Jacques BRZEZINSKI

1897 - 1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence: , ,

Jakob BRZEZINSKI, 1897 – 1944

Jakob Brzezinski et sa fille Charlotte, tous deux déportés dans le convoi 77

photo prise vers 1936

Pour mener à bien ce travail de recherche, la classe de seconde 6 du lycée Louis Vincent de Metz a été aidée par Monsieur Richard Niderman qui est le cousin germain de Martha, l’épouse de Jakob. Né après la guerre, il n’a connu ni Jakob ni Martha mais il a recueilli de nombreux documents conservés par son frère Joseph. Il a rédigé une petite synthèse à notre intention, nous a fourni de nombreux documents et nous a rencontrés en visio-conférence.

Pour compléter ce travail, nous renvoyons le lecteur à la biographie de Charlotte Brzezinski, la fille de Jakob, que nous avons aussi réalisée.

 

 

« Yakob Brzezinski : Dans le courrier que tout au long de la guerre, mon père, prisonnier en Allemagne, envoyait à ses enfants, il ne cessa de demander des nouvelles de son neveu par alliance. Il ne m’en a jamais parlé, Vous le faites à sa place. Merci. »

Richard Niderman

 

Un immigré polonais en France

La famille Brzezinski

Jakob Gedalja Brzezinski est né à Lutomiersk en Pologne en 1897 ou, selon certains documents, le 7 avril 1898. Il peut également être nommé Jacques ou Yakow. Il est le fils de Charsz Lajb Brzezinski et d’Ajda Ickowicz. Jakob a trois frères et quatre sœurs. Nous connaissons l’identité des différents membres de la famille grâce à un jugement prononcé à Tel Aviv en 1949 à propos d’un terrain que Jakob y avait acheté dans les années 30. Au moment de revendre ce terrain, les rares survivants de la famille ont été contraints de faire constater officiellement le décès de Jakob et de ses ayants-droits. Ce jugement, rédigé en hébreu, nous a été traduit par Richard Niderman. Il permet de connaître l’ensemble des frères, sœurs, neveux et nièces de Jakob et de constater que la plupart sont morts pendant la Shoah.

 

               

Jugement prononcé à Tel Aviv en 1949 à propos de la succession de Jakob Brzezinski (Traduction de Richard Niderman)

 

La fiche domiciliaire de Jakob nous apprend qu’il est arrivé à Metz en 1926. Il venait de Longlaville près de Longwy en Meurthe-et-Moselle mais on ignore en quelle année il avait immigré en France. D’après leurs fiches domiciliaires, les premières traces à Metz de son frère Alter David, appelé aussi Albert (peut-être le jumeau de Jakob) et de sa sœur Hella Welner remontent à 1927. Il est donc possible qu’ils aient quitté la Pologne tous les trois ensemble.

 

Fiche domicilaire de Jakob Brzezinski (Archives municipales de Metz)

 

Les fiches domiciliaires des différents membres de la famille et l’acte de mariage d’Alter-David nous permettent de mieux comprendre certains points :

 

Acte de mariage d’Alter David Brzezinski et Majtla Watyriska le 14 février 1929

 

Acte de mariage de Jakob Brzezinski et Martha Steinberg en 1933

 

A l’époque du mariage d’Alter David à Metz en 1929, les parents Brzezinski vivent tous deux à Lodz en Pologne, à celui de Jakob en 1933, son père est décédé et sa mère vit avec lui à Metz. On comprend qu’une fois devenue veuve, elle est venue vivre près de ses enfants en France en 1931. Au même moment, deux de ses enfants arrivent également, Ruchla et Maurice. Ceux-ci quittent Metz en 1935 au moment où leur mère décède à l’hospice israélite où elle vient d’être admise.

Le mariage avec Martha

En 1933, Jakob épouse Martha Steinberg, fille de Samuel Steinberg (ou Stajnberg) et de Regina Niderman. Appelée aussi Bella ou Basza, elle est née en Pologne en 1915 et est installée à Forbach depuis 1920. Elle est donc beaucoup plus jeune que Jakob et a presque toujours vécu en France.

 

Acte de mariage de Jakob Brzezinski et Martha Steinberg le 4 juillet 1933

(Archives municipales de Metz)

 

Grâce aux souvenirs d’Alice Welner, une nièce de Jakob, recueillis par l’écrivain américain Carol Kasser, on dispose d’une photo du mariage réunissant les membres présents de la famille Brzezinski. On peut supposer qu’une autre photo a été prise avec les Steinberg-Niderman et peut-être même qu’une autre regroupait les deux familles.

