Henriette REISS, Asnières – Auschwitz Birkenau.
Biographie conçue et rédigée par Jérôme ROUZAIRE, étudiant M1 Archives 2018/2019,
sous la direction de Mme la Professeure Marie-Anne MATARD-BONUCCI
Université Paris 8, Vincennes-St Denis
Faute de photographie, nous reproduisons ci-contre une copie de son acte de naissance, Asnières.
Henriette Reiss est née le 8 septembre 1888 à Asnières[1] dans le département de la Seine[2] Elle est la fille de Sigismond Reiss employée de banque et d’Alice Weinhberg sans profession au moment de sa naissance. Sigismond Reiss né à Presbourg en Autriche le 26 janvier 1856 a fait l’objet d’un décret de naturalisation en 1900. Il exerce la profession de négociant en farines à cette nouvelle date[3].Pour sa part, Alice Weinhberg est née le 22 décembre 1864 à Paris. Sa déclaration individuelle en 1940 permet d’identifier sa famille maternelle puisqu’une mention fait état d’une origine alsacienne de sa mère. Sigismond et Alice se marient le 10 juin 1886 à la mairie du 9e arrondissement.
L’adresse à laquelle Henriette Reiss est enregistrée à la naissance est celle du grand-père. Nous savons qu’elle a au moins un frère et une sœur[4].
La première résidence de ses parents se situe à Paris dans le 9e arrondissement, au 45 rue de Maubeuge. Puis ils s’installeront avec Henriette au 33 rue de Bellefond où elle réside jusqu’à son premier mariage le 27 juin 1911. Elle épouse alors Gaston Wolf négociant[5]. Les deux époux vivent au 22 rue du Caire à Paris. Gaston se retrouve aux prises avec la justice en raison du comportement de l’un de ses partenaires, à l’issue d’une longue procédure judiciaire et condamné le 18 novembre 1912 à six mois de prison et une amende pour escroquerie par recel[6].
Gaston Wolf participe à la Première Guerre mondiale en tant que soldat avant d’être démobilisé le 24 février 1919[7]. Au cours de la guerre il ne quittera jamais le champ des opérations. Avant sa démobilisation, le tribunal civil de la Seine a prononcé le divorce entre Henriette Reiss et Gaston Wolf[8], le 10 décembre 1918, dont la procédure a été engagée pendant la guerre. Parmi les arguments utilisés pour justifier le divorce, on voit apparaître la notification de départ du domicile de Gaston Wolf.
De son côté, Henriette retourne vivre chez sa mère. Sigismond Reiss son père décède le 15 novembre 1920. Le 30 janvier 1928 elle se remarie avec Albert Adès à la mairie du 9e arrondissement[9].
Cette union se solde, une nouvelle fois, par un divorce le 6 mars 1937[10]. Par la suite, Henriette Reiss crée son entreprise d’antiquaire située au 57 rue des Saint-Pères[11] et s’installe, avec sa mère, au 202 boulevard Saint-Germain. Le commerce rencontre un certain succès de manière rapide[12].
Le mois de juillet 1939 est la dernière date de déclaration connue. La concierge de l’immeuble d’Henriette Reiss déclare le départ d’Henriette au cours du mois de septembre 1939. Elle n’a pas donné de préavis de départ donc on ne peut affirmer ce départ de manière concrète. En revanche, son absence et la fermeture de la boutique est constatée en juin 1940. Suite à la loi du 2 juin 1941, une obligation de recensement est imposée aux juifs. Henriette Reiss fait sa déclaration à Ussel tout comme sa mère (19)[13]. Les deux femmes vivent ensemble au 2 rue Pétain. Alice Reiss pourtant la mère d’Henriette se déclare veuve « sans enfant », probablement pour protéger sa fille. Dans la partie déclaration des biens, on remarque qu’Henriette Reiss ne donne aucune propriété. Au contraire Alice, présente plusieurs biens mobiliers et immobiliers[14]. Le magasin d’antiquités d’Henriette fait l’objet d’une procédure d’aryanisation dont on retrouve le dossier aux Archives nationales[15].
