Albert PISANTI
Nous allons vous présenter la vie d’un membre de la famille Pisanti sur laquelle nous avons travaillé avec notre classe. Avec notre groupe de cinq élèves, Gina, Elsa, Just-Patrick, et Ambre.
Nous avons choisi le père de cette famille, Albert Pisanti, déporté à bord du convoi 77 le 31 juillet 1944. Nous l’avons choisi lui car pensions pouvoir raconter plus de choses sur lui que sur ses filles en raison de son âge plus important, et car son histoire retrace le passé de la famille. Nous avons décidé d’écrire cette biographie sous la forme d’une fausse autobiographie en utilisant la première personne afin de rendre son histoire plus vivante, de lui redonner un peu vie à travers notre texte car nous pensons injuste le fait que les nazis aient écourté sa vie qui n’aurait certainement pas dû s’arrêter ainsi. Nous voulions essayer de décrire ses sentiments au cours de cette terrible épreuve. Toutes les informations données dans cette biographie sont basées sur les documents d’archives fournis par l’association convoi 77, des livres sur la Shoah cités à la fin de la biographie, plusieurs témoignages également cités à la fin du texte dont celui de la fille d’Albert, Béqui Pisanti, ainsi que nos sorties et voyages scolaires que nous avons réalisé avec notre classe à Drancy et à Berlin.
Je me nomme Avram Pisanti (Albert en français). Je suis né le 24 avril 1899 à Constantinople, aujourd’hui Istanbul en Turquie et je suis juif. Je suis le fils de Rifka et Behor Pisanti. A cette époque, l’antisémitisme commençait à augmenter en Turquie. J’ai alors migré très jeune avec toute ma famille comme énormément d’autres juifs turcs. Nous avons choisi la France, connue pour être le pays des droits de l’homme. Nous pensions pouvoir y vivre heureux et libres.
Certificat de naissance d’Albert Pissanti
En France, je me suis rapproché de ma femme, Fortunée Tchiprut, née le 29 février 1901, durant mon enfance car elle était ma cousine germaine, la fille de mon oncle. Nous avons eu trois filles :
Photo de la famille Pisanti
Bequi Pisanti, l’ainée, née le 30 décembre 1925 à Paris. Après sa naissance, j’ai épousé sa mère Fortunée, qui sera par la suite également la mère de mes deux autres enfants. Victoria, la cadette, est née le 3 mars 1927 et Louise, la benjamine, est née le 28 juillet 1930. Ma femme et moi, ne leur avons pas donné de réelle éducation religieuse. Mes filles étaient scolarisées dans des écoles publiques.
Je vivais avec ma famille dans un appartement que j’ai acheté jeune avec ma femme, à Paris dans le 14ème arrondissement au 49 rue du Moulin vert. Je travaillais en tant qu’électricien chez un artisan, ma femme était couturière.
Certificat de domicile d’Albert Pisanti
49 rue du Moulin vert, Paris, France
En 1930, comme dans toute l’Europe, la situation économique était difficile à la suite du krach boursier de 1929. En 1939, la guerre fut déclarée. Évidemment cela nous inquiéta. Le 17 juin 1940, avec la demande d’armistice du maréchal Pétain, nous avions espoir que tout s’arrête là. Mais à partir d’octobre 1940, la situation est devenue de plus en plus difficile pour moi et ma famille avec la mise en place du premier statut des juifs. Malgré le fait que ma profession d’électricien ne m’était pas interdite, les clients se faisaient de plus en plus rares. Je réussis néanmoins à gagner de l’argent grâce à des contacts.
