STEINBERG Madeleine

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MADELEINE STEINBERG 1937-1944

En l’absence de toute photographie de Jacques, nous avons choisi de présenter son acte de naissance (Archives municipales de Forbach)

Nous sommes les 28 élèves de la 1ère techno 2, classe ST2S (Sciences et Technologies du Sanitaire et du Social) du lycée Georges de La Tour de Metz. Nous sommes 26 filles et 2 garçons.

  1. DEUX NOMS SUR DES PLAQUES

Quand nous avons commencé à travailler sur Madeleine et Jacques Steinberg en octobre 2021, leurs noms n’existaient que sur deux plaques, une à Louveciennes, l’autre à Angoulême. Ils semblaient avoir été oubliés dans leur ville natale puisque, contrairement à leurs parents, ils ne sont pas mentionnés sur la plaque de l’ancienne synagogue de Forbach. Seul Richard Niderman, indirectement apparenté à ces enfants, connaissait leur existence et possédait quelques documents sur eux. Nous avons la satisfaction de les avoir tirés de l’oubli dans lequel ils étaient tombés depuis 1944.

Plaque de l’ancienne synagogue de Forbach. Les noms des parents de Jacques et Madeleine y figurent mais pas les leurs. (photo fournie par Richard Niderman)

 

Deuxième plaque commémorative de la salle philharmonique d’Angoulême en l’hommage aux 273 déportés juifs arrêtés en Charente en dehors de la rafle du 8 octobre 1942 (site fondationshoah.org)

 

Plaque commémorative de l’arrestation du 22 juillet 1944 située rue de la Paix à Louveciennes (photo fournie par Richard Niderman).

 

  1. NOTRE TRAVAIL

L’ORGANISATION DU TRAVAIL

Notre travail s’est organisé de la manière suivante. Nous avons commencé par consulter sur le site du Convoi 77 quelques biographies d’enfants messins pour repérer les grandes étapes de leurs vies (Charlotte Schuhmann, Charlotte Brzezinski, Bernard Berkowicz). Nous avons noté un certain nombre de points communs dans le parcours de ces enfants et pu établir une chronologie.

Tous les quinze jours, dans le cadre des séances d’EMC, nos professeurs nous présentaient un dossier documentaire sur chacune des grandes étapes de la vie des enfants Steinberg. Pour la séance suivante, par groupes, nous devions exploiter ces documents et présenter une synthèse écrite. Chaque fois, un ou deux groupes présentaient ce qu’ils avaient fait à l’oral, nous en discutions, complétions le travail, réfléchissions aux corrections et nuances nécessaires. L’idée de réaliser un arbre généalogique nous a semblé importante. Peu à peu, la vie de ces enfants a pris forme même si beaucoup de questions restent sans réponse.

CE QU’IL NOUS A APPORTE

Nous avons pu mener une véritable enquête historique ce que nous n’avions jamais fait auparavant. C’est assez incroyable de voir ce que l’exploitation minutieuse des documents et leur contextualisation peuvent fournir comme informations.

En travaillant sur ces enfants, nous avons amélioré nos connaissances sur la Seconde Guerre mondiale en général et sur la Shoah en particulier. Surtout, ce travail permet une approche plus « humaine » de l’histoire. Nous nous sommes attachés à Madeleine et Jacques d’autant plus qu’ils sont originaires de Forbach, ville que certains d’entre nous connaissent bien. En reconstituant leur parcours, nous avons pu un peu mieux comprendre ce qu’a été la Shoah.

Le travail en groupes (par ordre alphabétique, imposés par nos professeurs) a été formateur. Il nous a appris à nous organiser et à surmonter difficultés et réticences initiales notamment en utilisant les outils numériques.

Enfin, les présentations orales régulières nous ont obligés à faire des efforts de clarté et nous ont entraînés pour le grand oral de terminale.

CE QUE NOUS AURIONS AIME TROUVER

Nous aurions aimé trouver des photos des enfants. C’est très triste de penser qu’il ne reste pas la moindre photo d’eux alors qu’ils pourraient être encore en vie de nos jours.

