Bernard BERKOWICZ, 1932 – 1944
Photographie de Bernard Berkowicz, trouvée dans les affaires de son frère Joseph par Richard Niderman
Cette biographie a été réalisée par la classe de terminale 4 du lycée Louis Vincent de Metz, la ville natale de Bernard Berkowicz. Il y est né le 26 novembre 1932 à l’hôpital Belle-Isle. Il est le 3ème enfant de Moszek et Mariéna Berkowicz.
1. NOS TEMOINS
Pour mener à bien cette enquête, nous avons pu rencontrer plusieurs témoins
Evelyn ASKOLOVITCH
Mme Askolovitch est née le 15 juillet 1938 à Amsterdam de parents juifs allemands. Le 12 mars 1943, Evelyn Askolovitch (âgée de 4 ans et demi) et ses parents ont été dénoncés aux autorités allemandes et ont été arrêtés. Internés dans deux camps, Vught, un camp de concentration et Westerbork, un camp de déportation, tous deux aux Pays-Bas, ils sont déportés en février 1944 au camp de Bergen-Belsen jusqu’au 21 janvier 1945. Grâce à un faux certificat de nationalité du Honduras obtenu par l’intermédiaire d’un ami suisse, la famille a pu échapper à la déportation à Auschwitz.
Au cours d’une rencontre par visioconférence le 4 janvier 2021, elle nous a relaté les quelques souvenirs qui lui restent de sa déportation. Cela nous a permis de mieux comprendre l’histoire de Bernard et de sa famille, même s’il y a beaucoup de différences. Mme Askolovitch a été internée dans des camps de concentration, alors que la famille Berkowicz et Bernard ont été envoyés dans un centre de mise à mort où ils ont été exterminés.
Richard NIDERMAN
Richard Niderman est né après la guerre, à Forbach. Depuis la mort de son frère Joseph en 2014, il fait des recherches sur son histoire et celle de sa sœur Charlotte, qui ont été déportés à Bergen-Belsen quelques jours avant le départ du convoi 77. Leur père étant prisonnier de guerre, ils n’ont en effet pas été déportés vers Auschwitz mais vers un camp de concentration dont ils sont revenus. Dans les affaires de Joseph, Richard a notamment retrouvé la photographie de Bernard Berkowicz ci-dessus, ce qui l’a amené à rechercher des informations sur lui dans les archives du Mémorial de la Shoah. Il honore ainsi « soixante ans de fidélité à un souvenir tragique ».
Les premiers contacts avec Richard Niderman se sont faits par mail, puis nous avons organisé une rencontre en visioconférence le 18 février 2021. Il nous a raconté ce qu’il savait sur l’histoire de sa famille. Cela nous a permis de mieux comprendre la vie des familles juives et des enfants séparés de leurs parents.
Robert FRANK
Il est un témoin capital. Même si le contexte sanitaire ne nous a pas permis de le rencontrer, il a pu nous donner de nombreux renseignements sur son histoire. Originaire de Metz où il est né le 11 novembre 1929, il est la seule personne à avoir connu Bernard. Il a vécu un chemin en partie similaire au sien. En décembre 1939, sa famille part se réfugier à Royan, en Charente-Maritime. Quelques mois plus tard, fin 1940, les Frank tout comme les Berkowicz partent pour Festalemps en Dordogne. Ce n’est qu’à ce moment-là que les deux familles se sont vraiment rencontrées. Elles y restent deux ans avant d’être arrêtées lors de la rafle de la salle philharmonique d’Angoulême en octobre 1942.
A travers divers échanges par mails, Robert Frank nous a fait part de ses souvenirs de Festalemps. C’est en effet là qu’il a connu Bernard et sa famille. Il a donc pu nous raconter la vie au village, et plus particulièrement ce dont il se souvient sur Bernard Berkowicz.
Daniel URBEJTEL
Daniel Urbejtel est né le 19 février 1931, à Paris, dans le XIIe arrondissement. Avec son frère Henri, ils ont tous les deux séjourné au centre Lamarck. Même s’ils n’ont pas de souvenirs de Bernard, ils l’ont forcément côtoyé et, comme lui, ils ont été arrêtés dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944 puis déportés par le convoi 77. Nous avons ainsi pu mieux comprendre ce qu’avait été le convoi 77. Les deux frères sont par contre revenus de déportation et font partie des derniers survivants du convoi.
Nous remercions tous ces témoins pour les informations qu’ils nous ont transmises et pour leurs messages de tolérance et d’espoir.
2. NOS PRINCIPALES SOURCES
* Les fiches domiciliaires
Des archives municipales de Metz, nous avons reçu la fiche domiciliaire de la famille Berkowicz. Les fiches domiciliaires ont été utilisées en Alsace-Moselle de 1871 jusqu’en 1940. Pour chaque foyer, elles indiquent la composition de la famille, les professions et tous les changements de domiciles. Elles cessent en général d’être tenues au moment où beaucoup de familles quittent Metz en 1940. Celle des Berkowicz est cependant complétée une dernière fois en 1960 pour mentionner le décès de Bernard à Auschwitz.
La fiche domiciliaire de Moszek Izbicki, beau-frère de Moszek Berkowicz nous a aussi été utile.
Fiche domiciliaire de Moszek Berkowicz (Archives municipales de Metz)
* Les dossiers de réfugiés en Charente-Maritime
Nous avons reçu de la part des archives départementales de Charente-Maritime à La Rochelle, un dossier de demande de renouvellement de papiers d’identité pour Mariéna Berkowicz. Il est établi lorsque la famille se réfugie à Royan en 1940. Un dossier semblable nous est parvenu pour Moszek Izbicki. Ces dossiers sont intéressants car ils nous permettent de retracer le parcours commun des deux familles à Royan. C’est grâce à ce dossier aussi que nous avons une photographie d’identité de Mme Berkowicz. On note qu’il lui est interdit de retourner en Alsace-Moselle réintégrée à l’Allemagne.
Extrait du dossier de renouvellement de papier de Mariéna Berkowicz établi à Royan en mars 1940.
(Archives départementales de Charente-Maritime)
* Le dossier militaire de Bernard
Le site du Convoi 77 a mis à notre disposition le dossier militaire de Bernard. Etant de nationalité française, Bernard est incorporable en 1952. Comme il ne répond pas à l’appel, il est considéré comme déserteur et l’armée mène une enquête qui n’est conclue qu’en 1960.
C’est alors que la mention de son décès est apposée sur la fiche domiciliaire de la famille.
Extrait du dossier militaire de Bernard Berkowicz (1951-1960) fourni par le site du convoi 77.