Photo de mariage de Jakob et Martha Brzezinski, 1933

Mis à part la mère de Jakob décédée en 1935 et Salomé Welner qui n’a pas été déportée, toutes les personnes présentes sur la photo sont mortes en déportation.

La mère, les frères et sœurs de Jakob qui sont sur cette photo vivent tous à Metz à cette époque.

 

La vie à Metz

Jakob et Martha habitaient dans un immeuble au 19 quai Félix Maréchal, soit tout près de la boutique de bonneterie et mercerie de Jakob située au 22 rue des Jardins. Martha travaillait peut-être avec lui. Sa boutique est comprise entre celle de son frère Alter David, inscrit dans l’annuaire de la Moselle de 1936 comme négociant, et celle de Moszek Feingrütz, marchand de chemises.

Extrait de l’annuaire de la Moselle de 1936 (Archives municipales de Metz)

 

Ses affaires semblent avoir été florissantes puisque Richard Niderman se souvient avoir entendu dire qu’il possédait une automobile. Jakob était probablement propriétaire de son appartement à Metz. C’est sans doute pour cette raison qu’en 1948, des membres survivants de la famille de Martha ont fait des démarches auprès du tribunal d’Angoulême pour que le décès de tous les membres de la famille soit reconnu. Le jugement prononcé à Tel Aviv en 1949 laisse supposer qu’il avait l’intention d’y émigrer.

La vie de famille

Jakob et Martha ont un premier enfant, Charlotte, née le 9 octobre 1934. Elle est naturalisée française par déclaration en 1938. Un deuxième enfant, Henri, naît le 11 juillet 1939. Nous avons fait une demande aux archives nationales qui ne possèdent pas de dossier de naturalisation à son nom. On peut supposer qu’en raison des bouleversements liés à la guerre, ses parents n’ont pas eu le temps d’entreprendre ces démarches.

Nous avons peu de photos des enfants Brzezinski comme d’ailleurs de Jakob et de Martha. Les quelques photos de Charlotte figurent dans sa biographie. Elles laissent deviner que les enfants étaient particulièrement choyés et faisaient la joie et la fierté de leurs parents et grands-parents. La dédicace inscrite au dos de la seule photo connue d’Henri est particulièrement émouvante.

De gauche à droite : Jakob, Charlotte et Martha Brzezinski, Regina et Samuel Steinberg

 

Seule photo connue d’Henri prise un mois avant que la famille ne quitte définitivement Metz (carte postale dédicacée)

 

D’après ce que l’on comprend de nos documents et le témoignage de Richard Niderman, les Brzezinski vont régulièrement à Forbach chez les parents de Martha qui habitent une maison dans la rue Monthyon. Le fait que leurs quatre noms figurent sur la plaque commémorative de la synagogue semble montrer qu’ils étaient très impliqués dans la communauté juive de la ville. A Forbach vit aussi Léon Niderman, le frère de Regina. Il a deux enfants, Charlotte et Joseph qui, bien que cousins germains de Martha, sont à peine plus âgés que Charlotte Brzezinski, ce sont les frère et sœur de Richard Niderman. Celui-ci nous a dit avoir entendu parler de joyeuses réunions familiales au cours desquelles son frère chantait en yiddish sur la table alors que toute la famille l’applaudissait.

A Metz, Jakob vit à proximité de plusieurs de ses frères et sœurs. Alter David a deux enfants qui sont un peu plus âgés que Charlotte. Quant à Hella Welner, elle a deux filles, Salomé née en 1927 et Alice née en 1935. D’après le témoignage d’Alice qui a survécu à la guerre, les liens des deux jeunes filles avec Charlotte et Henri étaient étroits.

La famille confrontée à la guerre

Le départ pour Angoulême

D’après sa fiche domiciliaire, Jakob et sa famille ont quitté Metz en mai 1940 lorsque les Allemands ont attaqué la France. On sait qu’ils se sont réfugiés à Angoulême où ils se sont installés au 31 bis rue des Bézines. Ils y vivent dans une petite maison située dans une arrière-cour.

