1894 - 1944 | Miejsce urodzenia: | Miejsce aresztowania: | Miejsce zamieszkania: , ,

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Frieda KOHN, née Fradel WAGNER 1894 – 1944

 portrait de Frieda et de son mari

 

acte de disparition de Frieda

Frieda et Victor Kohn, une biographie

Notre groupe de collégiens a mené une enquête sur un couple de déportés, Frieda et Victor Kohn. D’eux, il reste très peu de choses car leur appartement fut pillé après leur arrestation : quelques rares objets quotidiens, une poignée de photos de famille, les souvenirs transmis par leurs enfants à leurs petits-enfants. Quelques couverts, un petit pot à lait.

 

des couverts – photo darley

 

un pot à lait – archives familiales

 

Pour les faire revivre, nous avons imaginé de donner la parole à ceux qui les ont connus, comme si nous les avions tous vraiment rencontrés.

 

FRIEDA

1ère partie : une rencontre à Londres avec Adèle, la sœur de Frieda

 

Retour vers le passé : nous prenons le Night Ferry Paris-Londres de 22 h à la gare du Nord. Nous arriverons à Londres le lendemain à 9 h 10 à la gare Victoria.

Dans le train nous commençons par mettre à plat les petites découvertes que nous avons faites jusque-là. Nous avons hâte d’arriver pour rencontrer la sœur de Frieda et compléter nos recherches.

Nous arrivons vers 9 h 10 et allons à la rencontre d’Adèle. Nous nous installons dans un café sous la verrière de la gare Victoria et bientôt Adèle nous raconta ce dont elle se souvient à propos de leur enfance, elle et Frieda :

« Nos parents s’appelaient Judas Hersoh Wagner et Malka Rele Wagner. Frieda est née le 28 août 1894, sous le nom de Fradel Wagner, à Mosciska en Galicie Nous étions une famille très nombreuse : 15 frères et sœurs, vous vous rendez compte ? L’aînée, c’était Chaje Gitel, de son nom juif. Elle était née en 1885, un an avant moi…  J’étais la seconde, et après moi venait Ruchel, née en 1888. Puis Hene Leie, Biene, et le premier garçon de la famille, Abraham Bencyon. Il est né en 1892, six ans après moi. Peu après est née Frieda, que nos parents ont officiellement appelée Fradel. En 1896, Perl Ettel est venue au monde, dix ans après moi. Puis vint le tour de Sura en 1900, puis Majla, Glückel, et Wolf Ber, le deuxième garçon de la famille, en 1905. Un troisième garçon naquit deux ans après, Chaim Jechieskiel, et une dernière fille vit le jour en 1908, Drezla. Oh, et j’ai failli oublier Jacob ! Il était très proche de Frieda, pourtant… Je ne me souviens même plus de quand il est né…

 

 registre d’état civil Mosciska – Ukraine

 

Une copie du registre des naissances de Mosciska, aujourd’hui en Ukraine mais alors en Autriche-Hongrie (voir la carte ci-contre). Entre les deux guerres, cette petite ville fut polonaise.

 

 Mosciska sur une carte d’Autriche-Hongrie

 

D’ailleurs, il y a un détail qui peut vous paraître étonnant : nos prénoms variaient entre les prénoms « officiels » et les prénoms d’usage, d’un côté des prénoms juifs traditionnels et de l’autre des prénoms plus modernes. Par exemple, mon nom officiel est Eidel Ryfke, alors que tout le monde m’appelait Adèle !

 

 carte postale ancienne

 

 

 place centrale à Mosciska – carte postale ancienne

 

 

 boutiques à Mosciska – carte postale ancienne

 

Nous étions donc une famille de quinze enfants, une famille modeste : notre grand-père Abraham Benzione Wagner (ou Bencyone, qui sait ?) était charpentier et notre père était détaillant, c’est-à-dire qu’il avait un petit commerce, il vendait un peu de tout dans l’une des petites boutiques qu’on trouvait sur la place du marché.

 

 Mosciska sur une carte de Galicie, 1868

 

Une petite ville à l’écart des grandes routes, sur une colline, un ruisseau qui traverse le paysage, une grande place, de petites maisons avec leurs jardins.

