Ernest MANDELBAUM

1922 - 1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence: , , ,

Ernest MANDELBAUM

Photographie ci-contre d’Ernest à Paris, non datée, provenant du fonds PAVCC du SHD dossier n° 21P511, sauf indication contraire, tous les documents reproduits ci-après proviennent de ce fonds.

 

Naissance à Vienne

Ernest Mandelbaum est né le mardi 14 mars 1922 à Vienne, en Autriche. Il est le fils de Marcel Mandelbaum et d’Anna Hausotter qui le mit au monde au 15 rue Rotensterngasse. Sa mère s’est également prénommée Anne ou Anny selon les lieux de résidence et les périodes.

Son père est né le 5 novembre 1890 à Galati en Roumanie. Il était le fils d’Henri Mandelbaum et de Lisse Mandelbaum, née Tikes. Ernest était par conséquent de nationalité roumaine. Marcel était commerçant et vivait avant 1920 au 19 rue Tandelmarktgasse, à Vienne. D’après le “Mémorial des juifs déportés de France” de Serge Klarsfeld, son père aurait vécu en 1944 au Château de la Barbière, au Mont-Dieu, dans les Ardennes, lieu où il aurait été arrêté. Il a été interné à la maison d’arrêt de Charleville avant d’être transféré vers le camp de Drancy puis déporté avec le convoi 69, parti le 7 mars 1944.
Dans ce convoi, se trouvait également une Henriette Wolf, née Mandelbaum à Anvers en 1907, et sa fille Ruth, alors âgée de 11 ans. Elles avaient été arrêtées dans les Ardennes et avaient été transférées à Drancy le 25 février 1944. Marcel Mandelbaum est mort à son arrivée à Birkenau, le 10 mars 1944.

certificat de mariage traduit en français le 26 novembre 1936                                                                                                                      certificat de naissance traduit en français le 26 novembre 1936

La mère d’Ernest, Anna Hausotter de son nom de jeune fille, est née le 9 novembre 1902 à Staab dans l’Empire austro-hongrois, ville désormais dénommée Stod en République Tchèque. Elle était la fille d’Henri Hausotter et de Julie Hausotter, née Low. Elle vivait avant 1920 au 38 rue Taborstrasse, à Vienne.

Les parents d’Ernest se sont mariés le 14 mars 1920 à Vienne. Ce mariage a été célébré par le rabbin Armin Abeles au 2 rue Kluckgasse, en présence des témoins Hausotter et Émile Walder.

Le 22 octobre 1935, soit un mois après l’adoption des lois de Nuremberg, la famille a fait établir un certificat de mariage par le Bureau de l’État civil de la Communauté cultuelle israélite à Vienne. Treize mois plus tard, le 26 novembre 1936, la famille Mandelbaum se trouvait à Paris et faisait traduire, en français, le certificat de naissance d’Ernest ainsi que le certificat de mariage du 22 octobre 1935.

La vie viennoise de la famille n’a pas laissé de traces mais il est fort probable qu’ils aient fui la montée du nazisme et de l’antisémitisme pour venir trouver refuge en France.

 

Premières années en France

À partir de 1938, Ernest vivait dans le Pas-de-Calais, à Boulogne-sur-mer. Ernest n’était pas seul à Boulogne. Sa mère et son frère Henri, prénommé Heinz à la naissance, s’y trouvaient avec lui à la fin de l’année 1938. Par contre, son père semble ne plus avoir partagé le quotidien de la famille. Son frère, qui n’apparaît que dans la liste des étrangers présents à Boulogne-sur-mer en décembre 1938, était donc d’un an son aîné et exerçait le métier de commis de salle. Son frère se trouvait à Boulogne dès le 13 juillet 1938. Ernest avait obtenu du préfet, le 30 novembre 1938, une carte d’identité de travailleur industriel. Elle lui permettait d’occuper un emploi de commis de restaurant ou garçon de restaurant, comme son frère, à l’hôtel des Anglais au Touquet-Paris-Plage. En 1940, Ernest vivait au 203 rue de la tour-d’Ordre, à Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais.