* L’enregistrement audio d’Alice Peyronnet
M Guy Peyronnet nous a transmis un enregistrement dans lequel sa mère en 2008 évoque les familles juives réfugiées dans le village de Festalemps en Dordogne pendant la guerre. Elle parle en particulier des Schuhmann qui vivaient chez elle et, sans les nommer, des Berkowicz qui vivaient chez ses beaux-parents et son jeune beau-frère, Fernand.
* Les lettres des enfants Berkowicz
Robert Frank nous a confié un ensemble de cinq lettres écrites par les deux aînés des enfants Berkowicz, Jacheta et Samuel, à la famille Peyronnet entre le 11 octobre 1942, soit 2 jours après la rafle d’Angoulême, et le 31 octobre 1942, soit 4 jours avant leur départ pour Auschwitz. Ces lettres avaient été confiées par Fernand Peyronnet à Robert Frank après la guerre. Celui-ci a déposé les originaux au Mémorial de la Shoah. Le fait qu’elles soient écrites par les enfants peut être un indicateur de la mauvaise maîtrise du français par les parents. Elles sont d’un grand intérêt car elles nous permettent de suivre le parcours tragique de la famille entre la rafle et le départ en déportation et de mieux connaître les membres de la famille, les liens avec les Peyronnet et les habitants de Festalemps. Dans ces lettres, il est toujours question de Bernard.
* Les archives polonaises
Grâce à Véronique, une camarade franco-polonaise du lycée, nous avons contacté les communes d’origine des parents Berkowicz en Pologne. La commune de Dzialoszyn où sont nés Moszeck et sa fille Jacheta ne détient aucune archive juive. Nous avons eu plus de chance avec la commune de Wielun, d’où Mme Berkowicz est originaire. Elle nous a fourni l’acte de mariage des parents de Bernard.
Acte de mariage des époux Berkowicz en 1926 (archives municipales de Wielun)
Date
|
Noms, âges, lieu de résidence des futurs conjoints
|
Noms des témoins
|
Noms et lieu de résidence des parents
|
Lieu et date de l’annonce du mariage
|
Signatures des témoins, des futurs mariés et de l’officier de l’état civil
|
14/02/1926
|
Berkowicz Moszek- Nisorz, célibataire, 25 ans, habitant de Dzialoszyn
Chmura Ruchla Marjem, célibataire, 23ans, habitante de Wieluń
|
Lajb Kind, knocker-up, âgé de 74 ans et Michal Markowicz, knocker-up, âgé de 63 ans, tous les deux habitants de Wieluń
|
Le fils de Icka Majera et Jacheta Berkowicz habitants de Dzialoszyn
La fille de Gabryela et Chaji Mendlewicz habitants de Wieluń
|
1-8-15 mai 1926 dans la synagogue de Wieluń | M.N BerkowiczR. ChmuraM. MarkowiczL. KindL’officier de l’état civilOraczanskiRabin : M. Grunberg |
Traduction de l’acte de mariage réalisée par Véronique Chyla
Acte de naissance de Samuel Berkowicz (archives municipales de Wielun)
|
Traduction de l’acte de naissance de Samuel Berkowicz réalisée par Véronique Chyla
* Les documents du Centre Israélite de Montmartre
Nous avons contacté le Centre Israélite de Montmartre (CIM) qui occupe les locaux de l’ancien centre Lamarck. Il nous a communiqué des copies du registre de police qui, à partir de 1941, enregistrait les entrées et sorties d’enfants. Il nous a également fourni un exemplaire de la revue de propagande allemande Signal se rapportant au bombardement du centre en avril 1944.
Couverture du registre de police du centre Lamarck (archives du centre israélite de Montmartre)
3. HISTOIRE DE BERNARD BERKOWICZ
Grâce à tous ces témoignages et à ces sources, nous avons pu reconstituer dans ses grandes lignes la vie de Bernard. Pour nous aider à nous repérer, nous avons construit la généalogie ci-dessous. (Il y a une césure entre 1934 et 1939, car nous ne disposons d’aucune information sur cette période).
* Une famille polonaise immigrée à Metz (1929-1930)
Moszek Berkowicz est né le 11 août 1902 à Dzialoszyn en Pologne. En février 1926, il épouse Mariéna Khmura à Wielun, ville où elle est née le 15 mars 1899 à une trentaine de kilomètres de là. Sa fiche domiciliaire nous apprend qu’il est tailleur et qu’il arrive seul en France en août 1929 quelques mois après la naissance de son deuxième enfant. Dans un premier temps, il loge chez son beau-frère, Moszek Izbicki, le mari de sa sœur, en Vincentrue.
Mme Berkowicz et ses deux enfants ne viennent à Metz qu’en mai 1930. La famille réunie quitte alors le domicile des Izbicki et change plusieurs fois de logements avant de s’installer au 2 rue des Ecoles en mai 1933 quelques mois après la naissance de Bernard. Elle y reste jusqu’en 1940. L’annuaire professionnel de la Moselle de 1936 indique cette même adresse. C’est donc probablement là que Moszek avait son atelier.
Avant d’immigrer en France, le couple a probablement vécu d’abord à Dzialoszyn puisque c’est là que naît Jacheta, appelée aussi Jeannette, son premier enfant le 9 juin 1927. Par contre, le deuxième enfant, Zalmann ou Samuel, est né le 23 février 1929 dans le village d’origine de sa mère. Son acte de naissance indique que ses parents habitent Wielun. On peut ainsi supposer que, quelques mois avant le départ programmé de son mari pour la France, Mme Berkowicz est retournée s’installer près de ses parents. Elle reste ainsi près de dix mois en Pologne avec ses deux jeunes enfants avant de rejoindre son mari à Metz en mai 1930.
* Bernard, un enfant français.
De toute la famille Berkowicz, seul Bernard est français. En effet, étant né en France, il a obtenu la nationalité française sur déclaration de ses parents en application d’une loi de 1927. Nous avons tenté d’obtenir son dossier de naturalisation auprès des archives nationales. Il n’a cependant pas été retrouvé. Par contre, dans le dossier de demande de renouvellement de papiers que Madame Berkowicz a établi à Royan en 1940, elle fournit un certificat de nationalité française de son fils. Elle précise même la date (25 janvier 1933) et le numéro du dossier. En outre, le fait que l’armée ait cherché à incorporer Bernard en 1952 prouve bien qu’il était français.