Malheureusement notre mère mourut à l’âge de 35 ans, peut-être en couches, je ne me rappelle pas vraiment. En plus, nous n’avons pas de photo de famille datant d’avant la Première Guerre mondiale. Comme je vous l’ai déjà dit, nous étions nombreux, et pas très riches : nous n’avions pas les moyens de nous faire photographier.

Toujours est-il qu’après la mort de ma mère, les filles aînées ont dû s’occuper des plus petits. Alors Gitel, Ruchel et moi, on s’est occupée de nos frères et sœurs du mieux qu’on le pouvait. Au fur et à mesure qu’ils grandissaient, c’était à leur tour de s’occuper des plus jeunes. Frieda, bien qu’âgée de six ans de moins, nous a très vite aidées. Elle avait un caractère doux, elle s’occupait bien des enfants.

En 1914 notre famille a fui les pogroms qui ont suivi l’arrivée des troupes russes en Galicie. En effet, lorsque ces dernières sont arrivées, un flot de Juifs russes a déferlé, et notre père a pris peur. Je pense qu’il a cru que les pratiques antisémites fréquentes de l’autre côté de la frontière accompagneraient l’arrivée des Russes, et il a décidé de fuir. Par exemple, pendant cette période, le nombre de commerces tenu par des chrétiens dans les petites villes s’est considérablement accru. Ces derniers pourvoyaient les paysans en denrées de toutes sortes à des prix très raisonnables tout en excluant les commerçants juifs. Tout cela a rendu les finances de la famille encore plus compliquées qu’elles ne l’étaient déjà, et nous a forcés à partir.

 

 populations déplacées de Galicie – Georges Muse pour le Daily Mirror – 1915

 

Des réfugiés fuyant la Galicie, assis sur leurs affaires au sommet d’une carriole (Georges Muse pour le Daily Mirror, 1915)

Nous nous sommes donc réfugiés à Vienne. Enfin à l’âge de 20 ou 25 ans peut être Frieda fut confiée à un bienfaiteur s’occupant des restaurants. Elle fut alors envoyée à Anvers pour travailler en tant que serveuse dans un de ces restaurants. Moi aussi, on m’envoya à l’étranger. Je partis pour Londres juste après Frieda, et je commençai aussitôt à travailler, tout comme elle. Au final, nous en avons appris des langues, dans notre vie… Nous parlions yiddish et polonais à Mosciska. Ensuite, quand les Russes nous ont envahi, nous avons appris à parler russe. Quand nous avons fui, nous avons dû apprendre l’allemand pour communiquer à Vienne : sans parler du fait qu’après, nous sommes tous partis habiter dans des pays différents… Ah, nous en avons appris des langues, dans notre vie…

Je crois que je vous ai dit tout ce que je savais sur Frieda. Et quand j’y pense, à mon avis il serait judicieux de retrouver ce bienfaiteur, il pourrait sûrement vous informer sur la vie de Frieda à cette époque. »

Nous la remercions de nous avoir accordé un moment pour nous raconter ses souvenirs sur Frieda et la quittons.

Oriane, Élise, Lola

 

2ème partie : à Paris avec Léon Ringer

Nous avons retrouvé un personnage important de l’histoire de Frieda et de Victor Kohn, grâce à leur déclaration de mariage : Léon Ringer. Il habitait au 10 rue Buffault, en face de là où habitait Frieda avant son mariage, rue Lamartine. Voici le témoignage que nous avons obtenu :

« Il y avait cette famille avec laquelle j’avais de bons liens, la famille Wagner. Au début de la Grande Guerre, j’ai appris qu’ils avaient fui vers Vienne. Je les ai vus là-bas et j’ai proposé à l’une des filles les plus âgées, Frieda, de venir travailler dans l’un des restaurants que j’avais en Europe de l’Ouest, à Anvers.

Elle savait parfaitement cuisiner les plats casher, sans doute car après la mort de sa mère, elle devait s’acquitter de la tâche difficile qui était de nourrir sa fratrie. Elle travailla dans ce restaurant pendant peut-être 6 ans. Elle rencontra un jeune Hongrois, Victor Kohn, et ce fut le coup de foudre.

Elle est ensuite partie en France à Paris, où elle s’est mariée avec Victor, je lui avais offert un emploi dans une charcuterie casher que j’avais rue Buffault.

Elle figure d’ailleurs sur cette photo, juste au milieu du groupe, avec sa robe noire sous son tablier blanc.

