Sarah ISRAEl, née ABOUHA, 1899 – 1944
Bonjour, nous, les élèves de 3eme 2 du Collège les Blés d’Or, situé à Bailly-Romainvilliers dans le département de Seine-et-Marne, avons engagé notre classe avec nos professeurs de français et d’histoire, dans le projet du Convoi 77. Nous souhaitons participer à un devoir de mémoire en essayant de rendre hommage à trois personnes de ce convoi.
Nous avons choisi de mêler autobiographie fictive et partie narrative pour rendre vie à ces trois disparus que nous avons choisis en classe. Tout d’abord, le regard des garçons s’est porté sur Salomon Israël en fonction de son âge, 17 ans lors de sa déportation car nous nous sentions proches de lui et nous nous sommes aperçus qu’il avait été déporté avec sa mère, Sarah Israël. Nous avons donc étudié la mère et le fils. Les filles ont, elles, choisi Simonne Guempik pour la même raison.
Pour écrire la biographie, nous avons utilisé comme sources des documents fournis par l’association Convoi 77, nous avons aussi utilisé les archives de l’état civil de Paris. Nous avons aussi puisé nos informations dans les archives du site internet du Mémorial de la Shoah, ou encore celui de Yad Vashem. La lecture du Journal d’Hélène Berr nous a beaucoup aidé ainsi que l’autobiographie de Ginette Kolinka ou d’Henri Borlant ou de Simone Veil ou d’Ida Grinspan. Nous avons aussi visionné une interview de Marceline Loridan, « Ma vie balagan ». En faisant nos recherches, nous avons eu la chance de découvrir une nièce de Simonne, Arielle Guempik, avec laquelle nous avons fait une visioconférence et elle nous a gentiment fourni les photos qu’elle avait encore en sa possession.
Toutes ces sources nous ont permis d’en savoir plus sur les personnes étudiées pour les faire revivre et ne pas les oublier.
Je m’appelle Sarah Israël et je suis née le 12 août en 1899 à Smyrne dans la région d’Aydine qui se situe en Turquie. Mes parents se nomment Mordehai Abouaph et Hanoula. Ma famille a toujours vécu en Turquie et nous sommes de confession juive.
Après la première guerre mondiale et du fait des guerres ottomanes incessantes, j’ai tout laissé derrière moi. Beaucoup de personnes, perdant tout comme moi, ont décidé de partir en Europe. Après le grand incendie de Smyrne en 1922 et les violences qui en ont découlé, nous avons pris la décision avec mon amoureux David Israël né à Smyrne également de quitter le pays. En tant que Juifs, tout comme les Chrétiens, nous n’étions plus les bienvenus. Nous avons immigré en France en 1923 (document ci-contre) Ce pays représente pour moi la démocratie, la liberté, les droits de l’homme…
Malgré le mal du pays, j’ai tout fait pour reconstruire une nouvelle vie, voire une meilleure vie pour moi. Nous nous sommes installés à Paris, au 7 passage Maurice et j’ai trouvé un emploi de mécanicienne. Je suis tombée enceinte et mon premier enfant est né le 11 décembre 1924 à Paris et nous l’avons appelé Salomon. Nous avons décidé avec David de nous marier le 14 juin 1927 à Paris. C’est à partir de ce jour-là que je suis devenue Madame Israël. Notre second enfant est né le 13 avril 1935 et nous avons choisi de lui donner un prénom bien français, Marcel car nous nous sentions bien intégrés à la France. Depuis mon mariage, j’habite 26 rue au Popincourt à Paris dans le 11e arrondissement avec ma famille. Je suis femme au foyer depuis la naissance de Salomon et mon mari subvient seul à nos besoins en étant manœuvre.
Le recensement de 1936 nous apprend que la famille Israël se compose du père David, chef de famille, manœuvre, de Sarah, son épouse, de Salomon et de Marcel , leurs fils ainsi que l’année de naissance de chacun.
Acte de naissance de Salomon acte de naissance de Marcel
Cet acte de mariage nous apprend le mariage de David et Sarah mais surtout l’identité de leurs parents respectifs, leur lieu et date de naissance, leur métier et leur adresse. Les deux pères sont décédés et c’est peut-être ce qui a poussé les enfants à quitter la Turquie. (voir arbre généalogique)
Ma vie était plutôt paisible avant le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale en septembre 1939. Nous avions peur de la situation en Europe de l’Est car on connaissait le sort des Juifs là-bas. De nouveaux voisins venant de ces régions nous racontaient les violences, les incendies et les brimades faites aux Juifs, mais pour l’instant, la situation était plutôt bonne en France.
