Ruth FRESCHEL
- 19 janvier 1919 : naissance à Zurich. Ruth est de nationalité polonaise.
Ses parents Joseph et Chanja viennent de se marier à Zurich. Ils sont tous les deux originaires de la même région de Pologne, la Galicie. Les parents de Ruth vivaient déjà à Zurich avant la Première Guerre mondiale, où leurs familles respectives s’étaient établies vers 1900.
(Sa mère est née à Lesko en 1896, son père à Ustrzyki Dolne en 1886).
Le grand-père paternel de Ruth, Moshe FRESCHEL, était commerçant en textiles et le grand-père maternel, Hersch BARTH, négociant en fourrures.
- Septembre 1939 : Ruth vit à Strasbourg avec ses parents au 16 bld de la Victoire, dans un quartier bourgeois. Ruth est étudiante en Anglais, son père représentant de commerce, la mère sans profession. A la déclaration de la guerre, ils sont évacués de Strasbourg pour s’éloigner de l’Allemagne et d’une zone de front possible. Ils se retrouvent à Tournon St Martin dans l’Indre.
Le père s’engage dans l’armée (la Garde Polonaise qui combat en France aux côtés de l’armée française). Si le père ne s’était pas engagé, dès 1939, il aurait probablement été interné en tant « qu’étranger », et sa famille aussi placée sous surveillance.
- Été 1940, après l’invasion allemande, Joseph, le père de Ruth est démobilisé. Il décide de rejoindre son frère Abraham pour travailler avec lui. Son frère est installé à Marseille depuis 1930 comme commerçant, antiquaire et décorateur. Ruth FRESCHEL et ses parents s’installent au 7 rue de Savoie.
- Août 1942, première arrestation à domicile par la police française, entre trois heures et quatre heures du matin. On l’emmène au commissariat, à l’évêché.
« A l’évêché, à ce groupe de jeunes juifs qui plaisantaient entre eux, un policier a lancé : Oh ! Ils auront bientôt fini de faire les mariols. Ensuite, c’est an camion bâché qu’elle est conduite aux Milles. Le jour est déjà levé quand elle arrive au camp » (article de L’Humanité, 29 août 1995).
- Août 1942, au camp des Milles : « Le camp était assez plein. Dortoirs séparés pour hommes et femmes. Dans les couloirs d’énormes poubelles qui débordaient » (lettre de Ruth Freschel du 13 novembre 1982 citée par André Fontaine, le camp d’étrangers des Milles 1939-43,Edisud).
« Je me souviens d’une immense cour, d’une impression de grande pagaille, de soleil et de poussière, de poussière et de vide, et surtout d’une odeur suffocante de melon. Les peaux de melon débordaient des poubelles et, depuis, j’ai toujours cette odeur dans le nez » (l’Humanité).
- La famille est internée au camp des Milles, trois semaines plus tard, ils sont envoyés au camp d’étrangers de Rivesaltes (Pyrénées) « des blocs de béton gris et sinistres ». La famille est libérée parce que le père s’était engagé dans la Garde Polonaise.
« Mon père, qui à 59 ans s’était engagé dans la Légion polonaise, avait fait le camp de Coëtquidan, (…) pensait pouvoir m’éviter la déportation. » (lettre citée par André Fontaine).
- 1942-44 : à partir de novembre 1942, Marseille est occupée par les Allemands. La famille se méfie, et vit presque dans la clandestinité. Ruth en tant que juive, n’a plus le droit d’étudier à l’université, les lois de Vichy le lui interdisent. Pour gagner sa vie et aider ses parents, elle donne des cours d’anglais dans une école catholique.
- 30 juin 1944 : arrestation par des miliciens et des éléments du PPF (Parti Populaire Français fondé par Jacques Doriot dès 1936).
Ruth a été dénoncée par un jeune homme de bonne famille du quartier Saint-Giniez qui a pu ainsi gagner un peu d’argent facilement (poursuivi et condamné à une lourde peine de prison il était en fuite à la Libération et a probablement était amnistié par la suite).
« L’antisémitisme n’a pas d’époque, pas de frontière… La police avait la liste de tous les juifs ; si l’on indiquait le nom d’un juif à la gestapo, à la rue paradis, on vous donnait de l’argent… » (témoignage de Ruth dans les années 1990 auprès de collégiens).
C’est donc le passage par la Gestapo, rue Paradis, puis par la prison des Baumettes. Mais l’arrestation de Ruth entraîne celle de ses parents. Et Ruth FRESCHEL se sait indirectement responsable de leur arrestation, toute sa vie elle aura probablement dû lutter contre un sentiment de culpabilisation.
- 16 juillet 1944 : départ pour le camp de transit de Drancy (banlieue Nord de Paris = sur les 75 000 juifs de France déportés 63 000 sont passés par Drancy).
- 31 juillet 1944 : départ pour Auschwitz
Arrivée le 5 août à Auschwitz :
« Je me suis endormie et je n’ai pas eu de cauchemar, car j’étais dans le cauchemar… Je n’avais plus peur, car on ne pouvait plus m’arrêter. J’étais là où je devais être ».
« A Auschwitz, j’étais là physiquement mais pas moralement, j’étais à Marseille. Je ne refusais pas d’être dans les camps, je n’y croyais pas ».
« On a tout fait pour nous humilier, mais on ne s’est jamais considérés comme humiliés ».
La famille est séparée sur le quai de la gare.
La mère a probablement été gazée tout de suite, le père d’abord déclaré valide pour le travail tombe aussitôt malade. Ruth survit, sans nouvelles de ses parents, elle est envoyée dans un autre camp en Tchécoslovaquie.
« Je n’ai jamais pensé que j’y laisserai ma peau. Je savais que je reviendrais à Marseille, que la guerre se terminerait ».
- Libérée par l’armée soviétique, elle est de retour à Marseille au printemps 1944. Elle vit avec une tante, auprès de laquelle elle refait ses forces, à deux pas de la mer, sur la Corniche au numéro 211.
« De retour en France, certaines disaient qu’il faisait beau, d’autres qu’il pleuvait, moi je ne savais pas, je n’étais pas là. A la libération des camps, personne ne s’est occupé de nous ».
Elle espère encore quelque temps le retour de ses parents.
Elle obtient la nationalité française, devient professeur d’Anglais.
Dans les années 1970
Elle écrit à l’historien révisionniste Robert FAURISSON (qui nie l’existence des chambres à gaz). Il lui répond de façon méprisante en la reprenant sur une structure grammaticale qu’elle a utilisé dans sa lettre. Pour lui, le témoignage de Ruth FRESCHEL n’est pas une preuve de l’existence des chambres à gaz.
Dans les années 1990, Ruth FRESCHEL témoigne auprès de scolaires. Elle voulait témoigner pour rendre hommage à ses parents, même si « rien ne fera revivre les morts ». Pourquoi ne l’avait-elle pas fait plus tôt ?
« Quand on est juif, étranger et pauvre, on se sent coupable d’exister. Maintenant c’est différent. J’en veux, je n’arrête pas de donner des coups de pied, de ruer. En fait, il n’y a pas très longtemps que je suis devenue adulte ».
- 24 juin 2006 : décès à Marseille dans le 6ème .
Nicolas Rouzet, LP Don Bosco