Nous aurions aussi aimé avoir des documents personnels ou des témoignages sur eux plutôt que des documents uniquement administratifs. Cela nous aurait permis de mieux les connaître. Nous en sommes réduits à faire des suppositions ou des déductions en nous appuyant sur les vies d’autres enfants un peu mieux connues.

BILAN

Un travail auquel nous ne nous attendions pas en début d’année qui nous a tous intéressés. C’est une autre façon de travailler et d’apprendre. Des dissonances entre nous : certains voudraient que le travail se prolonge (mais une enquête historique n’est jamais terminée !), d’autres trouvent qu’il a été un peu long (mais une enquête historique prend du temps !).

  1. LES RESULTATS DE NOTRE ENQUETE

UNE PETITE FILLE DE FORBACH

Madeleine est née le 6 février 1937 à Forbach en Moselle. Ses parents sont Itta Gutman et Joseph Steinberg. Le couple a eu au total trois enfants. Le premier, Robert, est né le 25 avril 1932 à Forbach. Son acte de naissance mentionne qu’il a été déclaré français en vertu de la loi sur la nationalité de 1927. Malheureusement, Robert est décédé le 23 janvier 1936 à Forbach mais on ignore pour quelle raison. Jacques ne l’a donc pour ainsi dire pas connu. Quant à Madeleine, née le 6 février 1934 à Forbach, son histoire est intimement liée à celle de Jacques.

Nous avons demandé aux Archives Nationales les dossiers de naturalisation des trois enfants Steinberg. Ces dossiers n’ont pas pu être retrouvés même celui de Robert. Il y a tout lieu de penser cependant que Madeleine et Jacques étaient français comme l’indiquent d’autres documents que nous présenterons ultérieurement. Leurs parents, par contre, sont restés polonais.

Acte de naissance de Robert Steinberg  (Archives municipales de Forbach)

Acte de décès de Robert Steinberg (Archives municipales de Forbach)

LA FAMILLE DE MADELEINE

Arbre généalogique des familles Steinberg-Gutman-Niderman- Brzezinski

 

La mère de Madeleine, Itta Gutman (appelée parfois Ita ou Ida), est née le 04 mai 1902 à Mogielnica en Pologne et son père, Joseph Maurice Steinberg est, selon la plupart des sources né le 17 mai 1906 à Odessa en Russie mais, plus vraisemblablement, il serait né à Chelm en Pologne, c’est ce qu’indique l’acte de naissance de son fils Robert. Joseph Maurice, généralement appelé Maurice, exerce la profession de cordonnier. Tous les documents que nous avons indiquent que la famille vivait au 180 rue Nationale à Forbach.

* La famille maternelle

D’après les fiches domiciliaires fournies par les Archives municipales de Metz, Itta a quitté la Pologne en 1926 pour venir vivre à Metz avec sa mère peut-être après le décès de son père. Toutes deux logent dans un premier temps au 17 rue Saint Ferroy où vit Wulf, leur frère et fils qui exerce la profession de menuisier. C’est par hasard que nous avons découvert l’existence de Wulf sur un document de décembre 1939, lorsqu’avec son épouse et ses trois enfants, il quitte Metz pour la Charente Inférieure. Les portails de recherche du Mémorial de la Shoah et du mémorial des déportés juifs de France de Serge Klarsfeld nous apprennent que toute sa famille a été déportée par le convoi 66 et n’a pas survécu.

Procès-verbal du 6ème convoi d’évacués volontaires vers la Charente Inférieure du 22 décembre 1939 établi par le Bureau de Bienfaisance de Metz (Archives Municipales de Metz)

Sur sa fiche domiciliaire, Itta est déclarée comme servante. Elle semble avoir souvent déménagé. Elle aurait ainsi passé toute l’année 1927 à Toul. Elle a quitté Metz en 1930 d’abord pour Merlebach puis pour Forbach où elle a un premier fils avec Joseph Maurice Steinberg en 1932 puis épouse civilement celui-ci en 1934. En 1932, sa mère, Fajga Gutman, la rejoint à Forbach. Comme la commune ne possède plus aucune fiche domiciliaire, nous ne pouvons pas savoir si elle vivait chez sa fille ou si elle avait son propre logement.