Extrait de la liste nominative des étrangers résidant à Boulogne-sur-Mer dans le Pas-de-calais
au 31 décembre 1938. Archives du Pas de Calais, cote M 6816

Carte postale de l’Hôtel des Anglais, https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%B4tel_des_Anglais_du_Touquet-Paris-Plage

 

 

certificat de la préfecture concernant l’emploi et l’autorisation de travail d’Ernest, établi le 1er décembre. 1953

Au printemps 1940, dans la confusion de l’exode et de l’offensive allemande sur le nord de la France, Ernest quitte le Pas-de-Calais pour se réfugier dans le Finistère comme de nombreuses autres personnes qui ne voulaient pas être prises derrière les lignes allemandes. La population du Nord conservait le souvenir de cet enfermement pendant la Première Guerre mondiale.

La guerre dans le Finistère

Ernest s’est installé chez M. Gouzien dans la commune de Léchiagat, à proximité du port du Guilvinec. Il y a séjourné de juin 1940 au 12 juin 1944, date à laquelle il a été arrêté à Léchiagat, par l’armée allemande, au cours d’une rafle.

Ernest aurait-il voulu retourner à Boulogne qu’il ne l’aurait pas pu. Les départements du Nord et du Pas-de-Calais ont été rattachés à l’Administration militaire de la Belgique et du nord de la France et par conséquent le retour était interdit aux réfugiés juifs.

Le récit du séjour d’Ernest a été fait en 2017, dans le bulletin municipal de Treffiagat, par un historien du pays Bigouden, Pierre-Jean Berrou. Voici ce qu’il dit, d’après les témoignages qu’il a collectés :

“Tout le monde à Léchiagat connaissait Ernest. Même les enfants l’appelaient par son prénom.

Ernest vivait tout seul à 18 ans dans un local près de la chapelle Saint-Jacques, à l’étage de l’atelier du peintre Eugène Gouzien. […]

Ernest resta seul quatre ans à Léchiagat, alors que ses parents, [qui étaient probablement séparés, vivaient probablement à Rennes et à Paris. Sa mère vint d’ailleurs le voir au moins une fois pendant la guerre.] Ernest s’était fait de nombreux copains et copines. On le reconnaissait dans la rue entre tous à cause de son pantalon bouffant dit de golf.

Apatride, cherchait-il vraiment à fuir les allemands et les autorités françaises ? Comme à Léchiagat même, il n’y avait pas de cantonnement de la Wehrmacht, il avait bien choisi son lieu de résidence. […]

Ernest semble avoir cherché à vivre sa jeunesse pleinement en s’intégrant à la vie locale comme un Bigouden. C’est peut-être pour cela qu’il n’est pas allé s’inscrire en sous-préfecture avant le 20 octobre 1940 comme tous les Juifs y étaient soumis.  

On disait Ernest insouciant, [certains moins respectueux, l’ont même appelé un Jean-Foutre]. Pourtant maintes fois en présence d’Allemands dans les bars du Guilvinec, on le voyait s’éclipser sans mot dire. Il n’a probablement jamais été contrôlé durant 4 ans ! […] Ernest avait quand même intrigué au début de son séjour : il parlait bien l’Allemand, il ne travaillait pas, recevant de temps à autre un mandat de ses parents sans doute riches. [Le port de chemise de soie avait d’ailleurs surpris.] Plusieurs jeunes gens, probablement en relation avec la résistance naissante, avaient perquisitionné son logis pour chercher des indices de ses relations supposées avec les occupants. On l’accusait d’appartenir à la 5e Colonne. […] Mis au courant des soupçons de quelques camarades, Ernest s’en tira par une boutade. « La 5e Colonne ? Je ne connais que la 6e » !

Par ailleurs, en 1942, son domicile avait « fait l’objet d’une perquisition allemande, effectuée dans le cadre de la répression communiste mais elle ne donna aucun résultat” d’après le directeur du cabinet du préfet du Finistère le 26 janvier 1956.

