevés », 1300 francs par mois, Samuel se fait aider financièrement par ses parents qui lui envoient 1 000 francs par mois. Il dépense environ 2700 francs par mois et il doit entamer le petit capital fourni par ses parents. Samuel explique, dans sa lettre du 9 août 1943, que les jeunes avec les mêmes soucis financiers que lui s’en sortaient soit grâce à leurs parents, soit en faisant du marché noir, ce qu’il répugne à faire.
Toutefois, on comprend d’après les réponses de Samuel, que ses parents lui reprochent régulièrement de trop dépenser, de jeter l’argent par la fenêtre et de ne penser qu’aux amusements, avec par exemple des surprises-parties à 200 francs ! Ce que dément Samuel avec vigueur.
Sa lettre du 1er septembre 1943 explique comment sa vie est organisée : « Voici mes heures de travail : 8h-12h ; 2h-7h ; samedi matin : 8h-1h ». Le samedi après-midi est consacré « au ménage et à diverses courses (linge, épicier, boucher…) » et il n’a « pas le temps de courir dans les propriétés hors ville pour essayer de trouver quelques légumes ».
Il profite des dimanches pour passer du temps avec des camarades (il passe aussi des soirées avec eux), pour aller à la mer, au cinéma une fois, danser chez des camarades. Il mentionne aussi plusieurs surprises-parties entre 30 et 50 francs (Lettre du 30 mai 1944). Pour la Pentecôte 1944, Samuel est « invité avec des camarades chez des amis à 47km de Perpignan » (Lettre du 30 mai)
Il voit très souvent ses cousins Sadia et Jo Benyacar (le frère de Sadia), et va fêter en famille l’anniversaire du petit Michel, le fils de Sadia et d’Hélène Schochet, le 12 septembre 1943. Il reçoit la visite de ses cousines Reine et Janine Bensignor qui viennent de Paris le voir.
Côté voyages, Samuel est parti une fois en vacances à Formiguères en juillet 1943, dans les Pyrénées. Il espère remonter à Paris pour souhaiter la bonne année 1944 aux siens (Lettre du 6 septembre 1943). Il annonce qu’il va passer quelques jours à Limoges chez Jo la première quinzaine de mai 1944.(Lettre du 24 avril 1944)
La santé de Samuel semble bonne. Il se plaint juste d’un durillon qu’il a au talon gauche. Il dévoile aussi dans sa lettre du 30 mai 1944 avoir passé un mois et demi à l’hôpital en septembre-octobre 1943 pour une plaie à la jambe qui ne se refermait pas. Il est reconnaissant à Dora, la femme de Jo, et à Hélène d’être venues lui apporter des suppléments à manger à l’hôpital.
Le 6 septembre 1943, Paris s’est fait bombarder et Samuel parle de son inquiétude à sa famille dans sa lettre. « Soyez prudents et après chacun de ces bombardements, veuillez me donner de vos nouvelles afin de me tranquilliser sur votre sort. » (Lettre du 6 septembre 1943)
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1944, la capitale est encore bombardée, notamment Barbès, Les Lilas et Samuel est de nouveau inquiet. « Je viens d’apprendre le nouveau bombardement de Paris (…) Le télégramme qu’a reçu Sadia nous a bien rassurés sur votre santé (…) Ne pourriez-vous pas partir de Paris ? » (Lettre du 24 avril 1944)
Dans sa lettre du 30 mai, Samuel renouvelle son souhait de voir sa mère et son frère venir à Perpignan, ainsi que la famille de Maurice. Il s’inquiète d’ailleurs de ne pas avoir de nouvelles de lui (Maurice et ses deux filles ont été arrêtés le 27 mai 1944 sur dénonciation).
IV-Le temps des arrestations
La fin 1943 est marquée à Perpignan par de grandes rafles de Juifs, notamment en novembre.c En 1944, la situation devient de plus en plus tendue à Perpignan et les Allemands semblent de plus en plus nerveux probablement à l’approche d’un débarquement qu’ils savent imminent sans savoir où il aura lieu.
Aux Lilas, les nouvelles ne sont pas bonnes. Jacques raconte :
« Le 24 avril 1944, mon père Léon Barouh n’est pas rentré de son travail le soir. Une alerte a sonné; ma mère et moi sommes allés nous abriter dans les couloirs du métro „Mairie des Lilas”.