Certificat de nationalité de Bernard Berkowicz issu du dossier de renouvellement de papiers d’identité de Mme Berkowicz établi à Royan en 1940
* Une vie à Metz dont nous ignorons presque tout (1930-1939)
A part les renseignements administratifs contenus dans la fiche domiciliaire et la mention de Moszek Berkowicz dans l’annuaire de la Moselle de 1936, nous ne connaissons rien de la vie de la famille à Metz. Nous ne disposons d’aucun document familial. Comme le montre l’arbre généalogique que nous avons réalisé, nous n’avons au total que trois photographies des membres de la famille.
Arbre généalogique de la famille Berkowicz. Il nous permet de voir que nous n’avons pas de photographies de Moszek ni de Zelma, seulement leurs signatures
Il y a d’abord la photo de Bernard et sa sœur Jacheta issue du Mémorial des enfants juifs déportés de France de Serge Klarsfeld. Dans sa légende, Serge Klarsfeld indique qu’elle a été donnée au Mémorial de la Shoah par Robert Frank. Nous avons également une photo de Mariéna Berkowicz issue de la demande de renouvellement de papiers d’identité faite à Royan en 1940. Enfin, il y a la photo que Richard Niderman a retrouvée dans les affaires de son frère. Elle date de la période où les enfants étaient au centre Lamarck à Paris. Nous ignorons si la mention au dos « Souvenir de Berkowicz Bernard Paris Lamarck 649854 » a été écrite par Bernard. Si tel est le cas, c’est la seule trace de son écriture que nous ayons. De Moszek Berkowicz, nous n’avons que sa signature. De Samuel, il n’y a que la lettre qu’il écrite le 31 octobre 1942 aux Peyronnet depuis Drancy.
* Une famille de trois enfants
Photo de Bernard et de Jacheta Berkowicz
(Mémorial des enfants juifs déportés de France de Serge Klarsfeld)
La photographie prise devant la préfecture de Metz vers 1938 montre deux enfants souriants et visiblement complices. Fille aînée de la famille, Jacheta a certainement secondé sa mère pour élever ses deux frères, surtout Bernard qui avait cinq ans de moins qu’elle. Ce n’est que pendant qu’ils étaient à Festalemps que Robert Frank a connu Bernard.
Il nous explique que c’était “un garçon frêle, blond, très doux, sérieux, toujours bien habillé et propre. Ce qu’on appelle un enfant facile. Il souriait souvent mais je ne me souviens pas de l’avoir entendu rire”. Il précise : « C’était un blond aux yeux bleus (je crois), au teint très clair, toujours souriant, la tête légèrement inclinée sur le côté droit, signe d’une légère timidité… C’est ainsi que j’en garde un souvenir vivace. » Cependant, Bernard avait trois ans de moins que lui. Ils n’étaient donc pas vraiment amis.
Par contre, Robert Frank a plus de souvenirs avec Samuel, le grand frère de Bernard qui avait quelques mois de plus que lui. Alice Peyronnet l’évoque dans son témoignage audio en 2008. Elle parle d’un grand beau garçon qui s’appelait Bouby. Robert Frank confirme ses propos : Samuel « était plus développé que moi physiquement et avait même fait la conquête d’une fille du village ». Selon Robert Franck, Bouby est un surnom affectueux donné aux garçons par les mères juives qui peut vouloir dire « mon chaton ». Visiblement, tout le monde l’appelait ainsi puisqu’il signe de ce surnom sa lettre du 31 octobre 1942.
De Jacheta, Robert n’a que peu de souvenirs. Il en a surtout entendu parler après la guerre par Fernand Peyronnet qui était tombé amoureux d’elle et qui l’est resté même après le décès tragique de celle-ci.
Le parcours similaire des familles Berkowicz et Izbicki
Comme son beau-frère Moszek Berkowicz, Moszek Izbicki, est originaire de Dzialoszyn où il est né le 27 novembre 1896. Il y épouse Frajda Berkowicz en 1923. Il vient à Metz en 1926 avec sa femme et ses trois premiers enfants. Une de ses filles décède en 1928. Trois autres enfants naissent en France. Il exerce la profession de cordonnier. C’est lui qui accueille à Metz Moszeck Berkowicz lorsqu’il immigre en 1929 et ce jusqu’à l’arrivée de son épouse et de ses enfants. Il quitte Metz pour Royan dès le 29 décembre 1939 par le 7ème convoi de réfugiés volontaires pour la Charente Inférieure. Les Berkowicz rejoignent les Izbicki en février 1940 et vivent ensemble, au moins temporarement, à la Villa Fleurette dans le quartier de Pontaillac.
Les deux familles ont été envoyées en même temps à Festalemps en décembre 1940. En revanche, les Izbicki ont quitté Festalemps pour le village voisin de Saint Antoine-Cumond, probablement au début 1942, peut-être pour pouvoir loger sa famille nombreuse dans de meilleures conditions.
C’est dans ce village qu’ils sont arrêtés lors de la rafle d’Angoulême des 8 et 9 octobre 1942. Ils retrouvent donc les Berkowicz à la salle philharmonique et sont déportés avec eux par le convoi 40. Il semble que certains de leurs cinq enfants n’aient pas été déportés en même temps qu’eux.
* Le départ à Royan (1940)
En septembre 1939, la Seconde Guerre Mondiale est déclarée, et les Mosellans sont incités à quitter la région pour fuir le danger. La famille Berkowicz part pour Royan le 6 février 1940 dans le 12ème convoi d’évacués volontaires. La fiche domiciliaire des Berkowicz confirme ce départ et indique une adresse à Royan : 1 bis rue du champ aux Oiseaux. Dans le dossier de renouvellement de papiers de Mme Berkowicz fait au printemps, figure une autre adresse : la villa Fleurette au quartier de Pontaillac. Il s’agit probablement d’une villa habituellement occupée par des estivants. Robert Frank confirme que sa famille a aussi vécu dans de telles résidences. Un recensement d’étrangers réfugiés à Royan établi à la demande des autorités allemandes en octobre 1940 totalise 370 personnes juives. Pour chaque famille, une fiche est également établie et signée par le père de famille. Ces réfugiés juifs ne peuvent retourner en Alsace-Moselle alors annexée par l’Allemagne.