Lorsque son entreprise est soumise au dossier à la procédure d’aryanisation des entreprises, le bien est estimé à 60 000 francs. La vente se fera à un prix largement supérieur puisque Mme Rubben de Lombre propose 100 000. Le comité de commerce[16] refuse dans un premier temps cette vente mais elle sera finalement acceptée. La première raison invoquée est la faible valeur du commerce. La seconde raison affirmée est que la vente créerait une situation de monopole pour la vente d’antiquités. Il est probable que cette opération constitue un moyen de protéger l’entreprise d’Henriette Reiss, en raison de la somme proposée et des origines corréziennes de l’acheteuse[17], Henriette Reiss se trouvant en Corrèze à cette date. Madame Rubben de Lombre dit acheter le bien pour ses neveux Pierre et Maxime Guérin. Pierre Guérin a participé à la Seconde Guerre mondiale en tant que soldat et s’est retrouvé prisonnier au camp de Sulzbach.
Il s’agit ici des rares informations sur la vie des deux femmes pendant la seconde guerre mondiale. On sait avec certitude que les deux femmes ont migré à Saint-Flour (15) c’est dans cette ville qu’Henriette Reiss sera arrêtée et déportée. Le parcours entre Ussel et Saint-Flour n’est pas connu[18]. Probablement leur présence dans la ville est liée au propriétaire de la boutique d’antiquaire d’Henriette Reiss puisqu’il s’agit d’un sanflorain nommé Monsieur Teisseidre[19]. Malheureusement, nous n’avons ni sa date de naissance ni son prénom et le nom de Teisseidre est relativement commun dans le Cantal. Parmi les fichiers de résistants ont retrouve des Teisseidre de Saint-Flour donc on peut penser qu’il a joué un rôle protecteur en faveur d’Henriette[20].
L’arrestation d’Henriette Reiss aurait eu lieu le 11 juin 1944 à Saint-Flour. Elle s’inscrit dans un climat d’arrestation de différentes figures liées à la résistance[21]. Il s’agit d’une période essentielle pour la région sanfloraine fortement présente dans les mémoires. Particulièrement marquant furent les représailles contre les civils de Soubizergues du 14 juin 1944. En réponse à l’attaque et l’exécution d’un gradé allemand, 25 hommes sont exécutés pour réprimer cette action. La même journée du 14 juin 1944 marque le départ des prisonniers de l’Hôtel Terminus où se trouvait Henriette Reiss[22]. Ils sont transférés à la prison du 92e régiment d’infanterie à Clermont-Ferrand. Aucun prisonnier n’est maintenu à Saint-Flour donc il est probable qu’Henriette Reiss soit présente dans ce transfert[23].
Une autre hypothèse possible pour localiser Henriette Reiss au lendemain des événements du 10 juin 1944 à Saint-Flour est fourni par le frère Gérard Mayet[24]. Elle pourrait être transférée directement à Vichy avant sa déportation[25].
Le 15 juillet 1944 Henriette Reiss est transférée de Vichy à Drancy. Elle sera déportée à Auschwitz le 31 juillet. Son décès est enregistré en date du 5 août 1944 sans qu’on puisse en déterminer précisément les circonstances. Le 18 décembre 1947 elle obtient la mention Mort pour la France. Le témoignage par lettre d’une femme de Saint-Flour semble avoir joué un rôle important pour l’attribution de cette mention mais elle n’a pas été conservée.
A la fin de la seconde guerre mondiale, le dossier pour obtenir la mention mort pour la France est demandée par sa mère. Cet élément montre que sa mère a survécu à la seconde guerre mondiale. Une deuxième demande est effectuée par sa belle-sœur.
[1] Archives de la ville de Paris [A.D.P] Etat civil numérisé, actes de mariage du 9e arrondissement entre Sigismond Reiss et Alice Weinhberg, http://archives.paris.fr/arkotheque/visionneuse/visionneuse.php?arko=YTo2OntzOjQ6ImRhdGUiO3M6MTA6IjIwMTktMDYtMDgiO3M6MTA6InR5cGVfZm9uZHMiO3M6MTE6ImFya29fc2VyaWVsIjtzOjQ6InJlZjEiO2k6NDtzOjQ6InJlZjIiO2k6MjMyMDkyO3M6MTY6InZpc2lvbm5ldXNlX2h0bWwiO2I6MTtzOjIxOiJ2aXNpb25uZXVzZV9odG1sX21vZGUiO3M6NDoicHJvZCI7fQ==#uielem_move=-859%2C-73&uielem_rotate=F&uielem_islocked=0&uielem_zoom=137, Année 1886, consulté le 8/06/2019
L’acte de naissance est enregistrée à la mairie d’Asnières deux jours après sa naissance.