L’alerte passée, ma mère a préféré que nous allions coucher chez sa soeur, Mme Vida BENYACAR qui logeait chez sa fille Mme HABIFF, 224 rue de Noisy Le Sec à Bagnolet.
Le lendemain, nous avons appris que la police était venue nous chercher le matin accompagnée de mon père Léon. » 9
On comprend ainsi que Samuel, affecté par « l’accident » de son père, redoute ce qu’il appelle « le grand départ » lui aussi. Dans sa lettre du 30 mai 1944, il explique qu’il a quitté la banque et qu’il est allé à la mi-mai 1944 participer au recensement des jeunes (pour le Service du Travail Obligatoire avons-nous pensé), pour ainsi échapper à la déportation espère-t-il.
Il est alors « embauché dans une entreprise allemande ». Il « travaille à la pelle de 6h45 du matin à 6h du soir avec demi-heure pour déjeuner sur le chantier ». S’agit-il
d’un chantier de construction de blockhaus et autres fortifications côtières, aux environs de Perpignan, comme par exemple le blockhaus de Torreilles ?
L’arrestation de Samuel :
Dans les souvenirs de famille transcrits par Jacques Barouh 9, l’arrestation de Samuel a lieu le 15 mai 1944. Ce que viennent confirmer plusieurs documents, mais quelque peu contradictoires 11 :
– d’abord la « Demande formulée en vue d’obtenir la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré » » en date du 9 décembre 1946 où il est écrit « Pris en mai 1944 à Perpignan pour faits de Résistance et a été de Compiègne à Drancy »
Wagons de la déportation, gare de Compiègne (Photo Pierre Guieysse, 2020)
– puis la « Demande d’attribution du titre de déporté politique » en date du 11 janvier 1952 précise que l’arrestation a été faite par la police française le 15 mai 1944 à Perpignan dans les circonstances suivantes : arrestation dans une rafle en tant qu’israélite. Le même document dit aussi que Samuel est parti de Drancy à destination de Dachau…
Le titre de déporté politique (carte n°1.1.75.00521) sera finalement attribué le 20 juillet 1953 à Samuel avec une période d’internement prise en compte du 15 mai 1944 au 30 juillet et une période de déportation prise en compte du 31 juillet au 5 août 1944, date retenue pour l’arrivée probable du convoi 77 à Auschwitz.
Mais la date du 15 mai 1944 s’avère peu crédible. Plusieurs éléments tendent à le prouver :
- la lettre de Samuel du 30 mai, est celle d’un homme encore libre, même s’il travaille dans un chantier pour les Allemands. Il dit qu’il a fait la fête avec des amis pour la Pentecôte, qui était le 28 mai en 1944.
- Une lettre du Préfet des Pyrénées-orientales au directeur des Anciens Combattants et Victimes de la Guerre, rue de Bercy à Paris, datée du 8 octobre 1952, signale que « M. BAROUH Samuel, né le 24 juin 1925 à Versailles, qui aurait été arrêté à Perpignan en mai 1944, n’est pas connu aux archives départementales des Renseignements Généraux ni à celles du Commissariat Central. Aucun renseignement concernant cette arrestation n’a pu être recueilli. »11
- On sait que Sadia Benyacar est arrêté le 6 juin 1944, avec sa famille, suite à l’« arrestation d’un de ses cousins Robert Barouch » 8. L’information est confirmée par le témoignage de Henri Schochet 12, beau-frère de Sadia, qui explique que Sadia et sa famille ont dû quitter précipitamment Perpignan où ils résidaient rue Pierre Lefranc, pour aller se réfugier à Ille-sur-Têt, rue Victor Hugo. Leur arrivée à Ille-sur-Têt date du 3 juin. 13
Le délai entre l’arrestation de Samuel et le déménagement des Benyacar est forcément très court.
- Nous situons donc l’arrestation de Samuel le 1er ou le 2 juin 1944. Par ailleurs on sait que Bernard Tonningen est arrêté à Perpignan le 2 juin, par la Gestapo, pour faits de résistance 14.