Procès-verbal du 12ème convoi d’évacués volontaires pour la Charente-Inférieure le 6 février 1940 (Bureau de bienfaisance de Metz, Archives municipales de Metz)
Fiche de recensement d’étrangers en octobre 1940 (Archives départementales de la Charente-Maritime)
Déclaration de Moszek Berkowicz lors du recensement des réfugiés juifs le 15 octobre 1940
(Archives départementales de la Charente-Maritime)
* Départ et vie à Festalemps (1940-1942)
Les familles juives réfugiées sur le littoral Atlantique et notamment à Royan, sont expulsées fin 1940. En effet, c’est une zone interdite aux Juifs par l’occupant allemand. Les Berkowicz font partie des familles envoyées vers la Dordogne occupée. Le trajet se fait en train puis en camion, pour arriver dans le petit village de Festalemps, situé non loin de la ligne de démarcation. Ils sont logés dans la ferme de Fontaud chez la famille Peyronnet. Le plus jeune fils de la famille, Fernand, qui a une vingtaine d’années, va être d’une grande aide auprès des familles juives. En effet, avec l’aide de l’instituteur Henri Neyrat, il va œuvrer pour faire franchir la ligne de démarcation à trois des dix familles qui vivaient au village. Il leur a sauvé la vie. Il recevra des années plus tard, la médaille des Justes en 2003. Robert Frank a d’ailleurs apporté son témoignage pour qu’il reçoive cette marque de reconnaissance.
Carte de la Dordogne pendant la guerre : la partie à l’ouest de la ligne de démarcation est alors rattachée au département de la Charente. Journal Sud-Ouest, 24mai2020
Carte des environs de Festalemps pendant la guerre (document fourni par M. Guy Peyronnet, neveu de Fernand Peyronnet)
Grâce aux fiches de recensement établies à la demande de la préfecture, on apprend le nom des neuf autres familles juives d’Alsace-Moselle réfugiées à Festalemps entre 1940 et octobre 1942. Ces familles, qui ne se connaissaient pas forcément auparavant, ont tissé des liens entre elles. Robert Frank se souvient de soirées où elles se réunissaient et organisaient des parties de loto à la lumière de la « lampe à pastilles de carbure ». Les numéros étaient tirés en yiddish. Il évoque aussi un souvenir en lien avec les Berkowicz : envoyé à bicyclette par sa mère porter à la mère de Bernard un bouquet du lilas qui poussait devant la maison, il se retourne pour vérifier que les fleurs tiennent bien sur le porte-bagage, tombe de vélo et les fleurs arrivent en piteux état.
Recensement d’étrangers dans la commune de Festalemps en 1942 (Archives départementales de la Dordogne). Les Izbicki, qui figuraient dans un précédent recensement, ne sont alors plus domiciliés à Festalemps
Les familles juives semblent s’être bien intégrées au village de Festalemps. Robert Frank explique que ces deux années à la campagne ont été très heureuses pour le jeune garçon qu’il était. Son père ayant été paysan dans sa jeunesse s’y plaisait aussi. Les hommes et les garçons aidaient aux travaux des champs. Alice Peyronnet, la belle-sœur de Fernand, qui elle-même hébergeait les Schuhmann expliquait dans son témoignage que Mme Berkowicz était une très bonne couturière et qu’elle l’avait fait travailler plusieurs fois.
Robert Frank pense cependant que pour beaucoup d’adultes habitués à un certain confort à Metz, l’adaptation à une vie beaucoup plus rudimentaire a dû être difficile. Comme le village n’était pas desservi par l’électricité, il était impossible d’écouter la radio et on entendait peu parler de la guerre. Il n’y avait pas d’Allemands au village. Les enfants étaient donc insouciants.
Le seul souvenir pénible de Robert remonte à juin 1942 lorsque le port de l’étoile juive a été imposé à tous les juifs y compris aux enfants à l’école. L’instituteur, Henri Neyrat, a cependant interdit aux autres élèves de faire la moindre remarque à leurs camarades.
Dans les lettres qu’envoient Jacheta et Bouby aux Peyronnet en octobre 1942, on voit aussi qu’un réel attachement s’est créé entre les deux familles. Les Berkowicz font une confiance totale à leurs hôtes. On comprend aussi que les jeunes étaient intégrés à la vie du village. Ils demandent des nouvelles des uns et des autres, envoient leurs amitiés à des connaissances et adressent même des félicitations à un jeune couple peut-être à l’occasion de fiançailles ou d’une future naissance.
La plaque commémorative que Robert Frank a fait apposer au village il y a quelques années, constitue un dernier témoignage de ces liens.
Plaque commémorative apposée à Festalemps
* La rafle de la salle philharmonique (octobre 1942)
A partir de 1941, les rafles de Juifs se multiplient à travers la France. La plus importante est celle du Vel d’hiv le 16 et 17 juillet 1942 à Paris. De nombreuses familles messines réfugiées en Charente connaîtront celle d’Angoulême dans la nuit du 8 au 9 octobre 1942. Durant celle-ci, les familles ont été réveillées et arrêtées à leur domicile entre 5 et 6 heures au matin par les gendarmes. Elles ont disposé d’une heure pour rassembler toutes leurs affaires. Un car est venu ensuite les chercher et les a amenées à Angoulême.
Au total, 422 juifs (de 22 communes de Charente et du Périgord blanc rattaché à la Charente sont arrêtés et rassemblés dans la salle philharmonique à Angoulême dans le but d’être envoyés au camp de Drancy. Les conditions de vie y étaient déplorables (il faisait froid, il n’y avait pas de lits et très peu de chaises). Mais les autorités allemandes procèdent à un tri et ne sélectionnent pas les Juifs français. Bernard et Robert quittent donc la salle philharmonique le 11 octobre 1942, contrairement aux 387 Juifs étrangers, dont les parents, la sœur et le frère de Bernard. Robert Frank se souvient que les pères d’enfants français ont dû les accompagner dans la cour de la salle. Son propre père lui confie alors son porte-monnaie qui contient tout ce qui lui reste. Il nous raconte un autre souvenir marquant : « Monsieur Berkowicz s’est approché de moi avant que j’aie été brutalement arraché à mon père et me dit : “Robert, tu es un grand garçon. Fais attention et occupe-toi de mon petit Bernard. “. Je n’ai malheureusement pas su le protéger puisqu’il a été déporté dans le convoi n° 77 le 31 juillet 1944 et n’est pas revenu. »
Cour de la salle philharmonique d’Angoulême avec les plaques commémoratives de la rafle
Photo prise par Richard Niderman
* Les lettres
Le départ d’Angoulême se fait en train le 15 octobre et l’arrivée à Drancy, un jour plus tard, le 16 octobre. La plupart des personnes arrêtées sont déportées à Auschwitz par le convoi 40 le 4 novembre 1942. Il y a eu seulement 10 survivants de ce convoi. C’est pendant cette période que Jacheta et Bouby envoient cinq lettres aux Peyronnet. Les cinq lettres sont écrites par Jacheta qui signe Jeannette.