En 1940, la France connaît une défaite militaire qui va la pousser à signer l’armistice, demandée par le Maréchal Pétain le « héros de la Première Guerre Mondiale », le 17 juin 1940. La France est divisée en deux : la zone occupée par l’armée allemande et la France dirigée par le maréchal Pétain : le régime de Vichy est un régime politique, antisémite et traditionaliste instauré le 10 juillet 1940 jusqu’au 20 août 1944. Sous l’occupation allemande, la vie en France se caractérise par les pénuries et les répressions. Depuis le statut des Juifs d’octobre 1940, l’exercice de certaines professions est interdit : directeurs, gérants, rédacteurs de journaux et de revues, gérants de toutes entreprises qui se rapportent à la radiodiffusion, enseignants, fonctionnaires… La spoliation des biens juifs commence avec l’obligation de l’aryanisation des commerces. En 1941, des interdictions se multiplient à leur encontre comme l’interdiction d’avoir des postes de radio, des bicyclettes, des oiseaux et des restrictions sur la fréquentation des commerces. A ce moment-là, la France fait l’objet d’un pillage économique, humain et territorial.
Depuis la défaite, la vie est devenue de plus en plus difficile pour nous Juifs. On nous impose toutes sortes de restrictions ridicules comme l’interdiction de posséder un vélo, Salomon a dû rendre son vélo et nous nous sommes aussi séparés de notre poste de radio. Nous ne pouvons fréquenter les commerces alimentaires qu’à certaines heures et avec les pénuries, nous sommes rarement servis correctement. Tout est fait pour nous faire disparaitre de la vie quotidienne, je ne peux même plus emmener Marcel jouer au parc car ils sont interdits aux chiens et aux Juifs : mais pour qui nous prennent-ils ? Nous sommes déjà fortement discriminés jusqu’au jour de mai 1942 où on nous impose le port de l’étoile jaune dès l’âge de six ans. Le regard des gens change, certains nous regardent avec mépris alors que d’autres semblent avoir de la pitié pour nous. En décembre 1942, dans toute la France, nous avons l’obligation de nous présenter à la police ou la gendarmerie pour faire apposer la mention « juif » sur notre carte d’identité et notre carte d’alimentation. Nous n’avons plus le droit d’être hors de notre logement entre 20 heures et 6 heures. Ma situation tout comme celle de mes amis juifs empire. Que ce soit mentalement ou physiquement, je le vis très mal. Plus les semaines passent et plus les lois s’accumulent. Même les personnes juives souffrantes sont parfois refusées dans certains hôpitaux. Je crains pour mon avenir et celui de mes enfants, d’autant plus qu’on entend de plus en plus parler de rafles et même dans le quartier, certains ont disparu du jour au lendemain.
Je suis arrêtée par la Gestapo chez moi le 29 juin 1944. Mon fils, Salomon, n’est pas rentré la veille de son travail et je suis très inquiète et je m’attends au pire. On me demande de faire rapidement un sac et j’en profite pour glisser dans mes affaires de l’argent liquide, l’argent permet toujours d’adoucir certaines personnes, j’en ai déjà fait l’expérience durant mon trajet de Turquie jusqu’en France. Mon mari lui était déjà parti avec Marcel âgé de 9 ans en zone libre pour le mettre à l’abri. J’aurai voulu que mon fils ne soit pas concerné pour lui éviter les souffrances. Malgré mes suppliques, ils n’ont pas voulu le relâcher. Des voisins de confession juive ont eux aussi été arrêtés puis emmenées avec moi dans des bus de la ville.
Sarah arrive au commissariat le 29 juin à 12h15 et en repart le 30 juin à 14h pour Drancy.
Sur cette demande formulée en vue d’obtenir la régularisation de l’état civil, on peut lire que Sarah Israël a bien été arrêtée par la Gestapo et transférée vers le camp d’internement de Drancy en raison de sa religion : il y est noté « déportée raciale ».
Après un passage au commissariat, je suis internée le 30 juin 1944 au camp de Drancy où je ne retrouve pas Salomon. On m’enregistre sous le matricule numéro 24646.
La somme que Sarah dépose à son entrée à Drancy est conséquente pour l’époque. De ses origines turques, elle doit savoir que l’argent est primordial lors d’une arrestation. Avait-elle une certaine aisance financière ?
Dans ce document écrit par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, le numéro du matricule de Sarah Israël est indiqué. Le document montre aussi les étapes de sa déportation comme le jour de son internement ou encore la date son arrestation et son départ vers le camp d’Auschwitz.
Le 31 juillet 1944, après un mois de détention, je suis amenée en bus sur le quai de la gare de Bobigny. Nous sommes ensuite entassés dans des »wagons à bestiaux » dont nul ne connait la destination. Rien que de voir ces wagons, je comprends ce que nous représentons pour les Nazis. Nous sommes trop nombreux, il est impossible de s’asseoir ou de s’allonger sur le plancher du wagon. La chaleur est insoutenable et je suffoque. Je ne sais pas comment je vais survivre à un voyage dans ces conditions. Rien n’est prévu pour nos besoins excepté un unique seau, qui se remplit vite et qui dégage une odeur insupportable.
