Chasja MOINET
INTRODUCTION
Nous sommes la classe de 2nde du Lycée Français Prins Henrik (Copenhague, Danemark) et nous avons rédigé un texte biographique sur Chasja Moinet.
Chasja Moinet est l’une des déportés du dernier grand convoi de Drancy à Auschwitz, le Convoi 77. À l’initiative de l’association Convoi 77[1] des élèves ont été invités à rédiger la biographie de chacune des victimes de la Shoah déportées par ce dernier convoi, le 31 juillet 1944. À partir des archives numérisées fournies par l’association (44 pièces), des recherches faites par les élèves sur Internet et des contacts pris avec une descendante, Mme Sabine Moinet, les membres de la municipalité de Saint-Jean-d’Angély, et des organisations mémorielles (ex. Yad Vashem), nous avons commencé à rassembler des données afin de rédiger la biographie de Chasja Moinet, née Judin, et de la publier sur le site de Convoi 77.
Tout d’abord, nous expliquerons quel est notre intérêt pour le projet : la vie de Chasja est non seulement un exemple des atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale par le régime nazi, mais aussi écrire ces biographies est une démarche nécessaire de mémoire, afin de se rappeler que les victimes étaient, avant tout, des individus comme nous.
Au cours de notre travail, nous avons rencontré quelques difficultés, notamment au début. Par exemple, nous avions eu l’information que le nom de jeune fille de Chasja était Judius, alors que c’était Judin, ou encore il a été difficile de trouver des informations sur son enfance à Riga.
I – Enfance à Riga
Grâce aux précieuses informations de Sabine Moinet, nous avons pu reconstituer l’enfance de Chasja Moinet. Elle est née à Riga en mai 1907, elle est issue d’une famille juive et laïque. Elle a grandi dans la ville de Riga en Lettonie. Ses parents travaillaient dans le commerce de tissus. C’étaient des personnes aisées et Chasja a suivi une éducation cultivée et plutôt “libérale”. Dans la continuité de ses études, elle a tout d’abord voyagé en Allemagne puis en France où elle a pu parfaire ses compétences en allemand et en français, alors qu’elle parlait déjà le yiddish, le letton et le russe.
II – Mariage de Chasja Judin
Chasja a voyagé en Tunisie, à cette époque sous protectorat français, et c’est là qu’elle a rencontré François Moinet. Par la suite, le 10 Décembre 1935, ils se sont mariés, ce qui a permis à Chasja d’obtenir la nationalité française. Elle a emménagé avec François qui vivait déjà à Saint-Jean-d’Angély où il était pharmacien. De cette union est né Jacques Moinet le 11 août 1936. Chasja n’exerçait alors aucune profession.
III – Arrestation
Chasja Moinet a été arrêtée par la Gestapo le 16 mai 1944 à Tarbes, pour des motifs raciaux et politiques. Dans une lettre de son beau-père adressée au Ministère des Anciens Combattants, il écrit : “Je complète, s’il en était besoin, l’adresse de la clinique de Tarbes où la Gestapo a arrêté ma belle-fille en mai 44 : (elle y était cachée comme infirmière sous le nom d’emprunt « Barthelemy »)”[2] De plus, sa petite-fille nous a écrit dans un mail : “Elle a été arrêtée par la Gestapo le 16 mai 1944, et emprisonnée à Toulouse.”. C’est grâce à cette information que nous savons la date précise de son arrestation.
Elle était alors cachée dans une clinique à Tarbes, qui appartenait aux docteurs Lapeyre et Maihle : “Je soussigné docteur Lapeyre certifie sur l’honneur avoir reçu chez moi, madame Moinet, épouse d’un de mes camarades de guerre (pharmacien dans mon ambulance 267)” [3] [4].. Le docteur Lapeyre était un résistant et un ami du mari de Chasja. Chasja était cachée sous la fausse identité de Madame Barthelemy, et jouait le rôle d’infirmière, comme l’a expliqué son beau-père dans le document cité précédemment.