J’ai d’ailleurs eu l’honneur d’assister à leur mariage en tant que témoin.

 

 Frieda devant la charcuterie „la Cachère” – archives familiales

 

 registre des mariages – archives de Paris – mairie du IV – 30/10/1923

 

Malheureusement je ne l’ai plus revue une fois mariée, j’ai perdu Frieda de vue. Je me rappelle qu’ils ont quitté l’hôtel de la rue Vieille-du-Temple où ils ont d’abord vécu pour être logés un moment au 75 rue Doudeauville : un appartement tout petit, juste une cuisine et une pièce à vivre avec une chambre dans une alcôve, mais très chaleureux.

 

 extrait de du dossier de naturalisation – cote BB/11/9644

 

Le loyer de cet appartement était en 1922 de 800 frs par an, l’équivalent d’un mois du salaire de Victor. Frieda quant à elle gagnait 500 Frs par mois. Je vous suggère d’ailleurs d’aller voir au 60 rue Claude-Bernard, c’est là que Frieda est allée travailler ensuite, c’était une école juive où ils offraient un logement de fonction avec le poste de cuisinière ».

Daniel et Léonard

 

3ème partie : le meilleur ami de Victor témoigne

 

A Anvers, nous avons rencontré Armand, celui qui fut toute sa vie le meilleur ami de Victor depuis l’adolescence.

Bonjour, je suis Armand, j’étais l’ami de Victor puis, une fois qu’il s’est marié, celui de Frieda et je vais vous raconter ce que je sais de leur vie.

Avec Victor, nous nous sommes rencontrés en Tchécoslovaquie vers 1920. Nous venions tous les deux de Hongrie, et nous avons travaillé comme imprimeurs.  Nous sommes restés à cet endroit pendant un an peut-être, avant de nous engager dans la marine marchande en tant que mousses.

D’où nous sommes partis ? Ah, je ne m’en rappelle plus, je me fais vieux vous savez…

En tout cas je peux vous garantir qu’on est allé aux quatre coins du monde, de la Chine à l’Europe en passant par la Malaisie et l’Inde. On peut dire qu’on connaissait le monde comme notre poche. On est restés sur un bateau pendant près d’un an et c’est là que, lors d’une escale à Anvers en Belgique, Victor a voulu s’arrêter dans un petit café pour se reposer. Il avait particulièrement choisi un restaurant kasher qui lui rappelait son berceau familial et la cuisine de sa mère. Vous savez ce que c’est, la nostalgie… Or, ce café était celui dans lequel travaillait Frieda, qu’il ne connaissait pas encore. Une fois sortis du café, il m’a demandé si j’avais remarqué la serveuse car il pensait que c’était la femme de sa vie.

Après cette journée, Victor et Frieda ont commencé à se fréquenter. Frieda était juive elle aussi mais beaucoup plus croyante que Victor. Elle était née dans une petite ville perdue de Galicie, à Mosciska, si je me souviens bien. C’était désormais en Pologne. Victor adorait sa cuisine qui était franchement délicieuse (et il l’adorait elle aussi, évidemment).  Au bout d’un moment, Victor est venu me voir pour m’annoncer qu’il voulait démissionner de la marine marchande et aller à Paris pour se marier avec Frieda. Elle avait réussi à avoir un nouvel emploi dans un commerce à Paris, toujours avec le même patron — ce patron, c’était un ami aussi, un bienfaiteur même, je dirais.

Alors, nous sommes parti tous les trois pour Paris.

Pendant un certain temps, la vie a été plutôt calme.

 

 Frieda et Victor Kohn – archives familiales

 

 bulletin de mariage – 111922-KOHN_Victor_21P_581_244_111922_DAVCC_copyright

 

Victor et Frieda se sont mariés le 30 octobre 1923 à la mairie du IVe arrondissement de Paris. Léon Ringer, leur bienfaiteur, et Meyer Outzerovsky, un ami traducteur qui les avait bien aidés lors de leur arrivée en France, étaient leurs témoins. La copie de l’acte de mariage figurant dans le dossier du ministère des Anciens combattants pour l’établissement de leur certificat de décès en déportation.

