Maurice ADATO
Maurice Adato allait avoir 19 ans lorsqu’il disparaît à la fin du mois de juillet de l’année 1944. Saura-t-on jamais les circonstances de cette disparition ?
Nous reproduisons ci-contre son acte de naissance, en l’absence de photographie.
Un document officiel de la Direction des statuts et des services en date du 27 février 1961 certifie que Maurice Adato a été interné le 21 juillet 1944 au camp de Drancy, sous le matricule 25342 et qu’il a été déporté en direction d’Auschwitz le 31 juillet 1944 dans le convoi n°77.
Maurice Adato est né le 2 octobre 1925 à Marseille dans les Bouches du Rhône. Ses parents sont issus de l’empire ottoman. Sa mère s’appelle Mazalto Ouaquil : elle est née à Constantinople en 1902. Le père de Maurice Adato s’appelle Nissim Youda Adato : il est né à Andrinople en 1892 ; il est lui même fils de Yassef Adato et d’Esther. Ce prénom laisse supposer l’appartenance à la communauté juive. Trois enfants sont issus de ce couple : Youssef né en 1920 à Constantinople, Esther née en 1922 dans cette même ville et Maurice né en 1925 à Marseille.
Le document ci-dessous est une copie de l’ acte de naissance de Maurice Adato, fourni par les archives municipales de Marseille et qui porte la trace bien sûr du jugement de 1962 actant un décès le 31 juillet 1944 à Drancy. Mais si vous lisez les indications dactylographiées, il y est précisé que Maurice Adato est mort en déportation le 6 août 1944 à Auschwitz, ce rectificatif a été fait en 2004 et retranscrit en 2006 sur l’acte d’Etat civil.
Frontières actuelles |
On ne sait pas précisément à quelle date la famille a migré en France, mais cela se situe entre 1922 et 1925 dans le contexte de la recomposition de l’empire ottoman, à la fin de la Ière Guerre mondiale et de l’avènement de la Turquie moderne. L’arrivée en France se fait via le port de Marseille, ville de naissance de Maurice Adato.
Les parents de Maurice Adato se marient le 8 juin 1935 à Champigny sur Marne. La famille réside ensuite au 46 de la rue René Boulanger, dans le Xème arrondissement, à Paris, département de la Seine. C’est aussi le dernier domicile connu de Maurice Adato. Lui même, né sur le sol national, est devenu français le 13 août 1935 par déclaration devant le juge de paix de Nogent sur Marne (loi du 10 août 1927). Il est déclaré « ajusteur ».
Comment la famille Adato a-t-elle vécu la débâcle et les années d’occupation ? Comment a-t-elle pu échapper à la rafle de 1942 et à la brutalité antisémite des nazis et des collabos français ? Maurice Adato a-t-il participé à des actes de résistance ? 75721Juifs de France ont été déportés vers les camps de mise à mort.
Maurice Adato a été arrêté « pour motif racial », boulevard de Strasbourg, à Paris, vers 19h et interné au camp de Drancy le 21 juillet 1944 sous le matricule 25342.
Maurice Adato a-t-il été pour autant déporté vers Auschwitz dans le convoi 77 ? Toujours est-il qu’il disparaît et que la famille est sans nouvelles de lui depuis cette arrestation.
Des investigations ont lieu après la guerre, à partir de 1949 : il apparaît nécessaire de régulariser l’Etat civil de ce « non rentré ». Esther Alexandre, sœur de Maurice Adato, fait la demande d’une attestation de déportation pour chacun de ses deux frères : Maurice et Joseph (Youssef). Dans un document du ministère des Anciens combattants établi le 9 février 1952, il est précisé que le « commissaire de Police de la Porte Saint Martin certifie que Maurice Adato n’est pas reparu depuis juillet 1944 ». Un acte de disparition , numéro de dossier 76502, établi le 29 janvier 1953, précise que Maurice Adato a été interné à Drancy et qu’il a été déporté le 21 juillet 1944 à Auschwitz.