Elle s’était donc réfugiée depuis Saint-Jean-d’Angély en février 1944 à Tarbes, comme nous en informe un document d’arrestation[5]. Ce même document dit aussi à propos de son arrestation qu’elle a été “découverte sans doute à la suite de bavardages”. Il est donc très probable qu’elle ait été retrouvée par la Gestapo sur une dénonciation. Le lieu d’arrestation est donc la clinique à Tarbes située au 12 de la rue Nansouty. Son beau-père affirme également que Chasja se sentait résistante : “ Je certifie d’ailleurs que ma belle-fille n’a jamais varié dans ses sentiments de résistance, étant israélite et se sentant persécutée”.[6]
IV – Récits de l’arrestation
Deux témoignages racontent l’arrestation de Chasja Moinet en Juillet 1944 et nous permettent de mieux en connaître les circonstances. Dans le premier ouvrage intitulé Du haut des tours, Marie-Claude Monchaux, une illustratrice et auteur de livres pour la jeunesse, écrit en 2014 un livre sur son enfance. L’ouvrage est accessible à tout public sur Internet[7]. Dans un extrait, elle nous présente l’arrestation de Chasja et surtout celle de François Moinet à Saint-Jean-d’Angély. L’auteur nous livre un point de vue personnel, issu de ses souvenirs d’enfant, les évènements se passant lorsque l’auteur n’avait que 11 ans. Dans son récit, elle explique comment François, un ami de sa propre famille, est venu demander de l’aide le soir du 17 mars 1944. Le père de Marie-Claude Monchaux lui propose alors de l’aider, en s’appuyant sur un réseau de résistance, mais François Moinet n’accepte pas cette proposition à cause de sa pharmacie qu’il ne veut ou ne peut pas fermer pour des raisons financières. En revanche, il accepte que sa femme Chasja et leur fils Jacques soient aidés. L’auteure explique alors comment Chasja part avec des papiers falsifiés et comment son fils Jacques, qui a alors 8 ans, est envoyé chez les parents de François.
Néanmoins, selon le récit de Noël Santon, sur lequel s’appuie la Mairie de Saint-Jean-d’Angély, des rafles sont organisées le 29 janvier 1944 et Chasja est prévenue “par un policier le 28 Janvier”. Elle serait alors partie à Tarbes et le jour des rafles, c’est-à-dire le 29 janvier, François Moinet aurait été arrêté et interrogé pendant une heure puis relâché. Voici la présentation faite par Monsieur Cyril Chappet, premier adjoint de la Mairie, lors du conseil municipal du 9 novembre 2016 pour corriger l’orthographe du prénom erroné de madame « Chasta » Moinet en « Chasja » Moinet : “François Moinet est né le 10 juin 1908 à Orléans. Il était pharmacien au 25 de la rue Gambetta [à Saint-Jean-d’Angély], pharmacie qui existe toujours. Il avait épousé Chasja, qui était née le 1er mai 1907 à Riga, en Lettonie, et qui était de confession juive. Dans le livre « Saint-Jean sous la botte », Noël Santon écrit que « quelques jours après l’assassinat du résistant Georges Texier, le 29 janvier 1944, des rafles de Juifs sont organisées à Saint-Jean-d’Angély ». Chasja Moinet est prévenue la veille par un policier et quitte Saint-Jean-d’Angély pour se rendre dans le sud de la France. François Moinet est alors arrêté ce 29 janvier 1944 pour être interrogé au commissariat. Ignorant où était sa femme, il est libéré au bout d’une heure.” A priori, selon cet extrait, le 17 mars, Chasja était déjà en fuite.
Marie-Claude Monchaux passe sur les événements suivants et raconte seulement comment ayant été dénoncé comme époux d’une Juive, François doit porter l’étoile jaune. Le témoin de cet événement est le petit frère de Marie-Claude Monchaux, qui entend des sirènes et puis voit la Gestapo se rendre chez les Moinet pour arrêter François. L’extrait se termine par l’arrestation de François et indique que ce dernier et sa femme sont morts ensemble dans un camp.
Ce texte peut être critiqué sur plusieurs points. D’une part l’âge de l’auteur au moment des événements, qui sont relatés de manière extrêmement précise pour un enfant de 11 ans. Cette précision peut être questionnée. D’autre part le lieu et les circonstances du décès du couple ne correspondent pas à la réalité des faits avérés ; ils ne sont pas décédés au même moment, François étant décédé à Bergen-Belsen en Mai 1945 et Chasja à Auschwitz, probablement début Août. Et l’auteur ajoute aussi que Chasja se serait rendue d’elle-même à la Gestapo pour faire libérer son mari (p.134 du livre), ce qui ne correspond pas aux autres témoignages et sources.
Le second ouvrage intitulé Saint-Jean sous la botte, est écrit par Noël Santon, auteur et créatrice d’une revue littéraire française, morte à Saint-Jean-d’Angély en 1958. Ce livre est publié en 1947 comme journal d’occupation entre 1940-1944. Le deuxième extrait étant payant, nous n’avons pas pu le lire mais cette version pourrait donner un point vue différent de celui du premier extrait, car son auteur était plus âgée au moment des événements et elle les écrivait au fur et à mesure qu’ils se déroulaient.