Fiches domiciliaires d’Itta Gutman et de Fajga Gutman  (Archives municipales de Metz)

Acte de mariage de Joseph Maurice Steinberg et Itta Guttmann (Archives municipales de Forbach).

* La famille paternelle

Maurice Steinberg avait deux frères, Samuel et Max, également cordonniers qui vivaient aussi à Forbach. Tous deux étaient les témoins de mariage de Maurice et Itta. D’après Richard Niderman, neveu par alliance de Samuel, c’est lui qui est arrivé en premier en France en 1920 et qui a fait venir ses frères. Marié à Régina Niderman, il avait une fille, Martha ou Bella, qui a épousé Jacques Brzezinski et est la mère de Charlotte Brzezinski, tous deux déportés dans le convoi 77 (voir leurs biographies en ligne). Max, seul des trois frères à avoir survécu à la guerre, a épousé Berthe Laufer avec qui il a eu trois enfants : Génie, Paulette et Jacques.

Richard Niderman nous a fourni une photo de la famille Steinberg-Niderman qui date probablement de 1931, année où son père, Léon Niderman, le frère de Régina Steinberg, est arrivé en France. Cette photo est particulièrement importante pour nous car c’est le seul cliché qui montre les parents de Madeleine et Jacques. Cette famille élargie était apparemment très unie et se réunissait fréquemment. Madeleine et Jacques étaient donc très liés avec leur petite-cousine Charlotte Brzezinski et les petits-cousins de celle-ci, Joseph et Charlotte Niderman, les deux premiers enfants de Léon.

 

Photo de la famille Steinberg-Niderman probablement prise en 1931 (photo communiquée à Richard Niderman par Paulette Steinberg)

LE DEPART DE FORBACH EN SEPTEMBRE 1939 

Nous savons que les zones frontalières de l’Allemagne ont été évacuées dès la déclaration de guerre en septembre 1939. Ainsi, Samuel et Régina Steinberg sont partis depuis la gare de Saint-Avold vers l’ouest de la France. Nous ne disposons pas de la date de départ de Maurice et Itta mais un recensement nous apprend qu’ils se sont réfugiés à Juillaguet en Charente. Nous ignorons cependant à quelle date ils y sont arrivés. D’après d’autres documents que nous présenterons plus loin, nous savons que la mère d’Itta était avec eux.

Recensement des réfugiés de Charente mentionnant la présence de Maurice et Itta Steinberg à Juillaguet datant probablement de 1942 (archives départementales de Charente).

Grâce au maire de Juillaguet, nous avons pu entrer en contact avec Mme Bernadette Dussidour, elle-même petite-fille du maire du village pendant la guerre. Dans son enfance, elle a entendu par sa grand-mère parler des familles de réfugiés de Forbach. Sa grand-mère elle-même hébergeait des réfugiés avec qui elle est toujours restée en contact. D’après Mme Dussidour, les Steinberg vivaient au village (hameau) des Planets chez la famille Vignaud. Les descendants de cette famille ne disposent cependant d’aucun document.

LA RAFLE DE LA SALLE PHILHARMONIQUE D’ANGOULEME (8 OCTOBRE 1942)

Comme tous les Juifs étrangers qui vivaient en Charente, Maurice et Itta Steinberg ont été arrêtés lors de la rafle du 8 octobre 1942. Ils font partie des plus de 400 Juifs emmenés dans la salle philharmonique d’Angoulême. Leurs noms figurent d’ailleurs sur la plaque commémorative apposée en 2012. Ils comptent parmi les 387 Juifs emmenés à Drancy le 15 octobre suivant. Nous avons pu retrouver les fiches d’internement à Drancy d’Itta et de Maurice. Comme la plupart des personnes raflées à Angoulême, le couple a été déporté par le convoi 40 parti de Drancy vers Auschwitz le 4 novembre 1942 et a été envoyé à la chambre à gaz dès son arrivée au camp.