           

Photographies du 31 bis rue des Bézines : vue sur la rue (à gauche) et de la maison où vivaient les Brzezinski (dans l’arrière-cour)

 

A Angoulême, ils retrouvent l’épouse et les enfants de Léon Niderman (celui-ci est prisonnier de guerre en Allemagne) mais aussi la famille d’Alter David et la famille Welner. Les grands-parents Steinberg quant à eux sont partis d’abord pour Royan puis Libourne et enfin Saint-Sauvant dans la Vienne où de nombreux documents témoignent de leur passage. C’est là qu’en juillet 1941, ils sont arrêtés, internés au camp de la route de Limoges puis transférés à Drancy et déportés en septembre 1942. A partir d’août 1942, la famille Brzezsinski accueille les enfants Niderman qui viennent de perdre leur mère. Grâce aux souvenirs que Joseph Niderman a écrits, nous apprenons à connaître un peu mieux Jakob. Joseph et sa sœur Charlotte lui étaient très reconnaissants de les avoir accueillis dans son foyer où tout se passait bien. Il leur avait ainsi permis de sortir d’un orphelinat où Charlotte ne voulait pas rester. Martha était leur cousine germaine mais, vu qu’elle était beaucoup plus âgée qu’eux, ils la considéraient comme une tante. Jakob était donc comme un oncle. Très gentil avec eux, probablement très calme en raison de sa maladie de cœur, il venait border tous les enfants chaque soir.

 

La rafle

La famille a vécu rue des Bézines jusqu’à la nuit du 8 au 9 octobre 1942 où, comme les 442 Juifs vivant dans le département de la Charente, elle a été arrêtée et transférée à la salle philharmonique d’Angoulême. Joseph explique que le jeudi 8 octobre, jour de repos, il avait révisé avec beaucoup d’ardeur sa leçon d’histoire pour le lendemain mais qu’il s’était couché avec un mauvais pressentiment malgré les mots rassurants de Jakob. Vers deux heures du matin, toute la famille a été réveillée brutalement, a disposé de vingt minutes pour rassembler ses affaires et a été transférée à la salle philharmonique. Toutes les personnes raflées sont restées là près d’une semaine dans des conditions très difficiles avant que celles qui avaient la nationalité française ne soient « libérées ».

Cour de la salle philharmonique d’Angoulême avec les plaques commémoratives de la rafle (photo prise par Richard Niderman)

 

Ainsi, Charlotte, française depuis 1938, comme les autres enfants dans son cas, a probablement été confiée à une institution religieuse catholique avant de partir en juin 1943 vers les foyers de l’UGIF de la région parisienne.

Henri n’a pas été déporté non plus en octobre 1942. Cela veut-il dire qu’il était français ? Peut-être, lorsque les autorités allemandes ont séparé les Français des étrangers, ses parents l’ont-ils confié aux Feingrütz, leurs voisins de Metz, qui eux étaient français. En tout cas, c’est avec les Feingrütz et leur fille Mathilde qu’il est arrêté à Eymoutiers en Haute-Vienne en avril 1944, qu’il est interné à Drancy puis déporté à Auschwitz.

Jakob, cardiaque, n’était pas déportable. On sait qu’il est admis en décembre 1942 à l’Hôtel-Dieu de Poitiers.

Seule Martha a été transférée à Drancy le 15 octobre puis déportée par le convoi 40 du 4 novembre 1942 comme la plupart des personnes arrêtées lors de cette rafle. Joseph Niderman se souvient d’avoir eu des nouvelles d’elle même si les lettres n’ont pas été conservées. Dans le convoi 40, Martha a été déportée en même temps que la famille de son beau-frère Alter David.

 

Jakob à l’Hôtel-Dieu de Poitiers ( décembre 42- mai 44)

Après la rafle, on ne retrouve la trace de Jakob que le 12 décembre 1942 lorsqu’il entre au camp de la route de Limoges qui se trouve à Poitiers. Trois jours plus tard, le 15, en raison de ses problèmes cardiaques, il est admis à l’Hôtel-Dieu de Poitiers qui dépend de ce camp. Il est même jugé incurable et il semble qu’il soit resté dans cet hôpital jusqu’en mai 1944. On retrouve son nom à de multiples reprises dans les registres.