Cependant, un aperçu de ce second ouvrage nous est justement livré par Monsieur Chappet, cité plus haut, qui dans son discours fait également le résumé de l’arrestation de François. ”C’est ensuite à la date du 17 mars 1944, au petit jour vers cinq heures du matin, qu’une auto de la Gestapo, et je cite Noël Santon, « a stoppé devant la pharmacie de le rue Gambetta. François Moinet a été arrêté. Est-ce encore une dénonciation ? Rien chez lui n’a été découvert. Là-bas, dans son lointain refuge, sa femme ne se doute pas du malheur qui vient de s’abattre sur son foyer ». Chasja Moinet était effectivement réfugiée à Tarbes, au 12 de la rue Nansouty, où elle a été à son tour arrêtée quelques jours plus tard en juin 1944, sur dénonciation. [Chasja Moinet est] transférée au camp juif de Drancy, et elle est déportée par le convoi 77 à destination d’Auschwitz le 31 juillet 1944, où elle sera assassinée dès son arrivée. François Moinet a été déporté au camp de Neuengamme en Allemagne, où il a été vu pour la dernière fois, agonisant, le 15 mars 1945, très certainement atteint par le typhus qui sévissait dans ce camp. Face à l’avancée des troupes alliées, les nazis ont transféré tous les prisonniers internés dans le camp de Neuengamme en direction du camp d’extermination de Bergen-Belsen, où il meurt à cette même date.”
Des questions restent en suspend, le moment où le jeune Jacques a été confié à son grand-père, et par qui, ou encore le lieu de décès de François entre Neuengamme et Bergen-Belsen.
V – Réseau de résistance et implication du mari
Durant la seconde guerre mondiale, il existe à Saint-Jean-d’Angély un réseau de résistance OCM (Organisation Civile et Militaire)[8], appelé ”Navarre”. Georges Texier en devient le chef le 4 mai 1943. G.Texier est né le 11 février 1907 à Arçay (Vienne) et décède le 20 janvier 1944 à Saint-Jean-d’Angély, tué par la Gestapo d’une balle en plein cœur. Le mari de Chasja, François Moinet, était un résistant appartenant au groupe de Georges Texier. Il a aidé ce groupe en utilisant sa pharmacie en guise de boîte aux lettres pour la résistance.
VI – Déportation et mort de Chasja Moinet
Chasja Moinet a été déportée suite à son arrestation sur dénonciation, ou plus précisément, comme il est écrit dans les documents la concernant, elle a été “découverte sans doute par la suite de bavardages ?”[9]. En effet, Chasja Moinet a été arrêtée le 16 Mai 1944 à Tarbes[10] dans la clinique du docteur Maihle ; suite à cela, elle a été envoyée à Toulouse où elle est restée jusqu’au 15 juin 1944 (selon un extrait du registre des actes de décès de la mairie de Saint-Jean-d’Angély)[11], date à laquelle Chasja Moinet a pris un train en direction de la ville de Drancy, première étape vers la destination finale qu’est le centre de mise à mort d’Auschwitz .
C’est le 31 juillet 1944 qui scelle le destin de Chasja Moinet car elle a fait partie du Convoi 77, partant de Drancy et finissant à Auschwitz (source provenant d’un document de demande d’attribution du titre de déporté politique)[12]. Selon sa petite fille, Sabine Moinet, sa grand-mère n’a pas été “immatriculée”, ce qui signifie qu’on ne lui a pas attribué de numéro de détenu. Cela nous permet de conclure que Chasja Moinet a sans doute été assassinée dans une chambre à gaz dès son arrivée à Auschwitz.
VII – “Mort pour la France”
Nous avons reçu énormément de documents d’archives par l’intermédiaire de l’association Convoi 77 qui comportent majoritairement des demandes pour le statut de “Mort pour la France”. Ces demandes ont été faites après la guerre par le beau-père de Chasja, Georges Gustave Moinet, lieutenant colonel retraité[13]. Il fait ces demandes pour que sa belle-fille obtienne le statut de “Mort pour la France” et pour que son petit fils, Jacques Georges[14] puisse accéder à son héritage légitime. Georges Moinet utilise notamment le fait qu’elle est française par mariage[15] et qu’elle était active dans la résistance par la pensée sinon par les actes. Cette réclamation du statut de “Mort pour la France” est faite à la mairie de la ville de Saint-Jean-d’Angély et cette demande a été accordée par le tribunal civil[16]. Suite à cela une plaque commémorative sera créée et installée dans la ville.