 

Frieda Kohn et son fils Albert – 1924 – archives familiales

 

 Frieda Kohn, son fils Albert et sa fille Charlotte – 1931 – archives familiales

 

Frieda et Victor ont eu deux enfants, Albert qui est né le 16 Octobre 1924, et Charlotte née en 1931 : vous voyez que je me souviens encore de leurs dates d’anniversaire…

Nous avons aussi demandé ensemble notre naturalisation pour avoir la nationalité française. Je me rappelle bien de la scène : Victor est rentré du travail le 1 juin 1925, il a rejoint sa famille dans leur petit appartement, rue Doudeauville. Ils se sont raconté leur journée de travail et puis Victor a abordé le sujet de la naturalisation. Frida ne comprenait pas pourquoi ils devraient faire cela. Son mari lui expliqua alors que pendant la guerre les pertes avaient été nombreuses, et qu’il avait lu dans un journal que le gouvernement français voulait faciliter la naturalisation. Victor a insisté sur le fait qu’il avait lu dans le journal „Le Matin” que le gouvernement commençait à y réfléchir, et il a dit que de plus, être Français serait un honneur, que ce serait vivre dans le plus beau pays du monde… Au final Frieda a cédé mais elle a rappelé à Victor qu’elle ne savait pas bien écrire le français. Il l’a rassurée et lui a expliqué qu’on pourrait lui écrire sa demande au crayon à papier et qu’elle repasserait par dessus.

C’est ainsi que tous le trois, nous avons fini par demander notre naturalisation en juin 1925 et que nous l’avons obtenue deux ans plus tard le 30 novembre 1927. Ce fut un grand bonheur pour nous : c’était comme commencer une nouvelle vie. Voilà, cette naturalisation allait changer toute notre vie.

 

 lettre manuscrite du dossier de naturalisation – cote BB/11/9644

 

 focus sur la lettre manuscrite du dossier naturalisation – cote BB/11/9644

 

Sur sa demande de naturalisation, on peut voir que la phrase écrite et signée par Frieda, « je me joins à la demande de mon mari », a été repassée à l’encre par-dessus des mots au crayon — et l’écriture n’est pas la même que la signature ferme et arrondie de Frieda. On imagine ici l’intervention d’un fonctionnaire de la Préfecture face à une femme qui n’écrit sans doute pas bien le français.

 

 

Bon, j’avance un peu dans mon histoire, nous dit Armand, nous nous retrouvons maintenant en 1939. Lors de la déclaration de guerre, Victor et moi avons été mobilisés en Alsace, d’abord au 224ème régiment régional du 2ème bataillon de la 8ème compagnie. Puis en 1940, nous sommes déplacés dans le 7ème régiment d’infanterie coloniale de la 9ème compagnie, et nous y sommes restés tout le temps de la « drôle de guerre ». Notre régiment à d’abord été basé dans les Vosges pour soutenir les troupes dans la ligne Maginot, puis, il a été déplacé à Chantilly.

Victor Kohn à Frida – 14 octobre 1939 – archives familiales

 

Victor à Frida, verso de la carte de Chantilly – 14 octobre 1939 – archives familiales

 

Victor Kohn, permission – 21 avril 1940 – archives familiales

 

Documents @archive familiale

 

Et pendant ce temps de la « drôle de guerre », les enfants des écoles comme la petite Charlotte, avaient été évacués de Paris pendant six mois par la Mairie du Vème. On les a envoyés à Ver-sur-Mer en Normandie.

Le consistoire israélite, de son côté, avait évacué Frieda et Albert à Vichy. Ce fut un gros problème pour Victor car il voulait rester en contact avec sa famille. Pour cela, il envoyait des lettres régulièrement à Paris. Mais, après l’évacuation, il n’avait pas la connaissance des lieux où sa femme et ses enfants avaient été évacués. Donc il écrivait des lettres mais ne savait pas où les envoyer.

 

J’avais déjà remarqué que Victor arrivait parfois à prévoir le futur, mais jamais sur un événement aussi important.

Il savait que sa famille était en danger, car il se doutait bien que les Allemands allaient bientôt arriver. Il voulait donc les protéger. Mais il n’avait sans doute pas prévu la collaboration du gouvernement français avec les Allemands et il ne pouvait pas prévoir l’atrocité des évènements qui allait se produire. Néanmoins il a écrit à Frieda pour lui demander de le rejoindre avec les enfants dans l’Ariège où, par je ne sais plus quel hasard de la guerre, il avait fini par arriver.