Après plusieurs jours de voyage, le train s’arrête enfin et je ressens un petit soulagement d’être à destination. En descendant du train, j’ai failli tomber car j’avais les jambes engourdies et nous sommes pressés par des ordres en allemand, des aboiements de chien et des lumières aveuglantes mais un homme en tenue à rayures blanches et noires m’a aidée à me tenir debout. Je vois alors autour de moi des centaines ou peut-être des milliers de personnes sur ce quai et des baraquements en bois à perte de vue. Des hommes commencent à charger les morts car je découvre que certains n’ont pas survécu au trajet. Je suis prise de nausées car il règne une odeur particulière, indescriptible. On nous propose pour les malades, les vieux, les fatigués et les enfants de monter dans des camions. Ces camions ressemblent à ceux de la croix rouge. Étant fatiguée et affamée, je monte. À ce moment-là, je pensais que les Allemands, malgré leur cruauté, gardaient en eux une petite part d’humanité.
Après quelques minutes de trajet, le camion s’arrête, nous sommes devant un grand bâtiment avec des grandes cheminées. On nous dit de passer à la douche pour des raisons sanitaires, nous ne suspectons rien jusqu’à ce que les SS nous disent de nous déshabiller et nous obéissons par peur des représailles et des coups. Je commence alors à paniquer. Je me sens humiliée. Il n’est plus question d’intimité, surtout quand les hommes arrivent à leur tour. Ce que je ne sais pas, c’est que cette douche est en fait, une chambre à gaz et qu’en entrant, je viens de signer mon arrêt de mort le 3 août 1944.
Ces trois dessins de David Olère, lui-même déporté et sonderkommando, illustrent le sort de Sarah : la sortie des wagons et la sélection, le vestiaire pour se déshabiller et la sortie des chambres à gaz avec la crémation des corps.
Ce document en allemand, nous apprend que Sarah est morte (gestorben) à Auschwitz en 1944 sans autres précisions : peut-être le jour de son arrivée aux alentours du 3 août, directement conduite à la chambre à gaz du fait de son âge, 55 ans. Elle a dû être jugée inapte au travail.
Son mari David Israël et son fils Marcel, le cadet, ont survécu et ils ont entamé des recherches sur Sarah pour la retrouver : c’est le long parcours administratif pour une « non rentrée ».
Le 02 mai 1946, la première étape est le dépôt d’une fiche de renseignement où David indique l’identité de sa femme et sa dernière adresse connue, un témoin, le concierge de l’hôtel atteste du motif de son arrestation par la gestapo « israélite ». David signe d’une écriture enfantine, ce qui témoigne de son manque de maîtrise du français.
Le 31 janvier 1953, le ministère des anciens combattants et victimes de guerre confirme son arrestation, son internement à Drancy et sa déportation vers Auschwitz le 31 juillet 1944 : sans autres renseignements, son décès est fixé au 5 aout 1944 soit 5 jours après le convoi comme l’indique la procédure pour les moins de 14 ans et les plus de 55 ans. Il faut attendre 7 ans pour que son décès soit reconnu, commence ensuite les démarches pour la reconnaître victime de guerre.
Le 7 août 1966, Marcel, son fils, continue les démarches et on apprend que son père s’est remarié. Il fournit des documents pour une demande de renseignement dans le but de faire reconnaître sa mère en victime de guerre.
Le 3 novembre 1969, une feuille d’examen émet un avis favorable pour son statut de déportée politique et la même année, elle obtient le titre.
Marcel, visiblement affecté par la disparition de sa mère, continue les recherches dans l’espoir d’en apprendre plus. Malheureusement en 1971 et 1972, l’ambassade de France auprès de la République fédérale allemande ne peut que constater l’absence d’archives la concernant à Auschwitz, recherches faites à son nom d’épouse et à son nom de jeune fille sans succès.
En faisant nos recherches, nous avons découvert une grande famille Abouaf vivant à Paris dans le même quartier, voire dans le même immeuble (recensement de 1926). On ne connait pas les liens de parenté exacts mais ils viennent de Smyrne pour la plupart, ce qui nous laisse supposer qu’une partie de leur famille est sûrement venues avec eux en France, soit un départ en groupe, soit la famille les a rejoints.
Nous avons choisi une photo de mariage d’amis des Abouaf, trouvée sur le site du Mémorial de la Shoah, pour donner vie à ces disparus car le mariage est par excellence un moment de bonheur, de convivialité et d’espoir.
Nous avons ébauché un arbre généalogique de la famille qui s’avère incomplet faute d’informations ou du fait d’informations inexactes (enfant de Marcel en 1946 alors qu’il est né en 1935)
Arbre généalogique de la famille Israël
Voir biographie de Salomon Israël
Dylan, Alexia, Maéva, Hilda, Marc et Louna.