Extrait des registres du camp de Poitiers : Jakob Brzezinski y est inscrit le 12 décembre 1942, il part le 15 décembre pour l’Hôtel-Dieu. (Archives départementales de la Vienne)

 

Fiche d’internement de Jakob au camp de Poitiers le 12 décembre 1942 (Archives départementales de la Vienne)

 

 

Liste des Juifs hospitalisés à l’Hôtel-Dieu de Poitiers en 1943 : Jakob est considéré comme incurable (Archives départementales de la Vienne)

 

Joseph Niderman a conservé un fragment d’une lettre écrite en allemand à son père Léon par Jakob depuis l’Hôtel-Dieu de Poitiers dans lequel on peut lire toute sa détresse et sa lassitude.

« […] pas dormir. Je n’en peux plus de tant pleurer. Espérons que nous nous reverrons encore pour nous réjouir ensemble peut-être dans mon appartement comme tu me l’as écrit. Il faut toujours garder courage […]. »

 

Fragment d’une lettre écrite par Jakob à son oncle par alliance Léon Niderman depuis l’Hôtel-Dieu de Poitiers (date non connue)

 

Drancy et la déportation

Jakob quitte l’Hôtel-Dieu de Poitiers le 5 mai 1944 et entre au camp de Drancy la 6 mai. Il est affecté à l’escalier 18 dans la chambrée 4. A l’entrée au camp, il est privé des 630 francs qu’il avait en sa possession comme en atteste le reçu à en-tête du camp de Drancy.

Liste du 4 mai 1944 indiquant les Juifs devant partir le lendemain vers Drancy (Archives départementales de la Vienne)

 

Carnet de fouille du camp de Drancy en date du 6 mai 1944 (Archives du Mémorial de la Shoah)

 

Cahier de mutations de Drancy le 6 mai 1944 (Archives du Mémorial de la Shoah)

 

Les archives d’Arolsen, à qui nous avons demandé les documents dont elles disposent sur Jakob, nous ont transmis deux listes de convois différents. En effet, Jakob figure dans le convoi 74 du 20 mai 1944, soit deux semaines après son arrivée à Drancy mais aussi dans la liste du convoi 77 du 31 juillet 1944. Cette curiosité s’explique sans doute par l’état de santé de Jakob. Il a été transféré à Drancy début mai probablement en vue d’être déporté le 20 mai. Ses graves problèmes cardiaques lui ont cependant permis de ne pas être déporté dans le convoi 74 où il est pourtant inscrit. En revanche, en juillet 1944, il n’échappe pas à la folie meurtrière d’Aloïs Brunner, le commandant de Drancy, qui, à quelques semaines de la libération de Paris, pour remplir le dernier grand convoi qui part de France, n’hésite pas à réaliser des rafles dans les foyers d’enfants de l’UGIF et à déporter des personnes malades. C’est ainsi que Charlotte, la fille de Jakob, a été arrêtée dans le foyer de Montreuil le 22 juillet 1944 et internée à Drancy.

Rien ne permet cependant d’affirmer que le père et la fille se soient revus pendant la semaine où ils étaient ensemble dans le camp ni qu’ils aient été déportés dans le même wagon. Les listes étant constituées par ordre alphabétique, Charlotte et Jakob figurent cependant sur la même page au milieu des 1300 déportés de ce convoi.

                       

Liste du convoi 74 du 20 mai 1944 (Archives d’Arolsen)

 

                                 

Liste du convoi 77 (Archives d’Arolsen)

Dans la synagogue polonaise de Metz, une plaque commémore les noms des familles messines victimes de la Shoah. On peut lire le nom de la famille Brzezinski mais aussi celui de la famille Feingrütz qui était semble-t-il devenue la famille d’adoption d’Henri. Dans l’ancienne synagogue de Forbach, fermée depuis 2013, une plaque indiquait les noms des noms de Jakob, Martha, Charlotte et Henri en plus de ceux de Samuel et Regina.

 

Plaque commémorative de la synagogue polonaise de Metz (photographie d’Henry Schumann)

 

Plaque de la synagogue de Forbach (photographie de Richard Niderman)

 

 

Remerciements

Nous remercions très chaleureusement Richard Niderman qui nous a fait connaître Charlotte. Nous remercions aussi Mme Hildegarde Gauthier qui a fait de nombreuses recherches pour nous aux archives départementales de la Vienne et à Saint-Sauvant où elle a travaillé en liaison avec l’archiviste, M. Robert Puaux.

Contributeur(s)

Biographie réalisé par la classe de seconde 6 du lycée Louis Vincent à Metz, sous la direction de leur professeur d'Histoire Géographie, Monsieur Mandaroux et Nadia Khemiri, professeur documentaliste.
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