[2] Suite à la loi du 10 juillet 1964, la commune d’Asnières est située dans le département des Hauts-de-Seine
[3] Archives nationales [A.N], Décret de naturalisation de l’année 1900, BB/11/7101 X 99
[4] Ministère des anciens combattants et des victimes de guerre, 21P 530 106
[5] A.D.P Etat civil numérisé
[6] A.D.P, Jugement du tribunal civil de la Seine, 3e chambre, 18 novembre 1912
[7] A.D.P, Fiches matricule de la première guerre mondiale de gaston Wolf numérisé, http://archives.paris.fr/s/17/etats-signaletiques-et-des-services-militaires/1264078/wolf/?&debut=0 consulté le 3/06/2019
[8] A.D.P, Jugement du tribunal civil de la Seine, 5057-1918
[9] A.D.P, Etat civil numérisé, mariage année 1928, Registre du 28 janvier 1928 au 23 février 1928, http://archives.paris.fr/s/17/etats-signaletiques-et-des-services-militaires/1264078/wolf/?&debut=0, p.4, consulté le 3/06/2019
Avant leur mariage Henriette Reiss vivait au 33 rue Bellefond et Albert Adès au 9 rue Bergère. Les deux adresses sont situées dans le 9e arrondissement.
[10] A.D.P, jugement du tribunal civil de la Seine
[11] A.N, AJ38/2859/ Dossier 36374, p. 25
[12] Le chiffre d’affaire est de 28 055 francs pour 1937, les données sont manquantes pour l’année 1938 et 16 290 en 1939 pour une activité jusqu’au mois de juillet. L’inventaire des biens possédés par le magasin d’antiquités est estimé en juillet 1939 à 39 600 francs. A.N, AJ38/2859/ Dossier 3674, p.25
[13] Archives départementales de la Corrèze, déclaration individuelle d’Henriette Reiss, 529W59
[14] A.D.C, déclaration individuelle d’Alice Reiss, 529W59
[15] AN, AJ38/ 2859/ Dossier 36374
[16] Issu des comités d’organisations crées par l’état Français par la loi du 16 août 1940, le comité de commerce est chargé de réguler les activités commerciales et économiques notamment dans la perspective de la collaboration avec l’Allemagne.
[17] Dans l’état actuel des recherches menées aux archives départementales de la Corrèze et au Service historique de la défense dans les dossiers des résistants aucune archives ne permettent de confirmer une éventuelle action dans la résistance de la part de la famille Rubben de Lombre
[18] Les Justes du Cantal, Collection Mémoire des Hommes, Musée d’Anterrieux, 2004 Ce livre affirme qu’un lien entre la Corrèze et le Cantal existe par un réseau de résistants dans la ville de Murat. Pour autant, on ne peut pas conclure que ça a été le cas pour Henriette Reiss.
[19] A.N, AJ38/2859/ Dossier 36374, P.25
[20] S.H.D, Dossier individuel de résistance, Lettre T voire Teisseidre. 5 sont issus du Cantal et un est né à Paris.
Une faiblesse de cette hypothèse est que parmi les arrestations effectuées le 10 juin on ne retrouve pas de Teisseidre Cet homme est il parvenu à fuir lors de cette première vague d’arrestations ? La seconde limite réside dans le fait qu’Henriette apparaît totalement inconnue dans les récits cantaliens. Par exemple, on retrouve la mention d’une inconnue dans le livre du frère Gérard Mayet p.66
[21] (Frère) Gérard Mayet , Soubizergues : terre de sang, 1956. p. 66
[22] (Frère) Gérard Mayet , Soubizergues : terre de sang, 1956. p.72
[23] La faiblesse majeure de cette hypothèse réside dans la certitude de sa présence à Vichy le 15 juillet et qu’il ne semble pas exister de transfert de prisonniers entre Clermont-Ferrand et Vichy.
[24] Dans son ouvrage il présente la situation d’une femme qu’il ne connaît pas. Il pourrait s’agir d’Henriette Reiss. Le sort de cette femme lui est inconnue. Mais la date de sa disparition coïncide avec la date de départ de la police allemande implantée à Vichy. Malheureusement, cette hypothèse n’a pu être prouvée par une recherche en archives.
[25] Dans cette hypothèse son transfert directement à Vichy serait un exemple unique lors des événements du 10 juin. Cette particularité pourrait être expliquée par sa religion puisqu’elle serait destinée immédiatement à la déportation.