Le « Mémorial de la déportation des Juifs de France », ouvrage colossal des époux Klarsfeld, est désormais accessible en ligne. Le contenu de ce livre aux dimensions hors-normes – 60 x 34 cm, 7kg – qui dresse la liste des Juifs déportés, morts dans les camps d’internement ou exécutés en France, a été rassemblé sur le site https://stevemorse.org/france.
À la date du 29 octobre, quelque 79 244 victimes y étaient recensées. Le site se présente sous la forme d’un moteur de recherche disposant d’une multitude de critères (nom, prénom, âge, domicile, numéro du convoi, etc.), qui permettent de retrouver la trace de ces déportés.
Cette base de données a été créée par Jean-Pierre Stroweis, ingénieur, informaticien et généalogiste à la retraite, dont l’oncle, déporté, a été assassiné durant la Seconde Guerre Mondiale.
« Je suis né dans un vide », dit cet homme de 67 ans, qui vit à Jérusalem depuis quarante ans. « Quand j’étais petit, cela faisait trop de mal à ma mère de chercher des informations sur son frère. Elle n’avait pas de réponses aux questions que je lui posais, il a fallu que je reconstruise moi-même son puzzle. »
En 1978, grâce aux ouvrages des Klarsfeld, il trouve enfin des réponses à ses questions: le sort, la date de déportation puis les conditions d’arrestation de son oncle. « Le travail de Serge Klarsfeld est extraordinaire », dit Jean-Pierre Stroweis. « Et je me suis rendu compte par la suite que ce qui était indiqué dans les bases de données en ligne du Mémorial de la Shoah à Paris, et de Yad Vashem à Jérusalem, était moins riche que l’édition de Serge Klarsfeld. Alors je me suis dit, ‘Avec les techniques en généalogie et en informatique que je maîtrise, je pourrais aider’. »
« Inexactitudes »
Doté d’une envie farouche de permettre à ceux qui veulent obtenir des réponses de pouvoir le faire, Jean-Pierre Stroweis développe l’idée de transposer toutes les informations rassemblées sur le terrain par les Klarsfeld sur la Toile. Il contacte le couple qui donne son accord pour le projet.
« Trois ans de travail acharné » ont été nécessaires avant le lancement du site. Des années à créer méticuleusement les fiches des déportés. « Je travaille tous les jours dessus », ajoute Jean-Pierre Stroweis. « J’ai pris ma retraite cet été, j’ai donc davantage de temps qu’avant. Disons que je dépasse maintenant les 35 heures de travail par semaine », rit-il. Car Jean-Pierre Stroweis ne se contente pas de recopier : il vérifie tout, et complète.
« J’ai corrélé plusieurs sources : les informations en ligne du Journal officiel, celles du Mémorial de la Shoah, celles des Klarsfeld, mais aussi des données de particuliers et d’autres sites mémoriels, et des différences sont apparues », explique-t-il. Jean-Pierre Stroweis repère notamment des inexactitudes dans les noms de lieux, ainsi que dans ceux des déportés, inexactitudes dues à un travail souvent effectué « à la va-vite », selon lui, par des employés d’administration chargés de recueillir ces données.
Des outils phonétiques développés par des généalogistes
Ces erreurs peuvent rendre les recherches complexes pour les proches. « Les frontières ont été modifiées au cours des années, et certaines communes ont changé de nom. « C’est une impasse pour qui ne connaît pas la géographie des communautés juives », précise-t-il. « Par ailleurs, certaines petites communes d’Alsace ont le même nom que des communes allemandes. Comme pour Minsk, la capitale de la Biélorussie, qui est aussi le nom d’une ville en Pologne. Il faut être précis. »
L’orthographe des noms de famille des déportés est également source de questionnement. Comment écrire par exemple le nom ‘Schwartz’, patronyme courant aux plus de cent orthographes différentes ? Jean-Pierre Stroweis trouve la réponse : « Il existe des outils phonétiques développés par des généalogistes que j’ai pu intégrer au moteur de recherche ». Ainsi, une recherche est automatiquement étendue aux variantes phonétiques et orthographiques d’un nom.
Désormais le site enregistre quelques milliers de visiteurs par mois. Une preuve que les efforts paient. « Je voulais que ces données tiennent debout et qu’elles prennent en compte les différentes sources », résume le généalogiste. « Mon but, c’est que les négationnistes ne puissent pas dire ‘Ça n’est pas arrivé’. »