D’après Henri Schochet 12, Samuel est résistant, membre des FTP. Dans la mémoire familiale des Barouh, on sait que « la fille de Jeannette HOULY se rappelle que sa mère mettait souvent en garde Samuel et lui demandait de faire très attention, sans autre précision » nous dit Alain Barouh, le fils de Jacques, ce qui corroborerait une action résistante. Mais nous n’en savons pas plus.
H.Schochet raconte aussi que Samuel, jeune homme élégant d’1,80m et d’allure « zazou », allait souvent au Palmarium, situé à 300 m de chez lui. C’est un dancing bien connu de Perpignan, fréquenté à l’époque par des Miliciens, des Allemands de la Kommandantur toute proche et des gens peu recommandables, dont Nessim Eskenazi. Il s’agit d’un Juif apatride, qui travaille au cinéma le Castillet, pas très loin non plus du Palmarium et qui, pour se faire bien voir des Allemands, s’est mis à leur service comme indicateur. (Il est connu notamment pour avoir livré aux Allemands les résistants du maquis de Valmanya en août 1944, ce qui lui vaudra entre autres, d’être fusillé en novembre 1944)15. M. Parrilla, historien local d’Ille-sur-Têt, pense que c’est lui qui a piégé, manipulé le jeune Samuel, un peu naïf et imprudent de fréquenter le Palmarium alors que résistant.
Perpignan, le Palmarium
Le 2 juin 1944, Samuel est mené au siège de la Gestapo, avenue de la gare à Perpignan, où il y est torturé sans ménagement.
Sous la torture, il parle… Il donne le nom de Sadia…
Sadia est dans la Résistance, en lien avec l’Armée secrète et les FTPF dont il distribue des tracts et journaux clandestins. Il appartient au réseau des Ponts-et-Chaussées. Mais d’après H.Schochet, Samuel ne le savait pas. Sadia a été arrêté en tant que Juif et non en tant que résistant, mais avec sa famille et H. Schochet.
Samuel est ensuite incarcéré à la Citadelle de Perpignan, où H.Schochet l’a aperçu.
12 juin 1944 : Bernard Tonningen est transféré en train de Perpignan au camp de Compiègne 14, avec Samuel très probablement. Se connaissaient-ils ? Faisaient-ils partie du même mouvement de résistance ?
Camp de Compiègne (photo Pierre Guieysse, 2020)
Compiègne ancien pont des déportés (photo Pierre Guieysse, 2020)
On ne sait rien sur cette période au camp de Compiègne-Royallieu, les archives du camp ayant été détruites par les Allemands. Nous sommes juste sûrs qu’il y est passé, son nom étant gravé dans la liste des internés de Compiègne, à l’entrée du Mémorial de Compiègne-Royallieu.
Compiègne, extrait du mur des noms
6 juillet 1944 : arrivée de Samuel et Bernard Tonningen à Drancy.16, 14
31 juillet 1944 : départ du convoi n°77 à destination d’Auschwitz
Nuit du 3 août 1944 : arrivée du convoi à Auschwitz, après 4 jours de voyage dans les conditions tristement connues des « trains de la mort »…
On imagine Samuel dans un état physique et moral lamentable, peut-être mal remis des suites des tortures endurées à Perpignan, puisque contrairement aux autres hommes du convoi de son âge, il n’est pas emmené vers les baraquements du camp de travail, comme l’a été Bernard Tonningen par exemple.
Samuel, 19 ans, est conduit directement à la chambre à gaz avec les plus faibles et les enfants, à moins qu’il ne soit décédé lors du voyage.
On a eu l’occasion au cours de ce travail, de comprendre le calvaire des familles des déportés disparus, qui 8 ans après les faits ne savent toujours pas ce qu’il s’est passé, à commencer ici par la date de l’arrestation de Samuel, sans parler de son parcours ensuite. Une marchande de journaux aux Lilas a même dit à la famille après la guerre avoir vu Samuel à Romainville (rien ne vient confirmer cette hypothèse)9. Un acte de disparition est établi officiellement le 10 mai 1947 pour Samuel 11… Puis un acte de décès du 12 octobre 1951 établit son décès le 31 juillet 1944 à Drancy 17, ce qui n’est pas satisfaisant pour la famille qui sait que Samuel est arrivé à Auschwitz et continue d’espérer malgré la mention « mort pour la France » rajoutée en 1953 sur l’acte de décès. Alain Barouh, le fils de Jacques, se souvient avoir vu son père s’effondrer en larmes, après avoir reçu la preuve formelle de la mort de Samuel… C’était au milieu des années 1970…
Ce n’est que le 12 septembre 2008, que Samuel est reconnu officiellement « mort en déportation le 5 août 1944 à Auschwitz et non le 31 juillet 1944 à Drancy ».17
Que sont-ils devenus ?
