Durant l’année scolaire 2017-2018, Friederike Scharf et des élèves d’une classe de 1ère de l’établissement Akademisches Gymnasium de Vienne, en Autriche, ont travaillé sur la biographie de Gerard Klebinder, survivant du convoi 77. Ce travail fait partie des onze projets européens sélectionnés par le ministère de l’Education nationale.
Pouvez-vous vous présenter et nous présenter votre classe ?
J’ai 67 ans et j’ai réalisé ce projet un an avant de prendre ma retraite. Au lycée “Akademisches Gymnasium“ de Vienne, j’enseignais le français et l’Histoire. Cela m’a beaucoup aidé. J’ai toujours été très intéressée par l’histoire autrichienne de 1914 à 1955, en particulier par la discrimination et la persécution de la population juive dans notre pays. En 2012, j’ai participé à un séminaire de formation pour les enseignants autrichiens à Yad Vashem : “ Comment enseigner la Shoah“. Au cours de ce stage, j’ai compris que les élèves ne peuvent vraiment comprendre et compatir au sort des Juifs que s’ils s’intéressent à la vie d’une personne, ou d’une famille entière, persécutée. Lorsque l’on m’a parlé du projet Convoi 77 en février 2018, j’y ai vu une bonne occasion d’y intéresser mes élèves.
Cette année scolaire-là, j’avais proposé un cours optionnel d’Histoire aux élèves du second cycle. Douze élèves, issus de trois classes différentes et âgés de 16 à 17 ans, se sont portés volontaires. J’ai donc eu la chance de ne travailler qu’avec des élèves intéressés par l’Histoire. Dans cette matière facultative, les élèves ont pu travailler sur des thèmes qu’ils avaient choisis ensemble parce qu’ils voulaient les approfondir. Lorsque je leur ai proposé le projet Convoi 77, ils ont décidé, après une brève discussion, d’y participer.
Comment avez-vous organisé ce travail collectif dans le cadre du projet Convoi 77 ?
C’est un travail qui nous a occupés pendant tout le deuxième semestre.
Dans un premier temps, les élèves ont travaillé par deux. Ils ont effectué des recherches sur Internet sur les thèmes suivants :
– Les conditions de vie dans les camps et les prisons dans lesquelles Gérard Klebinder a été détenu (Montluc, Drancy, Auschwitz, Mauthausen, Ebensee)
– La France et sa complicité dans la Shoah – Lyon 1940-44 (régime de Vichy, Klaus Barbie, son procès, la maison d’Izieu)
– L’antisémitisme à Vienne dans l’entre-deux-guerres
– Le sort des Juifs après 1945. Ils ont eu 8 fois deux heures pour cela.
Ensuite, les résultats écrits qu’ils m’avaient remis ont été rassemblés dans un livret qui a été distribué à tous les élèves. Les experts des différents thèmes ont informé le groupe de leurs travaux lors d’exposés.
Pendant les quatre mois de travail, les élèves devaient tenir une sorte de journal, dans lequel ils devaient établir un plan constamment réajusté pour organiser leur travail et dans lequel ils devaient également exprimer leurs pensées et leurs sentiments.
La deuxième étape a été réalisée par moi-même, car je travaillais avec des élèves qui ne parlaient pas français ou qui avaient un niveau si faible que la traduction des documents français qui m’avaient été envoyés leur aurait posé de grandes difficultés. Je leur ai donc donné une feuille sur laquelle les différentes étapes de la vie de Gérard Klebinder étaient clairement énumérées et à côté desquelles j’ai noté ce que nous devions encore apprendre.
Le travail de recherche devait ensuite être effectué par les élèves. Je leur ai donné des contacts auprès desquels ils pouvaient se renseigner, que ce soit par courriel ou en personne, pour en savoir plus sur la vie de Gérard Klebinder. Par deux ou trois, ils ont pris contact avec les archives de la communauté juive de Vienne, le Centre Wiesenthal, le Fonds national et les archives de la ville et du Land de Vienne (WStLA). Pendant ce temps, nous ne nous sommes pas vus et les groupes ont travaillé pendant un mois de chez eux ou dans les centres d’archives.