 

les Allemands sur les Champs Elysées

 

Partir de Paris, ils ont évidemment tenté de le faire… le 13 juin 1940 et, malheureusement, ils n’ont pas réussi à quitter la capitale du fait des événements : le lendemain, le 14 juin 1940, vous ne le savez peut-être pas, mais c’est le jour de l’arrivée des Allemands dans Paris. Donc la veille, tous les Parisiens ont essayé de sortir au plus vite de la ville et de rejoindre la campagne, c’est l’Exode. Mais Frieda et ses enfants n’ont pas réussi à quitter Paris : pour cela, les trains étaient le meilleur moyen de transport (surtout quand on n’avait pas de voiture…) mais des queues d’une longueur épouvantable se formèrent à l’entrée des gares et même dans les rues de Paris : l’avenue des Gobelins était impossible à traverser à cause de la foule. La gare la plus proche était la gare d’Austerlitz. Or après des heures d’attente, quand ils ont pu accéder aux quais de la gare, il n’y avait plus de trains. Ils n’ont donc pas pu quitter la ville et ce fut à Victor de les rejoindre sur Paris un mois plus tard. C’est à ce moment-là que nous nous sommes perdus de vue car, de mon côté, j’ai réussi à me cacher dans la zone libre.

Maïa et Apolline

 

 

EN FAMILLE

4ème partie : le témoignage des enfants Kohn, Albert et Charlotte, transmis par leur petite-fille

Nous avons rencontré la petite-fille de Frieda et Victor, elle est venue témoigner dans notre collège. Elle nous a transmis ce que lui avaient raconté sa mère, Charlotte, qui a eu 90 ans en janvier dernier, et son oncle Albert, disparu il y a quelques années. Nous avons longuement parlé de leur vie en famille et voici par sa voix, le témoignage des enfants de Frieda et Victor. 

 

 Frieda, Victor et Albert avec Jacob Wagner – archives familiales

 

Jacob Wagner, le frère de Frieda, rend visite à sa sœur (photo@archive familiale). Nous sommes en France, aux alentours de 1926. Frieda décide d’immortaliser les moments passés avec son frère lors de sa visite en prenant une photo avec lui.

La photo, en noir et blanc, représente Jacob Wagner (le frère de Frieda), debout en haut à gauche ; Frieda Kohn, assise, à gauche ; Victor Kohn, son mari, assis à droite et leur enfant, Albert, debout sur les genoux de ses parents. Le petit garçon n’a pas l’air très à l’aise sur ses jambes, ses parents se voient donc obligés de le soutenir par derrière pendant qu’il s’appuie sur un bâton.

Derrière cette petite famille, on peut apercevoir des rideaux aux motifs fleuris. Sont-ils chez eux, ou dans le studio d’un photographe ?

Tous sont bien habillés : les deux hommes sont en costume, portant une cravate et un mouchoir de poche, tandis que Frieda, elle, est vêtue d’une longue robe noire. Albert, au centre, porte des bottes de pluie, un short et un pull en laine.

On remarque un petit air de famille entre Jacob et Frieda, qui ont la même forme de lèvres, de nez ou encore de sourcils. De plus, il paraît que Jacob était très proche de Frieda…

Elise

 

Frieda et Victor étaient des parents aimants et très affectueux. Frieda, notre mère, a travaillé longtemps comme cuisinière, avant elle a été vendeuse dans une boucherie de Léon Ringer. Victor, notre père, était imprimeur (je me souviens qu’il travaillait rue Henri Chevreau dans le 20ème) — enfin, il n’avait pas commencé comme imprimeur quand il est arrivé en France, il avait dû arrêter temporairement ce travail pour prendre un emploi de commis le temps d’apprendre parfaitement le français. Ce travail lui rapportait 800 Frs par mois.