Ernest […] devait craindre le pire s’il était découvert. Pourtant, il ne restait pas caché comme certains S.T.O. Au contraire ! Il a ainsi été invité à plusieurs mariages. […] Par ailleurs, on l’a vu sur la scène de la salle de danse Le Prat faire son « tour de chant ». Adopté par la population, il s’était bien adapté à la vie à Léchiagat.”  La photographie ci-dessous en atteste. Il fréquentait d’ailleurs une jeune fille du Guilvinec.

Reproduction d’une photographie d’un groupe de comédiens amateurs et chanteurs, non datée, diffusée dans le bulletin municipal de Treffiagat en 2017.  Source : http://treffiagat.bzh/wp-content/uploads/2016/07/bm2017.pdf

Ernest était de surcroît Juif étranger en France et astreint au port de l’étoile jaune ! Savait-on alors à Léchiagat qu’il était Israélite ? Savait-on qu’on arrêtait et qu’on persécutait les Juifs ? En tout cas, il n’a pas été dénoncé. 

Le 6 juin [1944] , débarquement en Normandie des troupes anglaises et américaines […]. Couvre-feu décrété à 7h du soir.” Pourtant, le même jour, deux mariages étaient célébrés entre des jeunes de Léchiagat et du Guilvinec. Ernest était de la noce car le marié, Lucien Quideau, était un ami. “Le jour du mariage d’Odile Boennec, il avait dit à la mariée qu’il ne ferait pas de vieux os. Prémonition ? Ou simple constatation des dangers qui pouvaient surgir avant la libération pourtant toute proche.” 

 reproduction d’une photographie de la noce de Lucien Quideau et d’Odile Boennec, le 7 ou 8 juin 1944
diffusée dans le bulletin municipal de Treffiagat en 1987. Photographie d’Adrien Bodéré, transmis par M. Berrou

 

note préféctorale, fond Alain Le Grand, cote 208 J 24, consultable en ligne : http://mnesys-portail.archives-finistere.fr/?id=recherche_grandpublic_detail&doc=accounts%2Fmnesys_cg29%2Fdatas%2Fir%2Fserie_j%2FFRAD029_00000208J%2Exml&action=full_open&page_ref=817

Le soir [du 6 juin 1944], un ordre semble-t-il venu de deux jeunes chefs FTP, Alex et Jean Marie du canton de Rosporden, demande aux résistants de Lesconil, Léchiagat, Le Guilvinec de prendre position au bourg de Plomeur et d’arrêter les Allemands… pour aider les Alliés ! Quatre Allemands ou Caucasiens de Beuzec sont arrêtés et conduits à Lesconil.” Cet épisode a été largement raconté par Pierre Jean Berrou dans le bulletin municipal de 1987 mais aussi par Charles Chalamon sur le site internet « Guerre et Résistance en Pays Bigouden »

Arrestation et déportation

Henri Quiniou a raconté l’arrestation d’Ernest à la mère de celui-ci dans la carte postale, ci-dessous, envoyée le 25 octobre 1944.

Lettre d’Henri Quiniou à la mère d’Ernest, le 25 octobre 1944

À la suite de cette action de la résistance, la Wehrmacht a ratissé deux communes et a arrêté 22 résistants sur les 80 qui auraient participé à l’action. Les quatre prisonniers furent libérés au cours de cette opération. Ensuite, l’armée allemande envoya des renforts et effectua d’autres rafles dans la région. Le 12 juin, de bon matin, une rafle eut lieu au Guilvinec et à Léchiagat. Ernest faisait partie des nombreux hommes en âge de combattre qui furent fait prisonniers.

Jean-Pierre Berrou précise que “près de 2000 hommes furent ainsi dirigés vers quelques enceintes dont la cour de l’usine Chacun facile à surveiller. […] Ernest Mandelbaum connut un sort plus tragique. Découvert lors du tri comme déserteur et juif, il fut conduit menotté vers une voiture bâchée […].