Statut des juifs
En plus de cela ma famille et moi commencions à ressentir réellement l’antisémitisme. Nous habitions dans un quartier majoritairement catholique. La concierge de notre immeuble savait que nous étions juifs. Elle avait une amie antisémite qui aurait pu nous dénoncer. Par conséquent elle nous recommandait de ne pas lui parler. Dans le bus, nous étions forcés de nous installer au fond. Nous ressentions un réel sentiment d’injustice et d’´incompréhension. Nous étions punis pour le simple fait d’être juifs. Mais plus important que cela, nous avions peur. Ma femme et moi craignions pour nos filles et pour nous. D’autant plus que nous vivions en zone occupée. En 1941, les premières rafles visaient les étrangers comme moi et ma femme. Par chance, nous n’avons pas été trouvés. Mais le début de ces arrestations augmentait encore notre peur puisque ma femme et moi sommes apatrides. Nous avions gardé la nationalité turque ce qui, contrairement à nos enfants de nationalité française car nés en France, nous a évité de porter l’étoile (normalement obligatoire à partir de 1942 pour tous les Juifs) car nous n’étions pas recensés en raison de notre nationalité. Ma femme et moi étions très indignés que nos filles soient marquées ainsi par ce signe distinctif. Mais plus que tout, nous avions peur pour elles, qu’elles soient victimes de tout cette haine contre nous les Juifs, ou pire : qu’elles soient arrêtées.
Le 6 juin 1944 eut lieu le débarquement en Normandie. Ce fut un réel espoir pour ma famille et moi. Nous pensions enfin être sûrs d’avoir échappé aux arrestations, ne plus avoir à vivre dans la peur. Cependant j’ai été arrêté sur mon lieu de travail puis interné à Drancy le lendemain, le 7 juillet 1944. Personne ne s’attendait à cette arrestation alors que nous pensions que tout était enfin fini la veille! Quelques jours plus tard, ce fut le tour de mes filles, le 12 juillet. J’ai alors pu les retrouver au camp de Drancy. Mais ne sachant pas ce qui allait nous arriver, ce ne fut pas un soulagement. J’étais très inquiet pour la suite. On avait déjà entendu parler de convoi vers l’Est.
Certificat attestant qu’Albert Pisanti a été interné à Drancy du 7 au 30/07/44 avant sa déportation
Le camp était fait de hauts immeubles, remplis d’internés comme nous, disposés en forme de U avec une grande cours au centre ou l’on pouvait trouver les toilettes pour les hommes et pour les femmes ainsi que des lavoirs et des bureaux pour les gardes. Un poste de garde était positionné à l’entrée du camp. Là déjà, les conditions de vie étaient déplorables. Nous mangions peu et dormions mal. Nous avions peu d’hygiène : nous ne pouvions nous laver que dans les lavabos que nous avions, alors de nombreux internés sont tombés malades. Les lieux étaient insalubres. Le confort manquait beaucoup bien que nous en ayons un peu grâce aux objets laissés par les précédents prisonniers de Drancy. Nous étions très entassés en raison du nombre bien trop important d’internés. Heureusement, nous étions en juillet, car nous n’aurions rien eu pour nous réchauffer. L’angoisse était déjà présente : nous avions tous peur d’être sélectionnés pour un départ vers un lieu inconnu. Lorsque nous étions dans le camp, ma femme venait régulièrement nous saluer, moi et nos filles, depuis le café en face du camp de Drancy. Elle payait le gérant du café afin qu’il l’autorise à rester plus longtemps à la fenêtre. Cette attention me touchait énormément mais j’avais surtout très peur pour elle. Elle prenait un énorme risque en faisant cela, elle aurait pu être arrêtée.