Plaque en hommage aux Juifs déportés d’Angoulême après la rafle de la salle philharmonique apposée en 2012. Itta et Maurice Steinberg y sont mentionnés. (photographie prise par Richard Niderman)

Fiches d’internement à Drancy d’Itta et de Maurice Steinberg (Mémorial de la Shoah)

Liste du Convoi 40, 4 novembre 1942 (Archives d’Arolsen)

En regardant attentivement la plaque d’Angoulême, nous constatons qu’y figure le nom de Fovja Gutman âgée de 63 ans. Cela pourrait donc être Fajga, la mère d’Ida, de qui nous n’avions plus aucune trace depuis son départ de Metz au début des années 1930. Nous vérifions dans le portail de recherche du mémorial de la Shoah. Nous trouvons en effet une notice à son nom, la date et le lieu de naissance correspondant bien à ceux de la grand-mère de Jacques et Madeleine. Elle fait partie des déportés du convoi 40. Son nom figure sur la liste du convoi et il est précisé qu’elle vient de Juillaguet. Nous pouvons donc en conclure qu’elle y était bien réfugiée avec ses enfants et petits-enfants. Un détail nous frappe : alors que ces listes sont généralement dressées par ordre alphabétique, « Fouja Gutman » est curieusement inscrite sur la même page que les parents et le frère de Charlotte Schuhmann.

Liste du convoi 40 (Archives d’Arolsen)

MADELEINE ET JACQUES, DES ENFANTS CACHES? (OCTOBRE 1942-JUIN 1944)

A propos de Madeleine et Jacques, nous ne retrouvons plus aucun document jusqu’au 9 juin 1943. D’après Mme Dussidour, les deux enfants sont restés cachés à l’arrière d’une maison (aux Planets ?) avant d’être dénoncés puis arrêtés. Ce témoignage oral, très indirect et imprécis, est confirmé par le musée de la Résistance et de la Déportation d’Angoulême qui nous dit que les enfants ont été arrêtés après leurs parents. On ignore totalement pourquoi, contrairement à la plupart des autres familles (les Schuhmann, les Brzezinski, les Berkowicz, les Frank), les enfants n’ont pas été raflés le 8 octobre. Ont-ils été cachés lorsque les gendarmes sont venus ? On ne sait pas non plus quand ils ont finalement été arrêtés.

Ce n’est donc que le 9 juin 1943 qu’on retrouve leur trace lorsqu’ils entrent au centre Lamarck à Paris le 9 juin 1943. C’est un foyer de l’UGIF, c’est-à-dire l’Union Générale des Israélites de France, organisme qui accueille des enfants juifs séparés de leurs parents par la déportation. Madeleine et Jacques y retrouvent leurs « cousins » de Forbach, Charlotte Brzezinski, Charlotte et Joseph Niderman mais aussi Charlotte Schuhmann qui est amie avec Charlotte Niderman. Il y a aussi de nombreux enfants originaires de Metz et de la Moselle.

Selon le témoignage de Joseph Niderman, ils ont donc dû passer les trois jours précédents dans un hangar qui se trouvait près des halles d’Angoulême. Sur le procès-verbal, il est mentionné qu’ils viennent de Charente et non d’Angoulême comme c’est le cas pour d’autres enfants. Nous voyons par ailleurs que Jacques et Madeleine sont de nationalité française et que leur dernier domicile connu est à Juillaguet. Les deux enfants sont enregistrés l’un à la suite de l’autre : Jacques porte le numéro 964 et Madeleine le numéro 965.