Marcel Le Prat raconte qu’Ernest “au moment de la rafle, s’est caché sur le toit de la maison où il logeait, par la lucarne. Sans doute, il a été aperçu.” Corentin Le Marc précise qu’il ”a été mis de côté à la lecture de sa carte d’identité.” Ernest aurait pu avoir de faux papiers assez facilement auprès du secrétaire de mairie du Guilvinec, Corentin Loussouarn, mais il n’a pas tenté la démarche.

Henri Quiniou et Ernest Mandelbaum furent séparés du reste des raflés pour être envoyés à la prison tenue par la Wehrmacht, dans le lycée Saint-Gabriel de Pont-Labbé, pour y être interrogés. Ernest est ensuite incarcéré à la prison Saint-Charles de Quimper du 15 juin au 30 juin 1944, puis transféré à Fresnes avec d’autres jeunes du pays. À son arrivé à Fresnes, il était en bonne santé et son moral semblait bon. Il y est resté jusqu’au 19 juillet.

Ernest est ensuite envoyé à Drancy le 19 juillet où il a été détenu jusqu’au 31 juillet. Il y a reçu le numéro 25267 avant d’être déporté vers Auschwitz le 31 juillet avec le convoi 77. Le convoi est arrivé dans la nuit du 3 août et la mort d’Ernest est enregistrée le 5 août 1944 avec les autres déportés qui ne sont pas entrés dans le camp d’Auschwitz. Aucune explication pour la mort d’un si jeune homme, apparemment en bonne santé, n’est apparue. Son état de santé s’est-il dégradé pendant le voyage ? Ou alors faisait-il partie du wagon de Charles Rosenrauch qui planifiait une tentative d’évasion et dont tous les compagnons de déportation furent gazés directement en arrivant à Auschwitz ?

C’est justement au cours de ces jours de début août que le pays Bigouden est libéré par les Alliés.

Le combat d’une mère

Après l’arrestation de son fils, la mère d’Ernest a contacté Henri Quiniou par lettres dès les 2 et 5 août 1944 puis le 14 octobre 1944. Elle est même venue à Léchiagat, après la guerre, avec son second mari, Henri Riand.

 

 

 

Lettre du 26/06/1946 de la mère d’Ernest au maire de Treffiagat afin de constituer son dossier de dommages mobiliers, document fourni par M. Berrou et obtenu dans les documents de la mairie

 

 

Certificat du maire de Treffiagat attestant de la probité d’Ernest, en date du 5 juillet 1946

En réponse à la mère d’Ernest, le maire de Léchiagat lui dit, le 8 juillet 1946, qu’Ernest Mandelbaum était un jeune homme dont “l’attitude était parfaite et correcte à l’égard de la France”. Il était notamment considéré comme réfractaire au S.T.O. Par contre, aucun lien avec la résistance n’avait été établi.

 

Le 19 janvier 1954, un acte de disparition a été dressé par les services du Bureau de l’état civil. En 1956, Ernest est reconnu comme déporté politique et victime civile par le Ministère des Anciens Combattants et des Victimes de guerre. Il reçoit de manière posthume le statut de déporté et interné politique le 19 juin 1956.

demande d’attribution du titre de déporté politique, entre décembre 1955 et février 1956

Acte de disparition du ministère des anciens combattants du 19 janvier 1954

Copie intégrale de l’acte de décès établie par la mairie de Treffiagat le 12 août 2014

Le 12 août 2014, David Chevrier, Maire de Treffiagat, procédait à la transcription du décès d’Ernest Mandelbaum à Auschwitz (Pologne), le 5 août 1944, sur les registres de l’état civil de la Commune. La demande venait de l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de guerre, 70 ans après les faits.

 

Contributeur(s)

Mathieu MICAULT, professeur de Lettres-Histoire-Géographie, au lycée professionnel Jean-Jaurès de Rennes, avec sa classe de Première année de Brevet des Métiers d'Art Horlogerie.

References

  • Guerre et Résistance en pays Bigouden, par Charles Chalamon

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