– Léon Barouh, arrêté par la police française le 24 avril 1944, est conduit à Drancy, qu’il quittera le 15 mai 1944 par le convoi 73 18 . La mémoire familiale dit que Léon se serait endormi dans le métro et descendu un arrêt trop tard et se serait ainsi retrouvé au milieu d’une rafle. Le convoi 73 composé exclusivement d’hommes est le seul à avoir les pays baltes comme destination : soit le camp d’extermination de Kaunas en Lituanie, soit la prison de Reval (Tallinn) en Estonie. Le père et le frère de Simone Veil étaient aussi dans ce convoi. Ils ne reviendront pas.
– Après l’arrestation de Léon, Djoya Barouh et Jacques sont d’abord cachés par l’oncle Maurice à Versailles, puis à Château-Gontier en Mayenne, chez Louis Fleuroux et Marguerite Portier-Fleuroux d, les gérants du magasin des frères Bensignor. Les Fleuroux et Azeline-Louise Portier (chez qui vivaient Jacques et sa mère sous le nom de Madame Jeanne 9) sont nommés Justes parmi les nations en 2003 (dossier n°10096) par le Comité français pour Yad Vashem. À la mi-mai 1945, Djoya et Jacques retrouveront leur logement aux Lilas.
– L’oncle Maurice Bensignor avec ses deux filles Reine et Janine sont arrêtés le 27 mai 1944 et déportés par le convoi 76 du 30 juin 1944 pour Auschwitz. Janine est assassinée à son arrivée le 5 juillet 1944. Reine survivra, reviendra en 1945, épousera Henri Gerson, ancien déporté lui-aussi, avant de partir pour les États-Unis.
Sam le fils de Maurice, échappe par miracle à l’arrestation, n’étant pas dans l’appartement à ce moment-là, ainsi que sa mère Rachel.
Bar Mitzva de Sam Bensignor, fils de Maurice, 1934 (archives Barouh)
Maurice meurt le 3 janvier 1945, d’une pleurésie au camp de Monowitz, une dépendance d’Auschwitz, où était l’usine de caoutchouc synthétique d’IG-Farben.19
– Dans le convoi 76, il y avait aussi la famille de Sadia : Hélène et Michel sont gazés dès leur arrivée à Auschwitz. Sadia est envoyé aussi à Monowitz, avec son frère Maurice (Moïse) Benyacar, lui aussi du convoi 76. Ils feront les marches de la mort à pied, puis en wagons découverts dans le froid de janvier 1945, jusqu’à Buchenwald. Sadia y meurt de dysenterie. Maurice reviendra.8
– La tante Vida Benyacar née Bensignor est dans le convoi 77 et est assassinée dès son arrivée.5
– Bernard Tonningen, né le 25 octobre 1899 à Amsterdam, arrivé le 3 août 1944 par le convoi n°77, est affecté à un kommando de travaux de terrassement.
« Vers fin octobre 1944, il y a eu une « commission » au cours de laquelle on a tiré des hommes au sort. Bernard Tonningen était du nombre.
Ce tirage au sort désignait ceux qui devaient aller au four crématoire. Je les ai vus partir en camion et quelque temps après, le camion est revenu avec les uniformes… sans les hommes », raconte Hugo Perez, lui-même détenu à Auschwitz.14
– L’oncle Isaac Bensignor est assassiné vraisemblablement le 23 août 1944 dans les caves de la Gestapo lyonnaise, dénoncé par sa secrétaire, maîtresse d’un agent de la Gestapo. 4
La biographie de Samuel Barouh a été présentée lors des Journées Portes Ouvertes du Collège René Descartes (Fontenay-le-Fleury) en mars 2022, puis lors de la commémoration du 8 mai à la mairie de Fontenay.