Procès-verbal des entrées et sorties du centre Lamarck du 9 juin 1943 (Mémorial de la Shoah)

MADELEINE ET JACQUES AU FOYER LAMARCK (JUIN-OCTOBRE 1943)

Grâce au Centre Israélite de Montmartre qui occupe les locaux de l’ancien centre Lamarck, nous disposons de la page du registre qui consigne les entrées et sorties d’enfants du centre. Nous retrouvons bien l’entrée des enfants venus d’Angoulême. Nous voyons que Jacques et Madeleine quittent le foyer le 1er juillet 1943. Le registre ne précise pas leur destination mais nous pouvons supposer qu’en cette période de congés scolaires, ils sont, comme d’autres enfants, envoyés dans un centre de l’UGIF à la campagne. Nous ignorons dans quel centre ils vont et rien ne dit d’ailleurs qu’ils vont dans le même. Madeleine rentre à Lamark le 3 septembre alors que son frère y est revenu la veille. Par contre, tous deux ainsi que plusieurs autres enfants quittent définitivement le centre le 12 octobre en direction de Louveciennes comme le précise le procès-verbal de ce jour. Cela fait alors un an qu’ils ont été brutalement séparés de leurs parents.

Registre du centre Lamarck à la date du 9 juin 1943 (Centre Israélite de Montmartre)

Registre du centre Lamarck à la date du 2 septembre 1943 (Centre Israélite de Montmartre)

Registre du centre Lamarck à la date du 3 septembre 1943 (Centre Israélite de Montmartre)

Procès-verbal des entrées et sorties du centre Lamarck du 12 octobre 1943 (Mémorial de la Shoah)

MADELEINE A LOUVECIENNES (OCTOBRE 1943-JUILLET 1944)

A Louveciennes Jacques et Madeleine sont hébergés au Séjour de Voisins, un ancien orphelinat agricole que l’UGIF a transformé en centre d’accueil pour les enfants séparés de leurs parents. Elle y a aussi organisé de courts séjours pour des enfants d’autres centres pendant l’été. (Charlotte Schuhmann, Joseph et Charlotte Niderman, pensionnaires au foyer Lamarck, y ont ainsi passé le mois de septembre.) Ils intègrent un groupe d’une quarantaine d’enfants avec qui ils restent pendant toute l’année scolaire 1943-1944. Pour ces derniers mois de leur existence, nous ne disposons encore guère que de documents administratifs mais le témoignage de Denise Holstein, monitrice au centre, nous permet de comprendre un peu mieux ce qu’a pu être leur vie. Originaire de Rouen, Denise est arrivée à Louveciennes le 27 Juillet 1943 alors qu’elle n’a que 16 ans. Faisant partie des plus âgées des enfants du centre, elle prend en charge les plus jeunes et, de fait, devient monitrice. Elle s’occupe plus particulièrement d’un groupe de 9 enfants. C’est pour que leur histoire ne soit pas oubliée qu’elle a beaucoup témoigné et a écrit un livre Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz paru en 1995 aux Editions 1. En contact régulier avec Richard Niderman, elle a gentiment répondu à plusieurs questions que nous lui avons posées.

 

Nous avons également eu la chance, grâce à Mme Claire Podetti, une des responsables de l’association Convoi 77, et à Mme Corinne Rachel Kalifa du COMEJD, Conseil National pour la Mémoire des Enfants Juifs Déportés, d’être mis en contact avec deux professeurs, Mmes Catherine Tanguy et Muriel Baudry, qui travaillent avec leurs classes sur d’autres enfants de Louveciennes, Jean-Claude Karpinski et Simone Goldberg. Nous avons ainsi pu bénéficier des résultats de leurs recherches. Mme Baudry a contacté l’école primaire Leconte de Lisle de Louveciennes où les enfants du centre UGIF étaient scolarisés. Sa directrice, Mme Christine Heuzard La Couture, a retrouvé les registres d’appel de l’année scolaire 1943-1944 dans lesquels sont notées quotidiennement les absences des enfants.