11 octobre 1942
Angoulême, le 11
Famille Peyronnet
Je vous prie de bien vouloir venir ici. Si Fernand pouvait venir on lui donnerait des affaires de valeur à emporter. Apportez-nous de la confiture, du miel, du beurre si vous en avez. Sortez le plus possible comme affaires. Apportez-moi un bon sac et beaucoup de corde. Mettez la confiture dans le seau du miel
On ne sait quand on partira d’ici, aussi venez le plus tôt possible.
On vous embrasse bien fort.
Famille Berkowicz
Noter l’adresse :13 rue Fénelon, Angoulême
Que Fernand vienne le plus tôt en vélo, le plus vite.
Dans cette brève lettre écrite deux jours après la rafle, Jacheta demande à trois reprises à Fernand de venir au plus tôt à vélo apporter de la nourriture et des cordes. Elle lui demande aussi de venir récupérer les affaires de valeur de la famille. Ses parents pressentent peut-être déjà une fin tragique. Robert Frank raconte que Fernand a en effet parcouru à vélo les 60 kilomètres qui séparent Festalemps d’Angoulême. Après la guerre, Fernand lui a confié avoir voulu faire sortir Jacheta de la salle, mais celle-ci a refusé de quitter ses parents. Fernand et Jacheta étaient en fait amoureux. La lettre du 31 octobre semble d’ailleurs montrer les liens tendres qui les unissent. Selon Robert Frank, Fernand ne s’est jamais vraiment remis de cette histoire. Dans la lettre, aucune mention n’est faite de Bernard qui est encore probablement avec sa famille. Jacheta termine en donnant une adresse, le 13 rue Fénelon, ce qui correspond au presbytère de la cathédrale. Cela signifie peut-être que certaines familles étaient logées hors de la salle.
15 octobre 1942
« Angoulême le 15-10
Chère famille Peyronnet, juste à l’instant où on a sorti les bagages, nous avons reçu votre colis et, nous vous en remercions. C’est sur les bagages que je vous écris ces quelques lignes. Nous laissons Bernard à la Croix Rouge, nous vous le confions. Vous irez le voir souvent, vous ne l’oublierez pas, je l’espère. Nous ne savons pas où nous allons. Tâchez de venir le voir le plus souvent et écrivez-lui. Je vous quitte en vous embrassant bien fort. Nous embrassons Fernand et Roger et toute la maison et Gilberte.
Famille Berkowicz, je vous embrasse »
Cette deuxième lettre, écrite une semaine après la rafle, est envoyée au moment où la famille s’apprête à partir vers Paris (et Drancy). Les bagages sont en effet sortis. Jacheta confirme la réception d’un colis. Elle pense que Bernard a été confié à la Croix Rouge, sans doute en fait au père Le Bideau. Elle demande aux Peyronnet de prendre soin de lui, surtout de lui écrire et de venir le voir le plus souvent possible. C’est une preuve de la confiance qui existe entre ces deux familles.
16 Octobre 1942
« Paris le 16 octobre 1942
Très chers amis
C’est de la gare de Paris que je vous écris, on s’en va au camp de Drancy, dans la banlieue de Paris. Donnez le bonjour à Bernard. Nos meilleures amitiés et bons baisers de toute la famille Berkowicz.
Je vous embrasse tous
Jeannette »
Ce mot écrit depuis la gare d’Austerlitz indique que la famille part au camp de Drancy. Jacheta ne semble pas montrer d’inquiétude particulière. Elle demande de donner le bonjour à Bernard.
Les deux lettres du 31 octobre 1942
Deux longues lettres sont envoyées ce jour-là, une par Jacheta, l’autre par Bouby. Les Berkowicz ignorent encore qu’ils sont à quatre jours de partir pour Auschwitz. Par contre, au bout de deux semaines à Drancy, leur santé physique et mentale semble s’être dégradée, surtout celle de Jacheta, et le ton, relativement insouciant des premiers messages, laisse place à une réelle angoisse.
Une lettre est écrite par Jacheta à Fernand personnellement, elle la signe « Votre petite amie Jeannette ». Elle rajoute en plus un mot à la suite de la lettre que son frère adresse à la famille.
Ces lettres montrent que la famille est tiraillée par la faim : les deux jeunes gens ont beaucoup maigri, Jacheta parle de 9 kilos et craint de ne pas pouvoir tenir longtemps. Tout en s’excusant de leur insistance, ils réclament des colis aux Peyronnet et leur joignent des bons en précisant à plusieurs reprises qu’il faut bien déposer les colis à la poste et non à la gare pour qu’ils arrivent. Ils s’inquiètent aussi pour Bernard qui est de santé fragile et souffre d’engelures. Il semble être question qu’il puisse retourner à Festalemps. A propos de Bernard, Bouby évoque les « Amélia » qu’il a écrits et qui ont à la fois fait rire et pleurer sa famille. Ce prénom, celui de la mère de Fernand Peyronnet, amusait sans doute le jeune garçon. Derrière ces simples mots, on devine la tendresse pour cet enfant facétieux, mais aussi le manque qui se fait sentir. Ces deux dernières lettres sont particulièrement poignantes car elles montrent que les Berkowicz n’ont plus que les Peyronnet pour se rattacher à une vie normale. Elles montrent aussi que les Peyronnet continuent à les soutenir du mieux qu’ils le peuvent.
Les deux jeunes gens prennent aussi des nouvelles de leurs amis de Festalemps. A la fin de la lettre de son frère, Jacheta se fait l’intermédiaire de Monsieur Helfand, qui ne sait vraisemblablement pas écrire le français. Arrêté seul le 9 octobre, il demande des nouvelles de sa femme qui a échappé à la rafle, car elle était souffrante. Ses deux enfants ont aussi été épargnés. Ils ont cependant été arrêtés quelques semaines plus tard et déportés par le convoi 46.