Début mai, j’ai reçu les résultats écrits de leurs recherches. J’ai alors rédigé une fiche contenant toutes les informations sur la biographie de Gérard Klebinder, sur laquelle les nouvelles données biographiques ont été intégrées. Les élèves ont été informés des nouvelles connaissances par de brefs exposés.
Vint alors la dernière étape : j´ai distribué aux élèves une feuille sur laquelle les données biographiques de Klebinder étaient confrontées avec les événements historiques de l’époque. Par deux, les élèves ont choisi le chapitre sur lequel ils voulaient travailler. Il leur fallait parler de la grande Histoire à travers la petite. Ceci a été le plus difficile, car il a été très dur pour les élèves d’harmoniser leurs vastes connaissances sur les événements historiques avec la biographie de manière à ce que cette dernière soit au premier plan.
Quand on m’a remis les copies, j’ai été obligée d’en modifier quelques passages. Finalement, tous les élèves ont reçu une version imprimée de la biographie.
Quel a été l’impact de ce travail, d’un point de vue individuel (en ce qui vous concerne, en ce qui concerne les élèves…) mais aussi plus largement (au niveau de l’école, de la municipalité ou autres) ?
En ce qui me concerne, d’une part, ce projet a représenté de nombreuses heures de travail pour moi (traduction des documents français, rédaction des fiches de travail, lecture et correction des travaux rendus, commentaires sur les journaux intimes). D’autre part, ce projet m’a fait très plaisir car les élèves ont appris beaucoup de choses nouvelles et se sont beaucoup intéressés au sort de Gérard Klebinder.
Ils se sont montrés très intéressés par les thèmes abordés. Ils ont non seulement acquis de nouvelles informations sur la période qu’ils ont traitée, mais ils ont aussi appris à travailler en équipe, à respecter les exigences formelles et organisationnelles d’un travail « scientifique », et ils se sont par ailleurs impliqués émotionnellement en notant leurs sentiments et leurs impressions au cours de ce projet. Je suis persuadée que la majorité des élèves n’oubliera jamais ce qu’ils ont appris sur la vie de Gérard Klebinder.
Mais ce travail a aussi eu un impact plus large. La dernière semaine d’école, les élèves se sont rendus au camp de concentration d’Ebensee, la dernière étape de déportation de Gérard Klebinder. Là, ils ont reçu des félicitations de l’archiviste locale pour leur travail. Ces félicitations ont ensuite été publiées dans la revue du mémorial.
Votre travail a été sélectionné parmi les projets les plus remarqués, quel sentiment cela vous procure/cela procure aux élèves ?
Cet hommage au travail de mémoire de mes élèves était la récompense de tout le travail que j’ai moi-même effectué pour accompagner au mieux mes élèves. Et bien sûr, nous avons été très fiers lorsque nous avons appris que notre projet avait été sélectionné avec neuf autres parmi plus de 300 biographies remises.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à d’autres enseignants qui souhaiteraient participer au projet ?
Je leur recommanderais de faire ce projet – comme je l’ai fait – en cours optionnel d’Histoire, car on n’est alors pas lié au programme scolaire. Grâce à ce projet, les élèves auraient non seulement la possibilité d’étudier la Shoah en profondeur, mais aussi – avec un accompagnement approprié de la part de l’enseignant – une bonne préparation pour la rédaction du mémoire scientifique préliminaire qui est exigé en terminale.
Il est également possible de travailler de manière interdisciplinaire. En cours de français (niveau B1 ou B2), on pourrait traduire les documents français et faire une première ébauche de biographie et en cours d’Histoire, on s’informerait sur la situation en Autriche.