A quel point les jeunes générations en France connaissent-elles la Shoah ? La question revient de manière récurrente, au gré des sondages d’opinion qui véhiculent parfois des résultats inquiétants.
En janvier 2020, un sondage de l’institut américain Schoen, mandaté par la Jewish Claim Conference, pointait des « lacunes critiques » dans l’Hexagone portant sur la connaissance du génocide des Juifs. Selon cette enquête, une majorité de Français (57 %) ignoraient le nombre de Juifs tués durant la Shoah – 6 millions –. Ce taux montait à 69 % chez les moins de 38 ans. 25 % des moins de 38 ans disaient par ailleurs « ne pas avoir entendu parler » de la Shoah. (À titre comparatif, à l’échelle européenne, un sondage CNN/ComRes avait dévoilé en 2018 que 34 % des sondés connaissait peu ou n’avait jamais entendu parler de l’Holocauste.)
En septembre dernier, en revanche, un nouveau sondage effectué par l’Ifop sur cette même question s’est, lui, voulu plus rassurant, estimant que ce pan de l’Histoire était « plutôt bien connu des jeunes Français ».
Explications avec Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, et François Legrand, chargé d’études qui a réalisé cette enquête.
Convoi 77 : Quelles conclusions pouvez-vous tirer de cette enquête menée par l’Ifop en septembre 2020 ? Cette connaissance est-elle en évolution par rapport aux années précédentes ?
Frédéric Dabi et François Legrand : « D’abord, cette enquête Ifop pour l’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France) révèle que les jeunes Français ont globalement une bonne connaissance de la Shoah. Ils sont ainsi 87 % à en avoir déjà entendu parler, soit un niveau proche de celui mesuré dans l’ensemble de la population française (90 %).
Tendanciellement, la connaissance qu’ils en ont s’est améliorée : les 15-24 ans sont désormais 68 % à avoir déjà entendu parler de la rafle du Vel D’hiv, soit une hausse de 10 points par rapport à l’étiage mesuré en 2012 par l’institut CSA (58 %). Plus largement, ce sondage montre qu’en dépit de lacunes, la Shoah est désormais un sujet bien identifié par la jeunesse. »
Selon ce sondage, 87 % des 15-24 ans indiquent connaitre le génocide des Juifs. Cela veut-il dire que les 13 % restants n’en ont jamais entendu parler ?
« Oui, 13 % des jeunes n’en ont pas entendu parler, ou du moins peinent à voir de quoi il s’agit quand on parle du génocide des Juifs.
Ce chiffre reste très minoritaire mais ne doit pas être négligé. »
En janvier 2020, un sondage de l’institut américain Schoen faisait état de « lacunes critiques » en France en terme de connaissance de la Shoah. Comment expliquez-vous que le constat de ce sondage ne rejoigne pas forcément le vôtre ?
« Il me semble que dans le cadre de ce sondage, le terme utilisé était « holocauste » qui est moins connu en France, qu’aux Etats-Unis. Ce terme, « popularisé » en France par la série américaine de la fin des années 1970 [la mini-série « Holocauste » a été diffusée en 1979 en France, ndlr] n’est quasiment plus usité. Ce sont les dénominations « Shoah » et « génocide » qui se sont imposées. Ceci peut expliquer le différentiel mesuré.
Le terme de « lacunes critiques » semble par ailleurs être excessif au regard du bon niveau global de connaissance qu’ont les jeunes Français de ce génocide. »
Vous pointez néanmoins, vous aussi, des lacunes en termes de connaissance. Sur quels événements en particulier ?
« Les résultats de l’enquête montrent que certains aspects de la Shoah sont encore partiellement connus, c’est notamment le cas de la « Shoah par balles », déclenchée dès le commencement de l’opération Barbarossa qui est identifiée précisément par seulement un quart des jeunes. Mais globalement, l’école joue son rôle et est d’ailleurs le premier vecteur d’informations des jeunes sur le génocide.
Au-delà de la question de la connaissance, il me semble que le plus intéressant (et rassurant) dans ce sondage, c’est de voir que les opinions négationnistes, ou visant à minimiser la gravité du génocide, sont au final ultra minoritaires au sein de la jeunesse française : 80 % des moins de 25 ans estiment ainsi qu’il s’agit d’un crime monstrueux tandis que pour plus de 7 jeunes sur 10, ce crime n’a pas d’équivalent. »