Surtout n’envoyez pas de colis par la gare, mais par la poste. Drancy, le 31.10.1942
Cher ami Fernand,
J’ai reçu votre réponse à ma lettre et vous pouvez vous imaginer le plaisir que cette carte m’a procuré. Nous avons eu une carte de Bernard, et je crois que c’est vous qui la lui avez donnée quand vous étiez le voir à Angoulême. Il vous dit que peut-être ira-t-il à Fontaud à la fin de la semaine. Je voudrais savoir s’il y est déjà ou s’il y viendra. Nous vous avons envoyé d’autres bons de colis mais nous sommes samedi et nous n’avons rien reçu encore. Les autres les ont presque fini de manger et nous les regardons avec l’estomac vide ; J’ai tellement maigri que presque toutes mes affaires me sont trop larges. Aussi, je vous prierai un peu et de nous envoyer les colis dès que vous recevrez les bons. Envoyez-nous surtout du pain dans tous les colis, et au moins un colis où vous remettrez que du pain. Surtout n’envoyez pas les colis par la gare mais par la poste parce que ça arrive dans deux jours, tandis que par la gare ça fait plus de huit jours que nous les attendons et ça n’arrive pas parce que si nous devons rester sans colis comme maintenant, je crois que je ne pourrai pas le supporter. Ne vous fâchez pas que nous vous donnions du travail et des ennuis mais nous vous considérons comme des parents quand on était chez vous et maintenant à plus forte raison, aussi je vous prierai de le faire de bon cœur, et quand on se reverra, et qui sera bientôt ; je l’espère, nous nous arrangerons. Je suis contente que Bernard soit chez vous et je compte sur vous pour qu’il soit bien, qu’il soit comme chez vous. J’ai envoyé 2 bons de colis à Madame Ferrier, vous me ferez le plaisir d’aller la voir et de la persuader qu’elle nous envoie les colis datés de la première quinzaine du mois. Nous avons aussi envoyé 2 bons à Monsieur Fenise chez Sabrier. Vous nous enverrez un peu de savonnettes. Et au pays, que se passe-t-il ? Chez Ferraud, vous transmettrez nos félicitations à Max et à Henriette. Vous donnerez le bonjour à Gilberte, Edouard, Janine et tous mes autres amis. Vous donnerez le bonjour à Irène et à sa famille et aussi à Roger. Vous transmettrez le bonjour à vos parents et à toute la maisonnée, de moi et de mes parents. Je termine ces quelques mots en vous embrassant fraternellement-votre petite amie.
Jeannette
PS : Surtout, n’envoyez pas de colis à la gare mais à la poste le plus vite possible. Répondez-nous au plus vite.
Drancy, le 31.10 1942
Chère famille Peyronnet.
Je vous écris quelques mots car nous en avons pas toujours l’occasion. Nous sommes en bonne santé et j’espère que vous aussi. Nous avons eu vos deux lettres qui nous ont fait grand plaisir. Nous sommes aujourd’hui vendredi et nous n’avons pas encore de colis et d’autres en ont déjà reçu. Nous comptons sur vous. Vous êtes maintenant comme nos parents car nous n’avons que vous pour nous aider. Figurez-vous à notre place. J’ai diminué de 9 kg au moins et je ne crois pas que je pourrais y résister. Famille Peyronnet, excusez-nous de vous déranger, mais on s’arrangera quand on reviendra. Sur chaque bon, on a droit à 3 kg et ils y mettent 2 bons dans chaque lettre. Un bon est pour 8 jours, donc les 2 bons sont pour 16 jours. Je comprends que l’on vous dérange car vous avez du travail mais que voulez-vous, nous n’avons que vous qui puissiez nous aider. Je vous remercie d’avance et j’espère voir les colis le plus tôt possible. Bernard nous a écrit qu’il allait peut-être chez vous pour cause de l’alimentation. Il sera sûrement mieux chez vous. Faites attention à lui je vous prie car il est très fragile il a des engelures aux pieds. Quand il nous a écrit ses fameux Amélia, cela nous a fait rire et pleurer. On remercie beaucoup Fernand de s’avoir déranger et nous vous prions d’envoyer les colis à la poste. Je termine ma lettre en espérant vous revoir bientôt. Un bonjour de toute la famille. Un bonjour à tous mes amis. Je vous remercie d’avance et je compte sur vous sur tous. Bonjour à Roger et Renée Bouby
Maintenant nous avons envoyé une lettre à Ferrier et chez Sabrier chez Fénise car ils nous doivent. Donc je vous prie de faire attention et que ces bons ne se perdent pas. Principalement pain.
Réponse SVP
Bonjour de la famille à Irène.
Cher Fernand,
Monsieur Helfand vous demande des nouvelles de sa femme, ce qu’ellefait et si elle voitDe Birras.
Il vous remercie d’avance.
Votre amie.
Si Bernard n’est pas chez vous, donnez-lui de nos nouvelles.
Jeannette
* Bernard entre Angoulême et la Vienne
Après avoir été séparés de leurs familles, plusieurs garçons juifs ont été recueillis par le père Le Bideau. Bernard et Robert sont ainsi restés plusieurs semaines dans des baraquements où ils ont été très bien traités. Cependant, Elie Bloch, le rabbin de Metz, réfugié à Poitiers a voulu que les enfants soient confiés à des familles juives françaises notamment pour qu’ils puissent continuer à recevoir une éducation religieuse. Ainsi, sur une liste conservée aux archives départementales de la Vienne, on voit qu’au 22 décembre 1942, Bernard Berkowicz loge à Lencloître chez les Aron. C’est une famille de quatre personnes vivant dans une petite maison de deux pièces (la mère et ses deux enfants, ainsi que sa belle-mère).
Liste des enfants placés dans des familles juives de la Vienne (Archives départementales de la Vienne)
Photographie de la famille Aron devant sa maison à Lencloître
(Archives du Mémorial de la Shoah)
Néanmoins le passage de Bernard dans cette famille semble avoir été de très courte durée. En effet, par l’intermédiaire de certains membres de la famille Aron, Mme Evelyne Bloch-Dano et M. Fabrice Bloch, nous avons pu retrouver M. Jacques Bichier, un ami des enfants Aron avec qui il passait beaucoup de temps. Ce dernier qui vit toujours à Lencloître, n’a aucun souvenir de Bernard. Sur ses conseils, nous avons contacté M. Robert Métais, un autre habitant de Lencloître un peu plus âgé qui ne se souvient pas non plus d’avoir vu Bernard. Ainsi, il a dû changer de famille assez rapidement en raison de l’exiguïté de la maison. Nous ne disposons cependant d’aucun document qui puisse nous renseigner à ce sujet.
* Le départ vers Paris et le centre Lamarck
Nous ne retrouvons la trace de Bernard qu’en mai 1943 lorsqu’il entre, comme les autres enfants juifs de la Vienne au camp de Poitiers avant de partir sur Paris et d’intégrer les centres de l’UGIF
Le 20 mai 1943, M. Zwick, un SS-Untersturmführer, informe la police de Poitiers qu’un convoi de 70 enfants juifs doit être conduit vers Paris dans les centres de l’UGIF, l’Union Générale des Israélites de France. Il s’agit d’une organisation créée en novembre 1941 par le gouvernement de Vichy à la demande des Allemands. Cette dernière assure la représentation des Juifs et mène des actions sociales comme verser des allocations aux foyers privés de revenus, ou financer les cantines populaires et les hospices. Elle a activement participé au recensement massif des Juifs de France, ce qui a aidé la Gestapo à établir plusieurs rafles en France entre 1941 et 1944.