Pour nous, Victor était très moderne et même avant-gardiste, il était très instruit ; il nous lisait des livres, Alexandre Dumas par exemple. Et puis, Victor a appris les échecs à son fils. Il nous enseignait l’histoire et l’astronomie, il en était passionné. D’après Albert, son fils, on peut dire qu’il admirait beaucoup Einstein (pour tout vous dire, grâce à cette éducation, Albert est entré au lycée Louis le Grand tandis que Charlotte est allé au collège Paul Bert). Il parlait quatre langues (hongrois, yiddish, allemand et français) tandis que Frieda, notre mère, en parlait six (yiddish, polonais, russe, allemand, flamand et français). Entre eux, au départ, ils parlaient allemand puis français et quand ils ne voulaient pas qu’on les comprenne, ils parlaient allemand (mais nous, les enfants, nous les comprenions).

Elle, elle était très croyante, lui l’était moins. C’est ce qui l’a perdue : elle pensait que sa foi la sauverait, que Dieu l’aiderait.

Toute la famille faisait souvent des balades au Jardin des Plantes ou au Luxembourg tous proches. Le week-end, on allait à la campagne vers Saint-Ouen l’Aumône près de Pontoise — eh oui, à l’époque, c’était encore la campagne par là.

 

Théâtre du Châtelet – carte postale ancienne

 

 Théâtre de l’Odéon – carte postale ancienne

 

On écoutait aussi beaucoup de musique, car nous avions un gramophone : on passait souvent les disques de Mistinguett, et surtout beaucoup d’opéra : on chantait « Carmen » tous ensemble. Notre famille faisait souvent des sorties, nous allions au théâtre du Châtelet ou à celui de l’Odéon, mais aussi au cinéma : nous adorions Laurel et Hardy, Chaplin, Jean Gabin et les premiers Walt Disney.

Lors de la débâcle, alors qu’il était à l’armée dans le 7ème régiment d’infanterie coloniale, il s’est retrouvé dans l’Ariège.

 

 Kohn à l’armée – 1939 – archives familiales

 

A ce moment-là, Victor a eu le pressentiment de la « fin », il a donc demandé à Frieda de quitter Paris mais au vu de son refus, quand il est revenu, il lui demanda au moins de cacher Charlotte (leur plus jeune enfant) et c’est lui qui a montré à Albert un chemin par lequel il pourrait s’enfuir du foyer rue Vauquelin, en cas de rafle.

Nybras, Nina et Adèle

 

 

L’OCCUPATION

5ème partie : le témoignage de M. Marcel, homme de peine au foyer de l’UGIF

 

Au cours de nos recherches, nous avons trouvé que Frieda avait travaillé à l’école juive, 60 rue Claude Bernard mais qu’ensuite elle avait été engagée à l’Institut rabbinique au 9 rue Vauquelin : c’est là que se trouvait l’internat des garçons de l’école Maïmonide.

 

 9 rue Vauquelin aujourd’hui – photo internet

 

Pendant l’occupation, l’institut a dû fermer puis il est devenu un internat de jeunes filles. Un certain M. Marcel y travaillait alors et a marqué les souvenirs des survivantes de cette  époque, comme Yvette Lévy.

Nous avons alors interrogé Monsieur Marcel sur l’histoire de l’orphelinat de jeunes filles juives  du 9 rue Vauquelin pendant la Seconde Guerre mondiale. Il commença par nous raconter ceci :

« 27 orphelines y logeaient cachées par l’UGIF. Depuis janvier 1944, ces lieux étaient dirigés par Mme Mortier. Il y avait aussi des monitrices qui s’occupaient de l’animation et puis des éclaireuses qui venaient là quelques après-midis par semaine (je crois que vous connaissez l’une d’elle, Gypsie) ».

Il continua son histoire en expliquant son rôle dans cette maison :

« Le matin, j’allais faire les courses pour Mme Kohn qui à l’origine était la cuisinière puis elle était devenue la concierge de l’orphelinat — c’est qu’il n’y avait plus grand-chose à cuisiner ! Je partais tôt le matin pour le marché voisin, le marché des Patriarches car à partir de 1942, la cuisinière étant juive, elle ne pouvait plus faire les courses à cause du couvre-feu et des restrictions ; alors que moi, je n’étais pas juif, je sortais comme je voulais. A midi, je déposais les courses et je prenais les messages des jeunes filles pour leurs parents : en effet, elles n’étaient pas toutes réellement orphelines, certaines familles les avaient mises là en pension dans l’espoir de les cacher et de les sauver du danger. Après le repas, j’allais déposer les lettres à leurs destinataires puis je partais retrouver la mère d’une des filles de l’orphelinat qui était handicapée et qui vivait au dernier étage de son immeuble, une femme que j’aidais.