Maquette du camp de Drancy
Le 31 juillet 1944, ce fut notre tour. En tant que déporté politique, j’étais emmené vers cette destination inconnue que je redoutais tant. Dans la matinée, nous avons été amenés de Drancy à la gare de Bobigny en autobus. Il fut très difficile pour moi d’abandonner ma femme sans savoir où je serai emmené avec mes filles, et ne sachant pas dans combien de temps nous nous reverrions. Nous sommes ensuite montés dans le train, transportés dans des wagons à bestiaux vers cette destination inconnue pendant trois jours et deux nuits. J’étais inquiet mais nous étions malgré tout soulagés d’être encore ensemble. Pendant ces trois jours, nous avons subi un traitement inhumain. Moi, mes filles et les autres déportés n’avions droit à aucune hygiène. J’ai ressenti l’angoisse ainsi que la soif intense et l’ignorance terrifiante de ce qui nous attendait, moi et mes filles au bout du trajet. Tout ce qui nous avait été dit, était que nous étions emmenés quelque part pour travailler. Mais je m’interrogeais sur cette affirmation à cause de la présence de bébés dans les wagons. Les wagons à bestiaux étaient remplis de personnes silencieuses. Je me suis senti démuni, je ne pouvais rien faire pour les aider, et nous sortir, mes filles de ce cauchemar et moi.
Wagons où étaient transportés les déportés
À l’arrivée du train à Birkenau le 3 août, mes filles, les autres juifs et moi avons été dépouillés de toutes nos affaires personnelles. J’ai ensuite été séparé définitivement de mes filles. Elles sont parties avec les autres femmes déportées tandis que moi j’ai été forcé à suivre le rang des hommes. Ce fut pour moi la plus dure des épreuves, j’étais séparé de tout ce qu’il me restait. Elles partaient pour un destin que je ne connaissais pas, et je ne pouvais rien faire pour les aider. Je pensais même que c’était peut-être la dernière fois que je les voyais.
Ensuite un garde m’a dirigé vers un groupe d’hommes plus âgés. J’eus la même angoisse que tout au long de ce convoi : « Où étais-je emmené et qu’allait-il m’arriver ? ».
La réalité fut qu’Albert Pisanti a été immédiatement envoyé aux chambres à gaz et est mort ainsi comme tant d’autres gens. Était-ce en raison de son âge ? À 45 ans était-il réellement trop vieux pour travailler ? Était-ce car trop d’hommes travaillaient déjà dans le camp de concentration ? Nous n’aurons malheureusement jamais de réponses à ces questions.
Sa dépouille a ensuite été réduite en cendre dans un four crématoire pour ne laisser aucune trace de son existence. Ses vêtements et ses objets personnels ont tous été récupérés par les sonderkommandos afin que son souvenir soit effacé à jamais. C’est pourquoi nous écrivons cette biographie, afin de réécrire l’histoire de cet homme effacée et écourtée injustement par les nazis.
Document fixant la date de mort présumée d’Albert Pisanti
N’ayant aucune information sur la date de la mort d’Albert Pisanti, on la suppose donc au 5 août 1944, comme le précise la règle : si le déporté est âgé de moins de 14 ans ou de plus de 55 ans, le déporté est considéré comme mort cinq jours après sa déportation car dans les camps ces déportés étaient immédiatement exterminés ; malgré le fait que cette loi ne soit pas censée s’appliquer à Albert Pisanti âgé de 45 ans, ne pouvant faire autrement.
A son retour, sa fille Victoria a effectué des recherches dans l’espoir vain de retrouver son père, de savoir s’il était encore vivant. Mais également afin que sa mort soit reconnue en tant que déporté raciale, de recevoir le pécule promis aux familles des victimes et afin que son père reçoive la reconnaissance dut aux victimes de guerre.
Document prouvant que Fortunée a effectué des recherches sur son mari
Arbre généalogique de la famille Pisanti
Sources Albert Pisanti
- documents d’archives donnés par Convoi 77
- témoignages de Béqui Pisanti, de Marceline Loridan et d’Yvette Levi présents sur le site du mémorial de la Shoah
- courtes biographies sur le site de Yad Vashem
- livres de Simone Veil, Jeunesse au temps de la Shoah ; de Ginette Kolinka, Retour à Birkenau; d’Henri Borlant, Merci d’avoir survécu et de Ida Grinspan, J’ai pas pleuré
- photos prises au mémorial de Drancy