Biographie de Charles MOHA
La présence juive en Afrique du Nord est ancienne. Si les premières communautés apparaissent au VIe siècle avant notre ère, elles ne s’enracinent réellement dans la région que vers la fin du Ier siècle, après la destruction du temple de Jérusalem et l’exil massif des populations israélites hors de Terre Sainte. Au Ier siècle, les Juifs nord-africains sont généralement de langue latine, descendants de familles ayant participé à la révolte contre l’empire romain. Certains descendent également de Berbères subsahariens convertis ou assimilés au judaïsme.
Cette communauté israélite, plus ou moins tolérée selon les époques et les dynasties régnantes, sera renforcée par l’arrivée de nombreux Juifs andalous fuyant les persécutions chrétiennes en Espagne et trouvant refuge au Maghreb, au lendemain de la Reconquista au Moyen Âge. La composition ethnique des communautés Juives algériennes restera par la suite plus ou moins inchangée. Par la suite, le Maghreb échappe à la domination espagnole et passe sous celle de l’Empire ottoman. Les Juifs deviennent alors des dhimmis (statut accordé aux adeptes des religions juives et chrétiennes par le droit islamique) : s’ils jouissent d’une protection militaire, d’une autonomie juridique, et d’une certaine liberté de culte, ils sont aussi soumis à des contraintes (ils n’ont pas le droit de construire des édifices plus hauts que les musulmans, n’ont pas le droit de posséder des armes, ne peuvent exercer que certains métiers), et l’État Ottoman exige d’eux des taxes plus élevées en temps de crise.
Cette oppression atteint son apogée lors du massacre des Juifs d’Alger à la suite d’une révolution manquée contre le Dey en 1805, et perdurera jusqu’à la colonisation française en 1830. Après la conquête de l’Algérie par la France, une ordonnance royale du 9 novembre 1845 décrète la création de consistoires israélites (administrations chargées d’organiser le culte juif), 26 000 juifs sont alors placés sous l’autorité de ces consistoires.
C’est dans ce contexte particulier, mais aussi dans ce temps long de l’histoire des Juifs d’Algérie, que naît Eliaou Moha, en 1810. La famille Moha est donc installée à Alger avant même que l’Algérie devienne une colonie française. Eliaou est marié en 1844 par le grand rabbin d’Alger, et il a un fils, Abraham Moha, né en 1854. La famille Moha bénéficie du décret Crémieux qui, le 24 octobre 1870, accorde la nationalité française aux Juifs algériens. Le 13 mars 1877, Abraham Moha, qui exerce la profession de cordonnier, épouse Semah Mesaltob Amar, également algéroise (la sépulture d’Abraham est située dans le carré israélite n°22 du cimetière de Bologhine à Alger, au pied de la colline surplombée par Notre-Dame-d’Afrique). Cinq enfants naissent de leur union; parmi eux, Charles Moha, né le 29 mai 1890, au n°19 de la rue Marengo dans la Casbah d’Alger.
On dispose de peu d’informations sur l’enfance de Charles, on sait néanmoins qu’il a atteint le niveau 3 du degré d’instruction générale, c’est-à-dire qu’il a non seulement reçu une instruction de base dans les domaines de l’écriture, de la lecture, et du calcul, mais qu’il a développé davantage encore son instruction primaire. Charles est cependant orienté vers un métier artistique et manuel puisqu’en 1910, lors de son recensement militaire, il exerce la profession d’ouvrier peintre (il était peintre en lettres, spécialisé dans l’écriture et la décoration). Dans son enfance, Charles a dû évoluer dans la zone judéo-arabe de la Casbah, et plus précisément d’après son adresse, dans le quartier de la basse Casbah, là où habitaient les descendants d’Espagnols ; il a grandi aux côtés d’Arabes et de Français, durant une époque de grande transformation architecturale à Alger et en particulier à proximité de son quartier.
Suite au déclenchement de la Première Guerre mondiale, des milliers de soldats Algériens aussi bien Juifs que Musulmans sont envoyés combattre au front. Charles Moha quitte alors l’Algérie avec l’Armée d’Afrique, et sert au centre d’approvisionnement et d’automobile d’Orléans entre 1915 et 1916. En 1917, il rentre en Algérie, et participe à l’effort de guerre en qualité de mouleur à l’usine Lescurat et Compagnie, une entreprise de construction mécanique sise sur le port d’Alger. Entre-temps, le 22 juillet 1915, il épouse Zina Djian (aussi orthographiée Zéna, Zina, Lina, Lucie, Lucia, selon les registres), à Alger. Il est démobilisé en 1919, et est alors domicilié au n° 1 de la rue Rosetti (actuelle rue Ali Bestani) dans le quartier de Bab-el-Oued.
De la Casbah à Bab-el-Oued, Charles Moha vit dans les quartiers populaires de l’Alger coloniale du début du XXe siècle. Nous perdons sa trace dans l’immédiat après-guerre, on sait cependant qu’en 1926-1927 il est recensé par le 6e CR de la Seine, Charles a donc quitté Alger pour la région parisienne – comme le confirme d’ailleurs sa fiche militaire indiquant que sa résidence en 1929 est le 13, rue Abel, dans le XIIe arrondissement de Paris. Charles et son épouse Zina sont partis d’Alger avec l’une de leurs deux jumelles, Berthe, née le 24 avril 1920 (l’autre est décédée à la naissance), leur fils Marcel, né le 10 novembre 1921, et la famille s’est agrandie outre-Méditerranée avec la naissance de leur fille Félicie, née le 5 avril 1925, et de leur cadet, Roger, dans le IVe arrondissement de Paris, le 13 avril 1927. Dans la seconde moitié des années 1920, Charles Moha et sa famille vivent donc à Paris ; on ne peut se prononcer sur les motifs de leur installation en métropole, si ce n’est qu’ils ouvrent un petit commerce d’épicerie, rue du roi de Sicile, dans le IVe arrondissement.