Le 24 juin 2022, au collège et en présence de la famille Barouh représentée par Alain Barouh, le neveu de Samuel, Madame la Principale a annoncé que le collège allait parrainer un pavé de la mémoire au nom de Samuel Barouh, qui sera placé devant son dernier domicile, 46 boulevard Clemenceau à Perpignan.
Remerciements
Nous remercions infiniment Monsieur Alain Barouh, qui a accepté d’ouvrir les dossiers de souvenirs douloureusement conservés par son père Jacques Barouh, pour nous aider.
Un grand merci d’ailleurs aux Pompes funèbres Guy Lemarchand aux Sables d’Olonne, sans lesquels nous n’aurions pas pu retrouver la famille Barouh et mener à bien notre travail.
Plusieurs historiens nous ont apporté leur aide en nous fournissant des copies de documents ou des informations précieuses et nous les remercions vivement :
– Monsieur Jérôme Parrilla, maire-adjoint d’Ille-sur-Têt, président de l’association des Pavés catalans de la Mémoire
– Madame Madeleine Souche de l’Association pour la Promotion de l’Histoire dans les Pyrénées Orientales (APHPO)
– Monsieur André Jerosolimski de l’association « Racines du 93 »
Nous sommes reconnaissants à la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains de Caen, qui a accepté de nous envoyer les copies des dossiers de Samuel Barouh et de Bernard Tonningen, pendant l’épidémie de Covid en 2020.
Enfin, nous remercions Madame Fieux, principale du collège Descartes de Fontenay-le-Fleury, pour son soutien dans ce travail et le parrainage par le collège du pavé à la mémoire de Samuel, véritable réconfort pour la famille Barouh et pour nous.
Sources :
- Registre des naissances Versailles 1925, Archives départementales des Yvelines
- Acte de naissance de Léon Barouh, Archives des Bouches-du-Rhône
- Registre des mariages Versailles 1922, mariage de Léon Barouh et Djoya Bensignor, 13 juillet 1922, Archives des Yvelines
- Fiche Bensignor Isaac, Maitron
- Notice biographique Vida Beniacar, Convoi 77
- Listes électorales de 1937, Les Lilas, Archives de Seine-Saint-Denis
- Archives de la famille Barouh
- Notice biographique famille Benyacar Sadia, convoi 76, Cercle d’Étude de la Déportation et de la Shoah
- Extraits du témoignage que Jacques Barouh a écrit en 2001 au Comité Français pour Yad Vashem pour une demande d’attribution de la Médaille des Justes à M et Mme Fleuroux de Château-Gontier, archives de la famille Barouh
- carte signalant un lieu de résidence pendant la guerre du côté de Bourges, sur le site de Yad Vashem pour Samuel Baroch
- Dossier Samuel Barouh [21 P 421 440], Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains, Caen
- Entretien avec M. Henri Schochet, 25 octobre 1996 à Mandelieu, Survivants de la Shoah, Fondation de L’Histoire audiovisuelle. Vidéo
- Transmise par M. Jérôme Parrilla
- Dossier Bernard Tonningen [21 P 544 464], Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains, Caen
- Nouveau dictionnaire de biographies roussillonnaises, sous la direction de Gérard Bonet, 2011. Article sur Eskenazi Nessim.
- Fiche du camp de Drancy de Samuel Barouh, Mémorial de la Shoah, Paris
- Acte de décès de Samuel, mairie des Lilas
- Fiche du camp de Drancy de Léon Barouh, Mémorial de la Shoah, Paris
- Notice biographique Famille Bensignor Maurice, convoi 76, Cercle d’Étude de la Déportation et de la Shoah
Liens :
b- https://www.ajpn.org/juste-Marguerite-Fleuroux-1091.html
c- https://www.lasemaineduroussillon.com/2020/06/26/perpignan-le-temps-des-rafles/
« Guillem Castellvi rappelle que ces fortifications [comme le blockhaus de Torreilles] ont été édifiées à la pelle et à la pioche par des habitants réquisitionnés dans le cadre du service du travail obligatoire. A 86 ans, Maurice Rabat se souvient : « Je n’avais que 11 ans [donc en 1944] mais je sais que chaque jour une vingtaine de Torreillans devaient se présenter sur la place du village » » (extrait de l’article du lundi 15 avril 2019)