 



Couverture du registre d’appel des filles de cours préparatoire de l’école primaire de Louveciennes de l’année scolaire1943-1944 et extrait de la page de décembre 1943 (Ecole Leconte de Lisle de Louveciennes)

Ces registres sont tenus à partir du lundi 18 octobre 1943. Les enfants sont arrivés au centre le mardi 12, ils n’ont donc eu que quelques jours pour s’habituer à leur nouveau lieu de vie. Jacques est un élève assidu puisqu’il n’est absent au total que cinq demi-journées au mois de mars 1944 pour un mal de pieds. Madeleine est par contre très fréquemment absente. Probablement fragilisée par les bouleversements qu’elle a subis, elle est probablement fragile. On peut imaginer que Jacques, en tant que grand frère, se montre protecteur.

Mme Tanguy est entrée en contact avec M. Bernard Guerlesquin qui était scolarisé avec Jacques. Il n’a pas de souvenirs de lui mais se souvient du groupe d’enfants juifs qui devaient porter l’étoile jaune et avec qui il jouait aux récréations. Contrairement aux autres enfants qui jouaient ensemble les dimanches, les enfants juifs restaient au centre et manifestement ne pouvaient en sortir. Dans ses témoignages, Denise Holstein évoque néanmoins des sorties au parc de Marly. Elle se souvient surtout des conditions de vie très difficiles au centre. Avec les autres monitrices, elle apportait aux plus jeunes toute l’affection qu’elle pouvait et essayait d’égayer leur quotidien.

Interrogée sur les enfants Steinberg par Richard Niderman, elle se souvient seulement qu’ils étaient bruns. Cela semble être un détail mais il est très important pour nous car c’est la seule information non administrative que nous ayons sur eux. Elle dit aussi qu’un jour Jacques l’a involontairement bousculée. M. Louy, le directeur réputé pour sa sévérité, a voulu qu’elle frappe l’enfant, ce qu’elle n’a pas fait.

Le 1er janvier 1944, le séjour de Voisins étant réquisitionné par les autorités allemandes, les enfants doivent à nouveau déménager dans une villa rue de la Paix. La villa est grande mais pas du tout aménagée pour accueillir une quarantaine d’enfants qui s’entassent jusqu’à neuf dans les chambres. C’est donc un nouveau bouleversement pour eux.

La villa de la rue de la Paix

L’ARRESTATION (22 JUILLET 1944)

C’est dans cette villa que le 22 juillet vers 6 heures du matin, Aloïs Brunner, commandant du camp de Drancy, est venu arrêter les enfants. Denise Holstein raconte qu’il a sonné à la porte devant laquelle se trouvait un autobus. Ayant déjà été internée à Drancy dont elle est sortie pour raisons médicales, elle comprend ce qui attend les enfants. Il faut cependant les réveiller, les rassurer, les habiller et prendre quelques affaires malgré l’énervement croissant des Allemands qui veulent que l’opération se termine avant la fin du couvre-feu. M. Gherlesquin confirme que les enfants étaient calmes. Il explique que peu de gens étaient présents, probablement tenus à l’écart. 41 enfants sont arrêtés. Seule Paulette Szklarz, âgée de six ans, a la chance de ne pas être arrêtée car elle est hospitalisée. Dans l’autobus, les enfants à qui on a expliqué qu’ils partaient en excursion, chantent. C’est néanmoins à Drancy qu’ils arrivent et rejoignent les enfants des autres centres de l’UGIF arrêtés ce même jour.

 

Liste des personnes arrêtées à Louveciennes et transférées à Drancy le 22 juillet 1944 (Mémorial de la Shoah)

Le Mémorial de la Shoah conserve une lettre non signée datée du 22 juillet 1944. Adressée au maire de Louveciennes, elle parle d’une vache qui se trouve abandonnée « à la suite des incidents survenus cette nuit dans notre maison d’enfants ». Une vache donnait donc un peu de lait frais aux enfants et les distrayait ? Denise Holstein n’en conserve aucun souvenir. Elle explique même que le jardin de la villa était tout petit, qu’on y dressait parfois des tables pour que les enfants mangent dehors et qu’elle ne voit pas comment une vache aurait pu se promener entre les tables.