Seulement le 22 juillet 1944, cette routine fut bousculée par l’événement que nous redoutions tous. Quand je suis entré dans l’orphelinat ce matin-là, quand j’ai ouvert la porte, au lieu d’entendre le brouhaha habituel de jeunes filles pleines de vie, j’ai entendu un silence mortel. Les courses m’ont glissé des mains, les patates se sont étalées sur le sol. Les voisins, voyant la porte ouverte, ont accouru et m’ont raconté le cauchemar de la nuit passée. Les SS avaient débarqué à 5 heures du matin. Ils les avaient toutes emportées, toutes. »

Marcel nous confia qu’il était resté sous le choc, les jours suivants. Il n’arrivait pas à accepter cette réalité et il lui restait l’espérance de les revoir :

« Et deux jours plus tard, Mme Mortier était apparue sur le seuil de la porte alors que je nettoyais le sol. C’était comme un fantôme. Pendant quelques minutes nous sommes restés figés l’un en face de l’autre, nous avions de grosses larmes qui nous coulaient sur les joues, enfin elle murmura ces quelques mots : « Marcel, l’homme de peine », c’était ainsi qu’on m’appelait au foyer. Mme Mortier était venue chercher des vêtements pour les jeunes filles car dans la précipitation elles avaient été emmenées à Drancy en chemise de nuit. Ensuite, je ne l’ai plus jamais revue. »

Nour et Violette

 

 

LA FIN

6ème partie : Yvette Lévy, une survivante du Convoi 77 raconte

 

Nous avons retrouvé enfin l’une des filles qui était à l’internat pendant que Frieda y travaillait, Yvette Lévy, qu’on surnommait Gypsie. Elle nous a raconté ce qui suit :

Je m’appelle Yvette Lévy, de mon nom de jeune fille Dreyfus. Je suis née en 1926. J’étais bénévole à l’UGIF, l’Union Générales des Israélites de France, au foyer rue Vauquelin, et j’y restais certaines nuits. C’est ici que j’ai connu Frieda, Madame Kohn. A ce moment-là de l’été 1944, elle avait la fonction de concierge.

L’arrestation a eu lieu la nuit du 21 au 22 juillet 1944. Elle était menée par le chef du camp de Drancy, Aloïs Brunner. De Drancy, nous avons été déportés à Auschwitz le 31 juillet 1944, par le convoi 77, le dernier convoi de déportation de juifs de Drancy vers Auschwitz. J’ai travaillé là-bas, et c’est ainsi que j’ai survécu.

 

Alors, s’il faut que je vous raconte les événements dans l’ordre… L’arrestation a eu lieu en pleine nuit, celle du 21 au 22 juillet 1944, l’une des nuits pendant laquelle j’était restée dormir à l’UGIF. Souvent, des résistants juifs venaient se réfugier à l’UGIF, c’est pour cela que lors de l’arrivée des SS, Frieda qui était gardienne ne s’est pas méfiée en ouvrant la porte. Bon, qu’est-ce que ça aurait changé ?… C’est là que la rafle a commencé. Je sais que des enfants ont pu s’échapper par un passage vers la cour derrière les bâtiments : nous avions prévu une fuite par une planche mise en travers d’une fenêtre pour rejoindre la cour de religieuses voisines mais nous n’en avons pas eu le temps. Mon frère aîné qui était là aussi a eu plus de chance : grâce à la lenteur volontaire de celui qui devait nous réveiller, il me semble que s’était Victor, le mari de Frieda, il a pu ainsi s’échapper avec ses camarades et se planquer dans le marché couvert proche de leur établissement, le marché des Patriarches. Ils ont pu donc éviter d’être raflés, Albert le fils de Frieda et Victor également, et les deux filles de la directrice, Madame Mortier, se sont cachés dans la cage d’escalier d’un immeuble voisin.

Les SS nous ont emmenés dans un camion bâché, et encadré par les tractions noires allemandes, nous avons chanté jusqu’au camp de Drancy. Lorsque nous y sommes arrivés, nous étions en pleine canicule, fin juillet n’est-ce pas ? Et nous n’avons eu le droit à aucun moment à de l’eau lors de notre arrivée. Les chambres dans lesquels nous avons été logés pendant les quelques jours où nous y sommes restés étaient étroites et dans un état déplorable et répugnant, elles étaient infestées de punaises.