VIII – La ville de Saint-Jean-d’Angély se souvient de ses enfants
Depuis 1977, l’une des rues de Saint-Jean-d’Angély porte le nom de “François et Chasta Moinet” (sic) afin de rendre hommage au couple de déportés et de les honorer. Ils vivaient dans cette ville et ils travaillaient dans une pharmacie située dans la rue Gambetta. La mairie a décidé de leur rendre hommage car ils étaient un couple de résistants y ayant vécu. « Par un arrêté en date du 19 avril 1996, l’État a décidé l’apposition de la mention « Mort en déportation » sur les actes de décès de François et Chasja Moinet. Cette délibération est à nouveau l’occasion pour nous de rendre hommage aux femmes et aux hommes de Saint-Jean-d’Angély, combattants, résistants et juifs, qui ont sacrifié leur vie dans cette période trouble de notre histoire, une période trouble qui ne doit pas se reproduire »[17]. À la suite de l’intervention de Sabine Moinet, une délibération du conseil municipal du 9 novembre 2016 a conduit à corriger l’orthographe du prénom de “Chasta” en “Chasja”. À cette occasion, le premier adjoint – cité précédemment – a évoqué le parcours de ce couple et leur histoire. L’histoire de ces Angériens fait donc partie intégrante de la ville de Saint-Jean d’Angély.
ILLUSTRATIONS
1- Portrait de Chasja Moinet (photographie fournie par Sabine Moinet, sa petite-fille)
2- Chasja Moinet avec son fils et son mari, François (photographie fournie par Sabine Moinet, sa petite-fille)
3- Chasja Moinet avec son fils Jacques, père de Sabine Moinet (Source : https://www.sudouest.fr/2016/11/30/l-identite-retrouvee-de-chasja-moinet-2585076-1552.php)
4- Fiche de renseignement du dossier de demande de la mention ”Mort pour la France” de Chasja Moinet formulée par son beau-père, le Lieutenant-colonel Georges Moinet (Réf. 7337)
5- Le nom de Chasja Moinet (écrit “Hassia”) gravé sur le mur du Mémorial de la Shoah à Paris.
(Source de l’image : http://www.lecafuron.fr/article-expo-photo-panneau-4-sur-le-memorial-de-la-shoah-76874079.html)
6- Plaque du nom de la rue dédiée à Chasja et François Moinet à Saint-Jean-d’Angély en Charente Maritime (Capture d’écran de Google View)
7- Photographie actuelle de la pharmacie ayant appartenu à François Moinet (capture d’écran de Google View)
8- Plaque commémorative dédiée à Georges Texier et à son réseau de résistance, l’OCM, auquel appartenait aussi François Moinet. C’est dans cette rue que Georges Texier a été abattu. (Source : http://angely.over-blog.com/article-georges-texier-heros-de-la-resistance-tue-le-20-janvier-1944-43462600.html)
Tous nos remerciements pour les informations, les archives et l’aide fournies :
– À Madame Sabine Moinet, petite-fille de Chasja et François Moinet
– À Madame Françoise Mesnard, Maire de Saint-Jean-d’Angély
– À l’Association Convoi 77
– Au Mémorial Yad Vashem en la personne de Eszter Stern
– Au Journal Sud-Ouest en la personne de Philippe Bregowy
[2] Réf : doc 7330 dans archives Moinet
[3] Citation de lettre de docteur Lapeyre réf doc 7366 archives Moinet
[4] http://www.memoresist.org/resistant/francois-moinet/ Les Amis de la Fondation de la Résistance
[5] Réf : doc 7356 dans archives Moinet
[6] Réf : 7330 dans archives Moinet
[7] https://fr.calameo.com/read/0046127374dce9465de22
[8] Certificat d’appartenance aux Forces Françaises de l’Intérieur
[9] Réf 7356 archives Moinet
[10] Mail de la petite fille de Chasja, Sabine Moinet
[11] Réf 7346 archives Moinet
[12] Réf 7353 archives Moinet
[13] Réf 7347 archives Moinet
[14] Réf 7332 archives Moinet
[15] Réf 7335 archives Moinet
[16] Réf 7348 archives Moinet
[17] Réponse de madame le maire de Saint-Jean-d’Angély, Françoise Mesnard, adressée dans un courrier qui nous a été envoyé le vendredi 8 février 2019
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