 

Lettre non signée adressée au maire de Louveciennes le 22 juillet 1944 (Mémorial de la Shoah)

L’INTERNEMENT A DRANCY (DU 22 AU 31 JUILLET 1944)

Le cahier de mutation de Drancy nous apprend que Madeleine, Jacques et plusieurs autres enfants de Louveciennes sont logés à l’escalier 7, chambrée 2. D’autres sont dans la chambrée 1. Ils retrouvent probablement leurs cousins Jakob et Charlotte Brzezinski ainsi que les enfants Niderman. Ces deux derniers partent néanmoins dès le 24 juillet par le convoi 80 vers Bergen Belsen.

Cahier de mutations de Drancy à la date du 22 juillet 1944 (Mémorial de la Shoah)

La fiche d’internement de Madeleine porte le numéro 25540, elle suit donc celle de Jacques (25539). En quelques mots, abréviations et dates, elle retrace sa courte existence de sa naissance à Forbach à son séjour à Louveciennes en passant par Juillaguet. L’indication « + fam » signifie qu’elle n’est pas la seule personne de sa famille à être internée. La mention « F. décl » soit « Français pas déclaration » confirme sa nationalité. Quant à la lettre « B » écrite en bleu, elle signifie qu’il est immédiatement déportable. Un tampon à l’encre bleue également indique qu’il quitte Drancy le 31 juillet 1944.

Fiche d’internement de Madeleine à Drancy (Mémorial de la Shoah).

D’après le témoignage de Denise Holstein, lorsqu’ils sont arrivés à Drancy, les enfants avaient peur, ils étaient désemparés et avaient besoin d’être rassurés. Le 29 juillet 1944, Denise apprend que les enfants peuvent être déportés mais elle garde toujours l’espoir de voir arriver des Alliés qui ont débarqué le 6 juin en Normandie.

Malheureusement, le 31 juillet 1944, les Alliés ne sont pas encore à Paris, c’est donc le départ du Convoi 77 emportant avec lui, plus de 1300 personnes dont Jacques et Madeleine Steinberg.

Les enfants sont conduits dans des autobus à la gare de Bobigny et sont enfermés à 60 dans des wagons à bestiaux. Il y a quelques victuailles, des matelas, des seaux. Ces derniers sont très vite pleins, débordent et l’odeur est insupportable. Le trajet se fait dans des conditions terribles, Denise le décrit comme étant un « calvaire ». Avec les autres monitrices, elles devaient s’occuper des enfants pétrifiés de peur, calmer leurs pleurs, les apaiser malgré le noir, la soif et la chaleur.

Liste du convoi 77 (Archives d’Arolsen)

Le convoi 77 arrive à Auschwitz le 3 août 1944. Dès le 5 août, les enfants sont envoyés à la chambre à gaz. Des 33 pensionnaires de Louveciennes déportés, seule Denise Holstein, âgée de 17 ans, est sélectionnée pour le camp de concentration et survit.

  1. UNE MEMOIRE QUI PERDURE MALGRE TOUT

Le souvenir de Jacques et Madeleine Steinberg ne devrait pas s’effacer en partie grâce à notre travail. Même très imprécis, il reste présent chez certains habitants de Juillaguet. Le souvenir que Denise Holstein garde de Jacques nous est aussi très précieux. Nous avons par ailleurs appris, au cours de notre enquête que, chaque année, une cérémonie d’hommage a lieu devant la plaque de Louveciennes. Enfin, à l’automne dernier, des stèles à la mémoire de plusieurs familles juives ont été érigées à Siedliszcze en Pologne sur l’emplacement du cimetière juif détruit pendant la guerre. Situé près de Chelm, Siedliszcze le village d’origine des Niderman, des Steinberg et des Brzezinski.. Richard Niderman a participé à la cérémonie d’inauguration.

Stèle commémorative de l’ancien cimetière juif de Siedliszcze (photo de Richard Niderman)

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