Bruno Mandaroux et ses élèves du lycée d’enseignement général et technologique Louis Vincent à Metz ont travaillé sur la biographie de Charlotte Schuhmann, assassinée à 13 ans. Ce travail fait partie des onze projets européens sélectionnés par le ministère de l’Education nationale.
Pouvez-vous vous présenter et présenter votre classe ?
Je suis professeur d’histoire-géographie et je suis intéressé par la transmission de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Depuis 2017, dans le cadre d’un appel à projets lancé par le Mémorial de la Shoah, j’organise avec mes élèves un travail avec des familles juives de Metz sur la transmission de la Shoah dans leurs familles. Cela nous a permis de rencontrer Henry Schumann [cousin germain de Charlotte Schuhmann, ndlr]. C’est lui qui nous a fait découvrir le projet Convoi 77.
Trente-six élèves d’une classe de seconde générale ont travaillé sur cette biographie. J’ai senti très vite qu’il y avait un intérêt réel pour ce travail.
Comment avez-vous organisé ce travail collectif dans le cadre du projet Convoi 77 ?
Nous avons travaillé sur les séances d’EMC (éducation civique et morale), une heure par semaine en demi-classe. Chaque élève travaillait donc sur le projet tous les 15 jours.
Nous avons rencontré plusieurs personnes pour l’enquête. En septembre, nous avons rencontré Henry Schumann. Il a pu nous montrer là où habitait Charlotte avant la guerre. Il avait des documents, des originaux.
On est par la suite parvenu à entrer en contact avec Robert Frank [un ami d’enfance de Charlotte, ndlr]. Nous avons également pu nous entretenir avec Richard Niderman [un ami de Henry Schumann qui avait trouvé des informations sur Charlotte au cours de recherches sur sa propre famille, ndlr].
Rencontrer quelqu’un, c’est toujours formidable pour la classe. En amont de ces différents entretiens, les élèves préparaient toujours des questions. Nous exploitions ensuite les documents fournis par les témoins.
Nous avons aussi sollicité des services d’archives. Au mois de janvier, les élèves ont pu aller aux archives municipales de Metz : on y a mis la main sur l’état civil et les fiches domiciliaires (une particularité de la Moselle) de la famille de Charlotte. C’était très intéressant car cela nous a notamment permis de connaître la date de leur départ.
Tout cette enquête a duré de septembre à mars, puis il a fallu finaliser le travail. J’ai alors réparti les élèves par groupes de 3 ou 4. Ils devaient choisir des documents et les commenter. La rédaction s’est faite au fur et mesure. Chaque groupe a eu deux paragraphes à écrire.
Quel a été l’impact de ce travail, d’un point de vue individuel (en ce qui vous concerne, en ce qui concerne les élèves…) mais aussi plus largement (au niveau de l’école, de la municipalité ou autres) ?
Beaucoup d’élèves se sont identifiés à Charlotte qui était une enfant, comme eux. Ils ont également ressenti de la satisfaction en termes de devoir de mémoire car ils ont l’impression d’avoir sorti une jeune fille de l’oubli. Et c’est vrai : beaucoup de gens ont depuis entendu parler de Charlotte Schuhmann grâce à eux.
Tout au long de ce projet, il y a eu beaucoup d’émotions. Certains élèves ont été très touchés. Cela a créé un lien spécial entre eux. Et notre travail a provoqué des discussions dans le cadre familial : certains se sont interrogés sur leur propre histoire familiale.
Au niveau de notre établissement, le travail sur Charlotte a fait l’objet d’une exposition en ligne sur le site du lycée. Sur décision du proviseur, notre enquête a par ailleurs été imprimée sous la forme de livrets qui ont été distribués à chaque élève du lycée à la rentrée 2021.
A un niveau plus large, notre travail a été repris en différents endroits. Les archives municipales de Metz ont fait un reportage intitulé „Une semaine avec Charlotte”. Nous avons fait l’objet d’une interview dans la presse locale. La revue du consistoire de Metz a publié notre travail et la revue „Actualités juives” y a également consacré un petit article.
Nous avons par ailleurs été invités à la cérémonie en l’honneur de la libération d’Auschwitz, organisée au monument aux morts de Metz le 27 janvier 2020. Au cours de cette cérémonie, des élèves ont lu des extraits de Primo Levi.
Votre travail a été sélectionné parmi les projets les plus remarqués, quel sentiment cela vous procure/cela procure aux élèves ?
Nous sommes très heureux. C’est très valorisant. Nous avons le sentiment d’avoir été utiles car notre travail a eu un impact sur d’autres personnes.
Des personnes se sont en effet rencontrées grâce à nous et nous avons appris des choses à tous les témoins avec qui nous avons échangé. C’est extrêmement intéressant, d’autant que pour mes élèves, il y a l’idée qu’il ne faut pas que ce genre de choses se reproduisent.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à d’autres enseignants qui souhaiteraient participer au projet ?
Si possible, il faut faire en sorte de travailler avec des membres de la famille de la personne déportée. Il faut frapper à toutes les portes, aux archives, aux mairies, aux écoles. Il faut insister, souvent. Il faut s’appuyer sur les autres travaux qui existent déjà. Et aussi collaborer avec d’autres collègues et mutualiser les informations.