Apparaît ici la complexité de la situation dans l’après guerre pour savoir précisément ce qu’il est advenu de toutes les personnes déplacées, déportées, disparues. Au travers des archives on voit apparaître le « Ministère des Anciens combattants et victimes de guerre », la « délégation du service de l’Etat civil et des recherches », le « bureau de l’Etat civil-déporté », la « Direction du recrutement et de la statistique », la « Direction des statuts et des services médicaux », le « Tribunal de Grande Instance de la Seine » qui enquêtent et communiquent sur le sort de Maurice Adato, dans la mesure du possible, en s’appuyant par exemple sur une attestation du « Commissaire de Police de la Porte Saint-Martin »
Le 11 octobre 1955, le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre donne un avis favorable pour l’attribution du titre de « déporté politique » à Maurice Adato, avec date de décès inconnue. Il reconnaît un internement de Maurice Adato au camp de Drancy du 21 juillet au 30 juillet 1944 et une période de déportation du 31 juillet au 5 août 1944. Le 17 octobre 1955, ce ministère attribue la carte n° 1.1.75.07531 à son ayant droit, soit sa mère Mazalto Adato (le père étant décédé le 1er novembre 1955)
Il est intéressant de noter le vocabulaire utilisé : on rencontre les expressions « déporté racial » et « déporté politique ». Que recouvrent ces mots ?
Au sortir du conflit, le terme « déportation » apparu pendant la guerre s’est définitivement imposé, s’appliquant à une multitude de catégories, prisonniers de guerre, STO, déportés vers les camps de concentration, déportés juifs, etc.
Les institutions en charge du rapatriement, les partis politiques et les médias suggèrent un récit commun assimilant tous les rapatriés à des martyrs de la nation. Les déportés ne se reconnaissent pas nécessairement dans le discours patriotique dominant qui confond déportation et résistance même s’ils partagent les valeurs qui en sont issues. Au sein de la catégorie des politiques, les Juifs, déportés pour une appartenance prétendument « raciale », ne se retrouvent guère dans cette lecture des événements.
Ce n’est qu’en 1948 que l’ambiguïté du mot « déportation » est levée par un texte législatif distinguant les « résistants », d’une part, et les « politiques » de l’autre, et excluant d’autres catégories (comme les STO, mais aussi les « déportés » de droit commun). Dès lors, le terme de déporté ne s’est plus attaché à définir des mouvements de population, mais l’envoi vers des « camps » allemands, sans qu’une distinction précise ne soit établie entre ces derniers.
http://liberationcamps.memorialdelashoah.org/jalons/construction_memoire.html
Le statut de déporté politique concernant Maurice Adato, ouvre droit à une indemnisation de la famille. Le ministère des anciens combattants et victimes de guerre attribue un pécule de 12000 francs, envoyé le 12 juin 1956 à Mazalto Adato au titre de la disparition de son fils comme déporté politique. Elle réside toujours rue Boulanger dans le Xème arrondissement, à Paris .
Un jugement du tribunal de Grande instance de la Seine, rendu le 28 septembre 1962 précise cependant que Maurice est décédé le 31 juillet 1944 à Drancy et transcrit cette décision dans les mairies de Paris et de Drancy le 13 novembre 1962. Ce tribunal informe aussi le ministère des Anciens combattants de cette décision. Un tampon, en date du 15 mai 1964, précise « mort pour la France »
On ne sait pas sur quels éléments s’appuie le tribunal pour statuer ainsi sur la date de décès de Maurice Adato.
La mention « mort pour la France » interpelle. En effet, durant cette période gaullienne de l’après-guerre, la mémoire juive peine à être distinguée de la mémoire de la Résistance.
L’exaltation de la figure du résistant-déporté et l’inclusion de la déportation juive dans la catégorie plus large de « politiques » contribuèrent aussi à faire disparaître le sort singulier des Juifs.
http://liberationcamps.memorialdelashoah.org/jalons/construction_memoire.html
Au terme de ce travail, il est donc difficile d’affirmer précisément ce qu’il est advenu de Maurice Adato après son arrestation et son internement à Drancy le 21 juillet 1944. Officiellement, Maurice Adato ne devrait pas être compté dans les déportés du convoi 77, le dernier convoi vers le camp de mise à mort d’Auschwitz, mais est-ce si sûr ?
Ci-après un dessin de Manon Quemin, élève de 1L et qui propose cette représentation de Maurice Adato, sans visage ; Manon suit des cours d’Arts plastiques et souhaite poursuivre ses études dans cette voie.