En 1940, le régime de Vichy décrète l’abolition du décret Crémieux, et prend une série de mesures antisémites. De nombreux Juifs fuyant l’indigénat — une situation pire que celle des indigènes musulmans — s’installent en métropole, où ils tentent de se faire passer pour des Arabes. On rapporte de nombreux récits de Juifs profitant de l’ambiguïté de leur patronyme, parfois similaire en tout point à celui d’un Arabe musulman, pour échapper à la répression. Certains traversent aussi la Méditerranée dans l’autre sens pour échapper aux persécutions qui battent leur plein en France. L’article « Des Juifs d’Afrique du Nord au Pletzl ? Une présence méconnue et des épreuves oubliées (1920-1945) », de Jean Laloum, nous offre de précieux renseignements sur les déplacements de la famille Moha ; on y apprend que Marcel est rentré à Alger chez une tante, mais ne pouvant y être hébergé, il semble contraint de revenir à Paris :
« Esther Arous enjoint à son fils Prosper, après les premières arrestations, de se mettre à l’abri chez une tante à Alger. Finalement son cousin Marcel Moha et son amie sont aussi du voyage, mais, la tante étant incapable de les héberger tous, ils rentrent rapidement en France. Les deux cousins seront déportés. »
La susnommée Esther Arous est née Djian, le 12 janvier 1889 à Alger. C’est une belle-sœur de Charles Moha, et elle est décédée le 3 octobre 1942 à Auschwitz en Pologne. Malheureusement, et comme la plupart des Juifs algériens établis en France, les Moha sont raflés, ils habitent alors toujours au 13 de la rue Abel, et sont déportés à Auschwitz, via le dernier convoi qui part de Drancy le 31 juillet 1944 : le convoi 77. Ainsi moururent Charles, Zina, Marcel, et Roger Moha, le 5 août 1944, quelques semaines seulement avant la libération de Paris par les Alliés ; une famille de Juifs algériens victimes de ce qui reste le plus grand des crimes commis contre l’humanité. Félicie Moha, revenue de l’enfer d’Auschwitz en 1945, s’est mariée en 1946 et a donné naissance à Gilles en 1947, et à Ghislaine en 1957. Gilles et Ghislaine ont deux cousines, Michèle Monet, fille de Berthe Moha, et Jocelyne Callot, fille de Marcel Moha, que ce dernier n’aura malheureusement pas vue naître.
Bonjour, je suis Séverine Bouchet l’arrière petite fille de Charles et Zina Moha et la petite fille de Berthe Moha née le 24/04/1920, fille ainée de Charles et ZIna, « l’une de leurs deux jumelles », celle qui a survécu à la naissance. Je viens vers vous après avoir pris connaissance de votre article et vous remercie pour votre travail qui permet de ne pas oublier ce drame innommable que fut la SHOAH.
Par ailleurs, je souhaite que le prénom de ma grand-mère soit mentionné, comme ceux des autres enfants de mes arrière-grands-parents. Il est vrai qu’elle n’a pas été déportée mais croyez-moi la souffrance d’avoir perdu toute sa famille de façon si violente et dans les conditions atroces que nous connaissons tous aujourd’hui, l’a accompagnée toute sa vie durant ; et, cette souffrance, nous petits-enfants ou arrière-petits-enfants de déportés nous la portons également en nous à tout jamais
En outre, c’est elle qui a accueilli sa petite sœur, Félicie Moha, à la sortie des camps et qui s’en est occupée comme une mère et l’a aimée et choyée de tout son cœur et de toute son âme.
Voilà pourquoi, je fais cette requête plus que légitime afin que soit mentionné le prénom de ma grand-mère maternelle au côté de ses frères et sœurs, Félicie, Marcel et Roger.
De même, à la fin de votre article, vous mentionnez les prénoms et noms des enfants de Félicie Moha . Il s’agit de Gilles et Ghislaine Secaz, respectivement le cousin germain et la cousine germaine de ma mère, Michèle Monet, fille de Berthe Moha mais également les cousins germains de la fille de Marcel Moha, Jocelyne Callot, qu’hélas, il n’aura jamais eu la chance de connaître.
Là aussi, il est plus que légitime qu’apparaissent le prénom et nom de ma mère, Michèle Monet, fille de Berthe Moha ainsi que celui de Jocelyne Callot, fille de Marcel Moha au même titre qu’apparaissent les prénoms et noms des enfants de Félicie Moha, Gilles et Ghislaine Secaz, tous les 4, petits-enfants de Charles et Zina Moha.
Je vous remercie de l’attention que vous porterez à ma requête et me tiens à votre entière disposition pour tous renseignements complémentaires.
En espérant avoir un retour de votre part.
Très cordialement,
Séverine Bouchet