Lettre du 20 mai 1943, adressée par Mr. Zwick à l’intendant de police de Poitiers (archives départementales de la Vienne)
Le 24 mai 1943, Bernard Berkowicz et Robert Frank se retrouvent au camp de concentration de la route de Limoges à Poitiers. Ce camp regroupe des Juifs depuis juillet 1941. En général, les internés partent ensuite pour Drancy.
Extrait du registre du camp de Poitiers en date du 24 mai 1943. (Archives départementales de la Vienne)
Le 26 mai 1943, ces mêmes enfants quittent le camp et partent en direction de la gare de Paris-Austerlitz. Ils sont transférés au centre Lamarck, un centre de l’UGIF au pied du Sacré Cœur de Montmartre dans la XVIIIe arrondissement. C’est un des nombreux centres de l’UGIF qui accueille des enfants après les grandes rafles de 1942.
Dans ces centres il y a des enfants dits « libres », placés par leurs parents, ou « abandonnés » pour diverses raisons, ce qui est le cas de Bernard et des enfants dits « bloqués » ou isolés, qui avaient été internés puis libérés des camps par les Allemands et placés sous la responsabilité de l’UGIF. Ces enfants étrangers ou nés de parents étrangers sont fichés et « déportables » à tout moment.
Lettre de M. Kahn, directeur du centre Lamarck au chef du ravitaillement du XVIIIe arrondissement le 27 mai 1943. Il demande des tickets d’alimentation pour nourrir les enfants qui viennent d’arriver. Il fournit la liste. (Archives du Mémorial de la Shoah)
D’après la liste d’admission du centre de Lamarck, Bernard porte le matricule 905. Robert Frank est par contre très rapidement transféré dans un autre foyer, rue des Rosiers. Fidèle à la promesse qu’il a faite au père de Bernard dans la cour de la salle philharmonique, il vient voir Bernard régulièrement. Lorsqu’en février 1944, il est exfiltré des foyers de l’UGIF et qu’il devient enfant caché, il ne peut plus tenir sa promesse. Cela reste un souvenir douloureux pour lui près de 80 ans après les faits.
En juin et juillet 1943, Bernard est mentionné à plusieurs reprises dans des listes d’enfants autorisés à sortir le dimanche dans des familles juives volontaires pour les accueillir. Ces sorties dominicales permettaient aux enfants de retrouver une ambiance familiale et au centre Lamarck de réduire ses dépenses de nourriture. A chacune de ces sorties, il est avec un certain Léon Gelbchar qui est probablement un de ses amis. Comme autre ami, il a sans doute aussi Joseph Niderman puisque c’est par lui que nous avons le portrait de Bernard qui figure au début de ce dossier et ci-dessous.
Photographie de Bernard Berkowic avec sa dédicace (?) au dos,
trouvée dans les affaires de son frère Joseph par Richard Niderman
A propos de cette photo, Robert Frank précise : « Je suis saisi par cette photo. Ce n’est pas l’image que je garde de lui. Les ombres et lumières très contrastées, le regard sombre, le visage réfléchi et sérieux n’est pas celui de Bernard à 13 ans… Il faut cependant préciser que je ne l’ai pas vu dans les six derniers mois avant sa déportation. »
Liste des enfants autorisés à sortir du foyer Lamarck le dimanche 11 juillet 1943
(Archives du Mémorial de la Shoah)
Une liste de l’UGIF mentionne par ailleurs que Bernard revient au centre le 29 septembre 1943 après avoir séjourné au centre de La Varenne. Ce centre est une maison qui appartient à la communauté juive appelée “Beiss Yessoïmim”, ce qui signifie “la maison des orphelins”. Cette maison est située à St-Maur-les-Fossés, dans la campagne à l’époque. C’est probablement pour lui permettre, comme aux autres enfants de partir un peu au grand air pour « se refaire une santé » après les épreuves qu’ils viennent de traverser. Bernard y a probablement séjourné aux mêmes dates que Charlotte Brzezinski, autre enfant originaire de Metz, soit entre le 11 août et le 29 septembre.
Procès-verbal des entrées et sorties du centre Lamarck le 29 septembre 1943.
(Archives du Mémorial de la Shoah)
Un évènement, traumatisant pour quiconque, doit être mentionné. Bernard Berkowicz était parmi les enfants qui se trouvaient au centre Lamarck le 20 avril 1944, lorsque le bâtiment a été partiellement détruit par un bombardement allié qui visait la gare de triage de La Chapelle.
A propos de ce bombardement, Robert Frank nous explique : « J’ai toujours entendu la version suivante : au cours d’un bombardement américain au-dessus de Paris, un appareil a été touché et le pilote a pu garder le contrôle de son appareil et lâcher 2 bombes dans la rue qui longe une face du foyer Lamarck avant de s’écraser en bas de la rue. Les maisons contigües n’ont pas été détruites mais endommagées par le souffle des bombes qui ont fait des trous énormes dans la rue. Le pilote est mort en bas de la rue après avoir évité un désastre s’il était tombé sur les maisons avec les deux bombes encore dans l’appareil.
Extraits de la revue Signal, journal de propagande nazi, datant du printemps 44
Notons le cynisme de ce journal qui dénonce la sauvagerie des Alliés qui ont bombardé l’orphelinat juif dont ils montrent un lit. (Archives du Centre Israélite de Montmartre)
Les enfants sont donc transférés à l’école Lucien de Hirsch au 71 avenue Sécrétan dans le XIXème arrondissement, où ils étaient scolarisés. C’est la plus ancienne école juive de Paris. Comme le centre Lamarck, c’était un centre de l’UGIF.
* La rafle des 21-22 juillet 1944.
Comme tous les autres centres de l’UGIF, dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, l’école De Hirsch est touchée par la grande rafle ordonnée par Aloïs Brunner, bras droit d’Eichmann et responsable de Drancy. A l’aube, 71 enfants et 11 maîtres sont arrêtés, chargés et emmenés à Drancy par des autobus parisiens.