 

Drancy – 29F48C1

 

Après la guerre, un document du dossier du Ministère des Anciens combattants indique la présence de Victor à Drancy du 22 au 31 juillet 1944 et sa déportation. Après quoi, ce fut l’appel, et nous sommes partis. Dans le convoi, celui qui nous mena jusqu’à Auschwitz, il y avait 1306 personnes dont 300 enfants de moins de 16 ans et un nouveau-né d’une dizaine de jours, dans une boîte en carton en guise de berceau — et il y avait en plus un vieux Monsieur sur une civière. Je me souviens d’avoir vu Frieda dans le convoi mais je n’ai aucun souvenir de Victor. Il faut dire que je ne le connaissais que de vue, il n’était pas au foyer dans la journée puisqu’il travaillait au-dehors alors que Frieda, que j’appelai Madame Cohen et non Madame Kohn, oui, je la voyais tous les jours.

Nous sommes partis pour Auschwitz le 31 juillet 1944. Le voyage a duré trois jours et trois nuits dans les wagons à bestiaux ; environ 100 personnes dans le wagon ; 2 seaux, un d’eau, l’autre pour les « besoins » : la porte a été ouverte une seule fois pour le vider. Il faisait une chaleur torride.

Pendant la nuit du 3 août, le train s’est arrêté tout au fond du camp, près du crématorium II. Lors de la « sélection », nous avons été séparés en deux groupes : il y avait ceux qui allaient être emmenés pour aller travailler dans le camp comme moi — et les autres qui sont allés directement à la chambre à gaz. En descendant du train, je me souviens d’avoir vu Frieda avec la directrice, je crois, une dame aux cheveux blancs, entourées de jeunes filles de l’UGIF et elles ont été sélectionnées pour la chambre à gaz. Victor, je ne me souviens pas de l’avoir vu sur le quai et donc je ne sais pas s’il a été gazé immédiatement. Mais il avait quarante ans passés, alors…

Lucie et Louison

 

Victor ne figure pas sur les listes d’entrées à Auschwitz au contraire de Frieda mais nous savons qu’ils y sont morts sans doute dès le 3 août 1944 (et non le 31 juillet 1944 à Drancy comme cela figure sur leur acte de décès), gazés dès leur arrivée, sans être entrés dans le camp.

 

 

 mort pour la France – Frieda – 29CA9D1- DAVCC du SDH -1024×683

 

En 1956, les époux sont déclarés « morts pour la France », à la demande de leurs enfants.


Les auteurs :

Nybras Ayari, Adèle Bonnier, Oriane Cabrol, Augustin Curtet, Aurélien Deleplace-Sigot, Elliot Gregory, Apolline Joly, Léonard Lazzari, Violette Montagne, Nour Mghaith, Garance Peslin, Daniel Raichman, Nina Ramaget-Vornetti, Maïa Riva, Lucie Sanchez, Louison Varin, Élise Vergnes, Lola Wartel-Paoli ont écrit les textes.

Le texte et les illustrations ont été édités par Aurélien Deleplace-Sigot et Mme Darley, professeur d’histoire-géographie du groupe.

 

Les sources :

Le dossier du DAVCC du SHD de Caen (la Division des archives des victimes des conflits contemporains au Service historique de la défense) pour Victor et pour Fradel (Frieda) Kohn ; registre d’état-civil de Mosciska (aujourd’hui Ukraine) ; registre d’état-civil de Vacz (Hongrie) ; catalogue d’exposition « 245 ans d’imprimeurs à Vac, 1772 – 2017  » (Nyomdaszati katalog www.muzeumvac.hu) ; le décret de naturalisation n°25263 X 26 du 30 novembre 1927 (dossier cote BB/11/9644 aux Archives nationales) ; les ressources du Mémorial de la Shoah, les souvenirs de Mme Charlotte Kohn transmis par le témoignage de sa fille, Mme Kaminsky (rencontre avec le groupe le 14 janvier 2021 et courriers) ; un entretien téléphonique avec Mme Yvette Lévy (décembre 2020) ; les archives familiales Kohn-Kaminsky (photos, cartes postales, documents divers) ; quelques cartes postales anciennes.

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