Entretien avec Hélène Pradas-Billaud, chef du bureau de l’action pédagogique et de l’information mémorielle au sein du ministère des Armées.
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Pouvez-vous décrire votre mission ?
Je suis chargée de soutenir l’enseignement de défense. Cet enseignement vise à sensibiliser les jeunes à la défense et tout particulièrement aux conflits dans lesquels la France a été impliquée. On peut citer, parmi ces conflits, la Guerre de 1870, la Première Guerre mondiale, les guerres de décolonisation, comme en Indochine et en Algérie, et bien-sûr la Seconde Guerre mondiale.
Cet enseignement – qui est spécifique à notre pays – est obligatoire en France depuis que le service national a été suspendu en 1997. Ma mission est de faciliter, d’encourager et de soutenir la transmission de la mémoire des conflits auprès des jeunes générations.
Pour ce faire, la direction des patrimoines, de la mémoire et des archives (DPMA) du ministère des Armées met à disposition des enseignants des ressources, via différentes plateformes : les plateformes Chemins de mémoire et EducaDef, ainsi que la revue “Les chemins de la mémoire”, qui est diffusée, par voie numérique, dans tous les établissements scolaires.
Nous soutenons également financièrement des projets, tels que Convoi 77. Chaque année, 800 projets présentés par des écoles primaires, des collèges et des lycées, ainsi 150 projets émanant d’associations et de collectivités territoriales sont soutenus par la DPMA du ministère des Armées. Ils peuvent consister en un déplacement sur un lieu de mémoire par exemple.
Nous avons également un troisième levier, celui de l’événementiel. Cela consiste à mettre en lumière au plan national des actions qui se conduisent localement, comme à travers l’opération nationale « Héritiers de mémoire ».
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En quoi est-ce important, en 2021, de continuer à perpétuer la mémoire des conflits ?
Je suis convaincue que la conscience de la citoyenneté et de la paix se nourrit de ce qu’il s’est produit par le passé. Perpétuer la mémoire est essentiel pour analyser le présent et préparer l’avenir. Dans un monde où les logiques conflictuelles sont omniprésentes, comprendre les conflits mondiaux, et notamment la Seconde Guerre mondiale – qui représente à peu près 40% des projets que nous soutenons – est absolument primordial.
Les consciences des jeunes générations doivent donc être éveillées à ce passé. Pour les élèves, qui n’ont pas connu cette période, il est important que ces réalités passées résonnent de manière concrète dans leurs esprits. Combiner l’histoire individuelle, c’est-à-dire celle des êtres qui ont traversé ces conflits, et l’histoire collective, c’est-à-dire celle des pays impliqués dans les guerres, est un bon moyen pour cela.
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Comment réaliser cette combinaison ?
Le travail de Convoi 77 est en ce sens un exemple intéressant car il privilégie une approche individuelle des déportés en parlant des parcours de ces personnes. Cela rend les choses concrètes pour les élèves, alors qu’un cours théorique sur la déportation peut être plus abstrait.
Cela a beaucoup de sens pour la DPMA de soutenir Convoi 77 depuis 2015. Nous avons vu l’association évoluer et s’étoffer dans sa dimension internationale, c’est très intéressant car la DPMA soutient la mémoire partagée entre pays. Cette dernière est une dimension essentielle de la politique publique mémorielle.
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Est-ce que le soutien à cet enseignement dont vous parlez et l’éveil des consciences a pour but d’éviter de futurs conflits ?
Est-ce que toutes ces actions permettent bel et bien d’éviter des conflits ? C’est une question qui est sujette à débat. Mais, en tout cas, la connaissance est toujours un remède contre l’obscurantisme. Il faut expliquer. Faire comprendre. Relier le présent au passé. Il faut expliquer que des gens ont perdu la vie, et que certains ont fait preuve de beaucoup de courage pour défendre les valeurs dont nous sommes les héritiers aujourd’hui.
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Les commémorations du 27 janvier n’ont pas pu avoir lieu cette année en raison du Covid. En quoi votre travail est-il affecté par la crise sanitaire et comment y remédiez-vous ?
La crise est bien évidemment une épreuve mais je considère qu’elle a un intérêt : elle nous conduit à renouveler fondamentalement nos façons de faire.
Nous avons dû adapter notre politique mémorielle au contexte sanitaire. Nous avons par exemple déployé des moyens numériques pédagogiques pour que le public puisse comprendre les commémorations du 27 janvier sans pouvoir s’y rendre.
En ce qui concerne les lieux de mémoire avec lesquels travaille la DPMA dans le cadre du réseau des mémoriaux des conflits contemporains – au nombre de 130 -, nous avons développé l’offre et les ressources numériques. La DPMA a recensé les offres pédagogiques de ces lieux pour inciter à des actions vis-à-vis des élèves et du jeune public. Car les lieux de mémoire, qui sont inaccessibles en raison du contexte sanitaire, sont très importants. Ce sont des témoins tangibles du passé. Et contrairement aux témoins humains, ils traversent le temps, durablement.
En novembre 2020, nous avons également publié un hors série de la revue “Les chemins de la mémoire” qui s’intitulait “Commémorer autrement, le défi des années à venir”. En somme, la DPMA du ministère des Armées, en lien avec l’ensemble de ses nombreux partenaires, continue d’œuvrer pour la mémoire nationale, mais autrement.