L’école De Hirsch nous a transmis une lettre écrite par M. Monteil, ancien habitant du quartier, lors du procès Barbie en 1986. Le ton de cette lettre est assez tragique. Enfant pauvre et malheureux en ce matin de juillet 1944, M. Monteil enviait ces enfants bien habillés qui semblaient partir à la campagne pour profiter d’une journée de joie et de bonheur. « Comment pouvais-je deviner la destination que prenaient ces « Privilégiés » ? » Si ce récit diffère un peu de celui d’enfants rescapés (il parle de camions allemands et non d’autobus parisiens à plate-forme arrière), Daniel Urbejtel confirme que les enfants étaient « habillés de neuf et possédaient un paquetage de vêtements neufs, donnant à penser que l’on partait en villégiature, ce qui était de bon augure, sauf que ce n’était pas pour nous… »
Paradoxalement, c’est la brutalité d’un officier qui a déculotté le garçon de 12 ans en public qui lui a valu d’être sauvé.
Lettre écrite par M. Monteil à l’école Lucien-de-Hirsch au moment de procès Barbie
* L’internement à Drancy (22-31 juillet 1944)
Le camp de Drancy en 1941 (Article « Drancy » de Wikipédia)
Le camp de Drancy, installé à la cité de la Muette, a été le principal centre d’internement et de rassemblement des Juifs victimes de la Shoah puisqu’il a interné 67000 des 75000 Juifs déportés depuis la France.
Andrée Warlin, alors internée au camp, raconte que c’est par une nuit claire, étoilée qu’elle voit arriver les autobus transportant les nouveaux arrivants. Avec les autres internés, elle découvre avec effroi les voix pétillantes et jacassantes de petits enfants tout seuls sans père ni mère, dont Bernard fait partie.
Bernard s’est vu attribuer le numéro 47 et a été affecté dans l’escalier 6, chambrée 3. Comme toutes les personnes raflées, il y reste jusqu’au 31 juillet 1944.
Cahier de mutations du camp de Drancy
(Archives du Mémorial de la Shoah)
* Le départ du convoi 77
D’après le témoignage d’Yvette Levy, rescapée du convoi 77, et de quelques autres personnes revenues des camps, la destination inconnue vers laquelle ils allaient était surnommée « Pitchipoï », un petit monde imaginaire en yiddish. Ils pensaient aller vers un camp de concentration en Allemagne.
Aussi, la veille du départ, les détenus préparent leur baluchon et ne dorment pas dans leur chambre habituelle mais dans des escaliers. Puis, le jour du départ, ils sont « parqués » dans la cour interdite aux autres détenus, en attendant de rejoindre les autobus (dans lesquels ils pouvaient être jusqu’à 50), situés derrière la grille du camp, et qui doivent les emmener à la gare de Bobigny. Le groupe du convoi 77 est parti de Drancy, tôt le matin. Ils étaient 1300 personnes. Parmi les 1300, il y avait un bébé, né dans le camp de Drancy, qui était dans une boîte en carton en guise de berceau.
Le trajet de Drancy jusqu’à Bobigny s’est fait dans la bonne humeur puisqu’ils chantaient. Arrivés à la gare, ils attrapent leur baluchon, sans vraiment savoir si c’est vraiment le leur puisque tout se fait dans la précipitation, dégringolent le talus et montent directement dans les wagons. Les gardes sont alors assez bienveillants, dans la mesure où ils proposent leur aide, aux déportés pour monter dans le train.
La gare la plus proche de ce camp de transit est celle de Bobigny (à 2 kms). Cette dernière est utilisée par les services nazis à partir de juillet 1943 et jusqu’en août 1944, remplaçant celle du Bourget-Drancy, pour déporter les juifs de France de Drancy vers Auschwitz.
Au total, ce sont 21 convois qui sont partis de Bobigny favorisant ainsi la déportation de 22500 personnes.
Pour mieux comprendre, voici quelques documents issus du site internet de l’ancienne gare de déportation de Bobigny.
Plan permettant de visualiser l’emplacement de la cité de la Muette par rapport à la gare de Bobigny.
Photo de la route des Petits-Ponts
Vue d’ensemble des du site de Drancy-Bobigny avec les différentes structures intervenant dans la déportation
Les enfants sont mis par 60 dans chaque wagon tandis que les adolescents, femmes, hommes, vieillards étaient beaucoup plus nombreux puisqu’ils étaient 100 par wagons. Ils étaient donc très serrés et il faisait très chaud. Tout ce dont ils disposaient étaient 2 seaux : l’un avec de l’eau potable, l’autre servant de tinette (toilettes). C’est donc le 31 juillet 1944, que le convoi 77 part pour le camp de concentration d’Auschwitz Birkenau.
Registre du convoi 77 (Archives d’Arolsen)
Le convoi est arrivé à Auschwitz le 3 août 1944. La descente du train est, contrairement à la montée, bien plus brusque (coups, hurlements… des SS à l’encontre des déportés). Lors de l’arrivée, le camp faisant à la fois office de camp de concentration et de centre de mise à mort, le convoi est séparé en 2 parties : une ligne, à gauche, vers laquelle étaient redirigés les femmes, les enfants et les vieillards et une ligne, à droite, destinée aux hommes capables de travailler.
Carte montrant le trajet du convoi 77
Selon le Journal Officiel, Bernard serait décédé dès le 5 août 1944. Il était alors âgé de 12 ans. Son nom figure sur la plaque commémorative de l’école Lucien De Hirsch. Le nom de la famille Berkowicz est aussi inscrit sur la plaque commémorative qui se trouve à la synagogue polonaise de Metz.
Plaque commémorative apposée à l’école De Hirsch.
Plaque commémorative de la synagogue polonaise de Metz : les Berkowicz sont mentionnés mais avec seulement deux enfants (Photographie fournie par Henry Schumann)
Outre les témoins cités au début de ce travail, nous remercions chaleureusement toutes les personnes qui nous ont apporté leur soutien notamment Mme Isabelle Salvy et M. Jean-Michel Supervie en Charente-Maritime, M. Henry Schumann à Metz ainsi que les nombreux services d’archives communales, départementales et nationales que nous avons sollicités.
Quel magnifique travail de recherches.
Un très grand et très sincère bravo !
Restituer la mémoire des déportés est le meilleurs hommage que l’on puisse leur rendre.
Contribuer ainsi à perpétuer leur biographie est une contribution, certes modeste, mais oh combien importante pour l’histoire de la Shoah.
J’y découvre de surcroît le CIM dont j’ignorais l’existence.
Merci aux élèves et à leurs profs.
RL
Superbe travail de recherche et d’écriture.
Un point important : des femmes aussi ont été sélectionnées pour entrer dans le camp pour travailler, dont Yvette Lévy, que vous évoquez dans cette belle biographie.